Europe soumise à Berlin, crise grecque, situation de la gauche de la gauche à trois mois des régionales, PS moribond… Jean-Luc Mélenchon fait sa rentrée politique et réaffirme sa volonté intacte de résister à l’ordre libéral.
Rendez-vous est pris dans un café du haut de la rue du Faubourg-Saint-Denis dans le Xe arrondissement. Attablé à l’étage, Jean-Luc Mélenchon feuillette le numéro des Inrocks consacré à la rentrée littéraire. Il relève la tête et lâche en rigolant : “Ah tiens, mon kiosquier m’a dit que Virginie Despentes a dit du bien de moi : je serais aussi populaire que la Le Pen, mais je n’aurais qu’un défaut, je ne suis pas raciste !”
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Le leader du Front de gauche reprend son feuilletage et s’arrête sur une phrase d’un article sur Christine Angot – “Ce qui se joue entre les êtres est déjà suffisamment signifiant sans avoir besoin de ‘littérature’.” “C’est absurde, soupire Mélenchon. Les relations entre les êtres ne sont que littérature, aucune relation n’existe en soi, elle existe pour soi… un minimum de matérialisme devrait les conduire à avoir une vision plus tendre de l’existence.”
De retour de quatre semaines de vacances passées entre la France et la Tunisie, Jean-Luc Mélenchon arbore une fine barbe de trois jours. “J’ai peu lu cet été, j’avais besoin de faire une coupure, de cicatriser mes plaies”, confie-t-il. Fin juin, François Delapierre, son plus proche collaborateur, celui qui devait être “son dauphin”, est décédé des suites d’un cancer, à l’âge de 44 ans. “Je n’avais pas envie de m’évader par la littérature, mais de reprendre pied en moi. C’est un événement très dur pour nous, ce n’était pas à lui de partir.”
Après s’être rendu de l’autre côté de la Méditerranée, il s’est reposé dans sa traditionnelle villégiature d’été, un moulin du XIIe siècle où les fils du téléphone sont arrachés et où l’on peut entendre un tranquille cours d’eau au réveil. “A côté d’une rivière, on dort d’un sommeil profond qui vous lave”, raconte l’homme politique qui amorce dans ces pages sa rentrée politique.
Plus que jamais convaincu qu’il peut l’emporter lors de la prochaine présidentielle, Jean-Luc Mélenchon nous parle de la crise grecque, du bilan d’Aléxis Tsípras, de son horreur de la politique allemande, de la “médiocrité” de François Hollande et de son plan pour proposer une alternative politique en 2017.
La Grèce est passée de l’espoir qu’a fait naître le “non” au référendum à la signature d’un nouveau plan de sauvetage plus draconien que le précédent. Quel est votre sentiment ?
Jean-Luc Mélenchon – C’est un rude revers pour l’autre gauche en Europe. Et pour tous ceux qui avaient vu dans la Grèce un chemin transposable. Pourtant, la méthode du Premier ministre Aléxis Tsípras était un sans-faute très proche de ce qu’on avait pu observer dans les révolutions démocratiques d’Amérique latine : un long temps pédagogique pour prouver que l’on peut faire autrement, suivi d’un appel au peuple.
C’était un exploit de faire passer en quelques mois le camp du “non” de 37% à 60%. Tsípras n’aurait jamais dû signer. Mais l’accord a été imposé de force avec des méthodes d’une violence incroyable. J’avais donc raison d’alerter quand le même coup de force a été expérimenté à Chypre, deux ans avant. Ici, de nouveau, il était décisif de dire tout de suite que le Front de gauche votait contre. On ne peut accepter pour la Grèce ce qu’on ne voudrait pas pour la France. Autant qu’on le sache clairement : je ne signerai jamais un tel accord !
Que s’était-il passé à Chypre ?
D’abord, une déstabilisation bancaire liée à l’économie de la bulle. L’Eurogroupe et la Troïka ont imposé un mémorandum. Le projet a été présenté devant le parlement et il ne s’est pas trouvé une seule voix pour l’adopter. Immédiatement, il y a eu le coup de trique : la coupure des liquidités financières. François Delapierre avait traité Pierre Moscovici de “salopard” pour avoir accepté une chose pareille. Pour avoir dit que ce ministre ne parlait plus la langue de l’Europe mais celle de la finance, on m’avait repeint en antisémite.
Le coup chypriote est passé comme une péripétie. Mais quand on traite sérieusement de géopolitique, on sait que la première expérience amène la suivante. La crise économique grecque est un prétexte. La partie se joue à un autre niveau : les étapes d’un plan Schaüble pour construire l’Europe allemande ! Voyez comment les entreprises allemandes pillent la Grèce ! Comme a été pillée l’Allemagne de l’Est…
L’ancien ministre des Finances grec, Yánis Varoufákis, a déclaré, après avoir démissionné, que la véritable cible de l’Allemagne n’était pas la Grèce mais la France et son Etat-providence. C’est ça la prochaine étape ?
C’est clair ! La France, c’est le fruit juteux. Je l’ai dit dès le début ! J’ai été traité de germanophobe pour ça. Conclusion : la construction de l’Europe allemande est incompatible avec la liberté des Européens et avec l’indépendance de la France. L’ordolibéralisme (selon lequel la mission de l’Etat est de garantir un cadre permettant la concurrence libre et non faussée – ndlr) est la négation de l’identité républicaine de la France.
Quelle aurait pu être la marge de manœuvre d’Aléxis Tsípras ? Pierre Laurent, le secrétaire national du PCF, a déclaré qu’il n’avait pas le choix.
On a toujours le choix. Au Parti de gauche, on savait que si Tsípras signait, c’était fini. Parce qu’il mettait le doigt dans un engrenage dont les autres ne le laisseraient plus sortir. La preuve : le troisième mémorandum est pire que le précédent. Après l’annonce de cette nouvelle, il fallait absolument que le Front de gauche reste groupé sur la désapprobation totale du plan et de la méthode pour l’imposer. Sinon, il n’y avait plus de Front de gauche. Je voudrais saluer Marie-George Buffet qui, la première, a dit : “Je ne voterais pas plus ce plan que je ne voterais les accords de Munich.” Elle a convaincu le PCF. Une fois de plus, elle a sauvé le Front de gauche.
Que pensez-vous de la décision de Tsípras de démissionner et de provoquer des élections anticipées ?
Il consulte le peuple, c’est bien et honnête. Encore faut-il respecter ses décisions ! Tsípras a changé d’attitude et ça s’est traduit par une scission de trente députés au sein de Syriza. Nous avons conclu un partenariat avec l’“Unité populaire”, le nouveau parti de ceux qui continuent à résister au mémorandum. Leur chef de file, Panayótis Lafazánis, de l’aile gauche de Syriza, a pris contact avec nous et assistera peut-être à nos universités d’été. La situation va devenir complexe puisque leur division frappe de plein fouet le Parti de la gauche européenne que nous constituions ensemble.
Vous êtes déçu par Aléxis Tsípras ?
Il avait des impréparations politiques. Impréparation théorique, d’abord. Il n’a pas assimilé l’importance du tournant de la construction européenne depuis le “traité budgétaire” signé par Hollande et la constitution de 2005, repeinte en traité de Lisbonne par Nicolas Sarkozy. Les Grecs n’ont pas eu de référendum pour prendre la mesure de ce changement.
Impréparation personnelle, ensuite. Quelle idée d’accepter de rester enfermé pendant dix-huit heures, seul face à dix-sept autres personnes ? N’importe quel syndicaliste sait qu’on ne fait pas ça ! Surtout, il s’est laissé envoûter par Kaa, le serpent du Livre de la jungle, qui lui répétait : “On va te tirer d’affaire, on va te tirer d’affaire.”
Kaa, c’est François Hollande ?
Il lui a fait croire que les autres étaient prêts à l’exclure de la zone euro. Or, je le répète, ils ne pouvaient pas le faire. Enfin, dernière faille : où étaient ses moyens de l’alternative ? La Grèce est l’une des plus petites économies de l’UE, 2 % de son PIB. Le rapport de force n’est pas fameux. Le principal argument de Tsípras est la menace de faire sauter la zone euro.
Sa principale force, c’est 320 milliards de dettes. C’était sans risque car 80% de cette dette est dans les mains des organismes européens. L’annuler est un simple jeu d’écriture. En fait, seuls 20% de cette dette auraient réellement fait défaut. Mais l’envoûtement de l’ambiance de l’Eurogroupe a été le plus fort, avec la mythologie des accords arrachés au bout de la nuit…
Mais s’il n’avait rien à faire valoir alors qu’on le menaçait de couper les liquidités des banques grecques, quel choix lui restait-il ?
Celui de dire : si vous ne rééchelonnez pas la dette, nous ne la paierons pas. C’est vrai qu’ils ont coupé le robinet et que l’accord a été obtenu un pistolet sur la tempe ! Un accord auquel Tsípras lui-même a dit ne pas croire. Tout ça pour quoi ? Personne ne croit que ce plan va permettre à la Grèce de remonter sur le cheval. Pire, nous avons la certitude que le pays va s’effondrer.
Il faudrait une impétueuse croissance mondiale et européenne pour que la Grèce ait une chance de ramasser des miettes. Ce n’est même plus la peine d’y penser. L’économie mondiale est entrée en turbulence, encore à cause d’une explosion dans la bulle financière, en Chine cette fois. Pendant qu’on était en train de discuter du mémorandum, la bourse de Shanghai annonçait une perte de 3300 milliards de dollars : en une semaine, dix fois la dette totale de la Grèce pour trente ans ! Malgré tout, le plan a été décidé.
Pour vous, les Allemands ont réussi à imposer leurs vues à leurs partenaires européens dans le dossier de la crise grecque ?
Dans mon livre Le Hareng de Bismarck, j’ai voulu pointer du doigt le cœur du problème de l’Europe : Berlin. Nous construisons non pas l’UE mais l’Europe allemande sur la base d’un principe que nous avons combattu. En 2005, on a refusé la sacralisation de règles économiques qu’on a pourtant retrouvées dans le traité de Lisbonne, aggravé par le “traité budgétaire”. En 2012, Angela Merkel réclamait un veto de la commission sur les budgets nationaux. Le ministre des Finances allemand Wolfgang Schaüble a même dit : “Les Français, il faudrait les forcer mais hélas, il y a la démocratie, on ne peut pas.”
Comment se comportent les politiques français face à cela ?
Le caractère valétudinaire de la politique française est accablant. Cet été, le président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, Bruno Le Roux, a fait une déclaration de servilité invraisemblable : “Je pense qu’il faut rendre hommage à la chancelière, (…) sans François Hollande elle n’aurait pas pu faire prévaloir le fond de son idée, le rôle de la France a été de permettre à l’Allemagne de trouver l’accord nécessaire à l’Europe.” François Hollande n’a pas de culture du rapport de force, mais de son évitement. C’est une iréal-politik puérile. Cela passe tant qu’on ne vous vise pas. Mais la France est visée ! Il est temps de se réveiller !
A la place de Tsípras, qu’auriez-vous fait ? Auriez-vous évoqué la possibilité d’une sortie de l’euro ?
Evidemment. Mais je ne serai jamais à la place de Tsípras. Il est à la tête d’une petite économie, pas nous. La France, c’est 18% du PIB européen. Si on appuie sur le bouton, il n’y a plus ni euro ni Europe. Donc si on ne peut pas convaincre les Allemands, il faudra les contraindre. Nier qu’il y ait des rapports de force, c’est s’aveugler et donc s’y soumettre. Personne n’a les moyens d’élever la voix avec nous. Mais on laisse faire. Pourquoi ? Parce que la politique qu’impose la droite allemande, c’est celle que veulent tous les libéraux d’Europe, socialistes ou de droite. Ils lui délèguent le sale boulot. C’est cela qui réjouit Le Roux.
Quel bilan tirez-vous de cet échec ? Vous ne pensez plus que l’on puisse changer l’Europe de l’intérieur ? La crise grecque vous a-t-elle fait évoluer sur la question de la sortie de l’euro ?
L’Europe de papa est finie, voilà mon bilan. Réformer quoi ? Les traités budgétaires ? Il faut les abroger. Or Juncker (président de la Commission européenne – ndlr) a déclaré : “Il n’y a pas de vote démocratique contre les traités.” Nous ne sommes plus libres. Tout commence donc par l’affirmation d’un clair indépendantisme, assumé haut et fort.
Ensuite, faut-il ou ne faut-il pas sortir de l’euro ? J’ai toujours trouvé ce mot d’ordre étriqué. Il ne faut pas fétichiser la question de la monnaie. Il faut s’attaquer à la globalité du système. A quoi ça servirait de sortir de l’euro pour rester dans les mêmes traités de l’UE ? Pour continuer avec la “règle d’or” ? Pour subir le contrôle de la Commission européenne ? C’est tout le système qu’il faut remettre en cause. La nation est le cadre naturel de notre démocratie : décidons nous-mêmes. Ce n’est pas être nationaliste que de dire cela.
D’où peut-être aussi le désaccord avec Cécile Duflot sur votre livre, qu’elle a jugé germanophobe. Les membres de EELV estiment qu’il n’y a pas assez d’Europe politique, de fédéralisme européen.
Accusation sans fondement. Elle ne connaît ni l’histoire de France, ni les bases de la géopolitique européenne ! Du reste, le fédéralisme est déjà là puisque vous n’avez pas le droit de voter le budget qui vous convient, et que vous êtes puni s’il ne correspond pas aux normes. Mais c’est un fédéralisme ordolibéral.
La France a signé des traités contraires à notre liberté et notre indépendance. Il faut désobéir. Puisque Berlin a un plan B avec l’expulsion des rebelles, nous devons en avoir un aussi. Au PG, nous proposons l’organisation d’une conférence internationaliste du plan B. Il faut que tout le monde sache qu’il existe un plan B coordonné pour peser dans le rapport de force.
Qu’est-ce que recouvrirait exactement ce plan B ?
La fin de l’Europe ordolibérale allemande. Nous n’acceptons pas que Berlin nous impose ce que nous devons faire. L’indépendance des Français est une question directement liée à la souveraineté populaire, donc à la démocratie. Mais les Allemands ne sont pas un bloc. Die Linke combat cette politique impériale. Il y a ceux qui se rendent compte que ça va trop loin, même à droite. Madame Merkel hésite devant la violence prônée par Schaüble. Il y a des milliers d’intellectuels mécontents. Jürgen Habermas a déclaré qu’en une nuit de diktat imposé aux Grecs, l’Allemagne a anéanti soixante ans d’efforts de reconstruction de la réputation allemande.
Vous avez rencontré Yánis Varoufákis dimanche 23 août. Quel accueil a-t-il fait à votre projet ?
C’était une belle rencontre. Il fonctionne vite. Simple et direct. Il a insisté sur la responsabilité de Berlin dans la déchéance de l’idée européenne. On est tombé d’accord sur l’idée de la conférence européenne pour le plan B face à l’Europe allemande. Je l’ai aussi invité sur le stand du Parti de gauche à la Fête de l’Humanité. Il pense pouvoir y venir.
Comment va se concrétiser ce fameux plan B ? Avec un appel à Podemos ?
On vise une conférence qui permette de poser des objectifs communs. Il est temps de jouer en équipe. Podemos ? Aussi bien sûr. D’ailleurs, mon livre est publié en Espagne en septembre et préfacé par Pablo Iglesias.
Alors que les élections législatives ont lieu en novembre en Espagne, Podemos, aujourd’hui, recueille seulement 15% d’intentions de vote et a perdu dix points dans les sondages depuis janvier.
Devinez pourquoi ? Les médias ont diabolisé à mort Pablo Iglesias. Huit mois non-stop. Ses idées sont reléguées et sa personne défigurée. Je subis ça depuis trois ans. Tous ceux qui font peur au système y ont droit. C’est normal, non ?
Iglesias dit que Podemos ne s’inscrit pas dans un antagonisme droite/gauche…
Oui, car là-bas aussi les gens disent “la gauche et la droite, c’est pareil”. Il faut en tenir compte. Sa stratégie est de rester “central”. Il a vu comment nous avons été classés “extrême gauche” contre notre gré. Il se protège.
Podemos est né des mois de luttes sociales et populaires qui l’ont précédé. Rien de tel en France. Où voyez-vous dans les urnes françaises une demande d’une autre politique de gauche ?
J’en trouve la trace dans l’énormité de l’abstention. Le peuple a divorcé de toutes les institutions qui sont censées le représenter. La preuve, nous avons réuni cent mille signatures pour la Sixième République en moins d’un an. Le sujet, ce n’est pas être plus à gauche ou moins à gauche. C’est : quelle politique pour le pays ? Je me réfère à un intérêt général humain et pas seulement “de classe”. Ça, c’est l’écosocialisme.
Vous avez dit dans l’émission Le Divan de Marc-Olivier Fogiel que vous pleuriez encore la défaite de Lionel Jospin au premier tour de 2002. Pas sûr que vous pleuriez celle de Hollande s’il n’est pas au deuxième tour en 2017…
Je crois que je peux y être. Mais lui non ! Il ne sera même pas candidat, il ne pourra pas se représenter. Le monde entre en turbulence. Un minimum de bon sens va peut-être pousser les socialistes à penser que cet homme-là n’est pas taillé à la mesure des événements. Les turbulences vont provoquer une contraction du marché mondial, le chômage en France va exploser, quoi qu’on fasse. Hollande a dit qu’il ne serait pas candidat si le chômage continuait d’augmenter. Tout le monde estime que c’est une ruse. C’est en fait un signal de départ. Il sait bien qu’il ne sera pas candidat.
Le chômage va exploser même avec un pétrole à 40 dollars le baril ?
C’est une béquille. Le pétrole à 40 dollars restera à ce niveau aussi longtemps que les Etats-Unis l’auront décidé. Comme toutes les économies sont des économies d’exportation, avec le ralentissement, tout le monde va morfler. Les Allemands aussi. Vous pouvez même avoir du pétrole à 1 dollar, mais s’il n’y a personne pour consommer, eh bien vous n’aurez plus qu’à le boire !
Le problème est celui du carnet de commandes. Est-ce qu’il est rempli et quelles sont les commandes ? Est-ce qu’on va produire des choses écologiquement responsables ? Pour moi, la courroie d’entraînement de notre économie, ce devrait être l’économie de la mer. J’ai vu clair. Même Ségolène Royal y vient. Elle parle de “croissance bleue”. Le mot “croissance” est mis à toutes les sauces ! Le PS est si vintage !
Est-ce que la gauche sera présente au second tour si vous vous présentez en 2017 ?
Oui, je serai présent, ou quelqu’un de notre mouvance. Vous avez l’air d’en douter mais dois-je vous rappeler le nombre de voix qui a suffi à monsieur Le Pen pour être présent au second tour, le 21 avril 2002 ? 4,8 millions. J’ai fait 4 millions lors de la dernière présidentielle, nous ne sommes pas loin du compte. Au sein du Front de gauche, nous avons vécu trois années d’attaques et de quolibets de la part de l’ensemble de la classe politique. Pendant cette période, j’ai tout fait pour que nous conservions notre force électorale intacte. Aujourd’hui, nous sommes toujours à 10% des intentions de vote. Tout cela signifie qu’avec une bonne campagne et une bonne ligne directrice, tous les espoirs sont permis.
Lors des dernières élections, les attaques provenaient également de votre propre camp…
Oui, nous sommes partis en ordre complètement dispersé. C’est la pire campagne que j’aie vécue. Aucun des partenaires du Front de gauche n’était d’accord sur la façon de combattre Marine Le Pen. Ni sur la rupture avec le PS. Ensuite, les tentations d’hégémonie partidaire nous ont ramenés dans la tambouille politicienne. Finalement, nous avons sévèrement payé ce manque de clarté. Je ne voudrais pas que nous recommencions la même chose avec la préparation des élections régionales. Ni hégémonisme ni tambouille. Et une forte implication citoyenne. Voilà les clés du succès.
Il y a, parmi ces électeurs, des personnes qui estiment que vous êtes une alternative politique crédible à gauche mais qui craignent votre personnalité parfois explosive.
On me dit souvent que le score de la présidentielle aurait pu être plus important que prévu sans quelques provocations médiatiques de campagne que je n’ai pas su parer. J’aurais été trop clivant, je ne serais pas parvenu à rassembler suffisamment. On finit par oublier que je suis passé de 3,5% à 11%…
Et surtout, on oublie que cette campagne a basculé avec un événement qui n’est pas de mon fait : les tueries de Toulouse et Montauban perpétrées par Mohamed Merah. Le lendemain de notre rassemblement à la Bastille, ce terroriste passe à l’acte. Il a stoppé net l’envol de ma campagne en remettant sur le devant de la scène les thèmes de Le Pen et en reléguant nos thèmes sociaux et culturels.
Sans cette tuerie, vous pensez que vous auriez pu atteindre quel score ?
Je pense que j’aurais fait autant que la Le Pen, soit plus de 17% des voix. Je pense que cet acte terroriste a changé totalement la donne. Mais c’est la vie… On peut aussi légitimement penser que si Lionel Jospin n’avait pas été battu d’une poignée de voix au premier tour de l’élection présidentielle de 2002, l’histoire de France aurait été tout autre. Rien n’est jamais acquis et l’avenir est plus ouvert que veulent bien le dire certains. Ce sera encore plus vrai en 2017.
Pourquoi avez-vous maintenu coûte que coûte cette stratégie du clivage au cours de la campagne présidentielle ?
Mais enfin ! Cela m’a donné 4 millions de voix ! “Qu’ils s’en aillent tous !”, c’est une ligne fédératrice ! Quel clivage me reproche-t-on ? Avec le FN ? Avec le productivisme ? Avec la finance ? Non ! Juste avec le PS ! Je persiste et signe. J’estime que si nous voulons convaincre, nous devons faire une offre franchement alternative. L’ambiguïté est mortelle. Voyez : au lendemain de la présidentielle, impossible d’obtenir une déclaration pour dire que nous ne gouvernerons pas avec le PS. Aussitôt, nous perdons la moitié de nos voix aux législatives. Dans un pays traumatisé par les mensonges d’Etat, l’ambiguïté se paie cher.
J’ai du caractère. On l’a dit “mauvais”. Pourquoi ? Du bilan que j’en tire, ça a toujours été à bon escient. La classe moyenne sachante pense qu’on peut régler rationnellement les problèmes. Elle n’aime ni les décibels, ni les rapports de force qu’elle trouve barbares. Je comprends. Mais j’estime qu’il faut parfois crier pour se faire entendre. Dans un moteur à explosion, 30% de l’explosion sont transformés en énergie, 70% sont perdus. Il y a toujours de la perte en ligne. Et on me demande de faire des explosions médiatiques qui donnent 100% de bulletins de vote pour le Front de gauche !
Je sais que parfois ma manière dérange. Mais elle rassure également. Moi aussi, j’aimerais bien être beau et musclé mais je fais avec ce que j’ai. Et vous aussi. On fait tous avec ce que l’on a. Le courage est fait de ce genre de compromis. Mon devoir, c’est de rassurer le cœur de notre électorat car c’est là qu’est notre propulseur. Les reproches d’hier sont déjà les compliments d’aujourd’hui. Les gens sentent bien que, dans le monde actuel, on ne peut pas gouverner avec des soupirs de bedeau et un cœur de lapin.
Voter, ce n’est pas se marier avec son candidat. Les personnes que mon style contrarie ne s’arrêteront donc pas toujours aux apparences. Elles peuvent conclure : “Mélenchon a du caractère et il est dans le vrai.” Peut-être qu’ils voteront un peu à reculons mais ils le feront. En 2012, 30% des électeurs de Hollande ont hésité entre lui et moi jusqu’à la dernière minute. C’est le vote utile pour se débarrasser de Sarkozy qui les a hypnotisés. Puis ils ont fait le bilan. Dans une zone de turbulences comme celle que nous traversons, les gens éliminent vite ceux qui sentent le flou. Je donne zéro chance à Hollande !
Pourquoi ?
Il s’est fixé comme condition l’inversion de la courbe du chômage ! C’est impossible avec sa politique et le contexte mondial. Ensuite, le peuple comprend intuitivement que le problème en Europe vient de l’Allemagne. Alors, qui est capable de tenir tête à madame Merkel, à part moi ? Tout le monde le sait : ni Hollande ni Sarkozy ne font la maille. Les deux comptent sur elle pour faire le sale boulot contre les acquis sociaux. Je pense être le seul capable de dire à Angela Merkel que la France est une nation indépendante et qu’elle ne nous dictera aucune décision. Son ordolibéralisme ne passera pas par nous.
Votre stratégie de “Front contre Front” avec Marine Le Pen a également fait l’objet de nombreuses critiques.
Oui, que n’a-t-on pas critiqué ! Face au FN, je voulais que nous soyons les premiers de cordée. La tête de pont de ce combat, en quelque sorte. Quand je me suis présenté comme candidat à Hénin-Beaumont, tout le monde disait que le défi était exaltant. Mais à peine avais-je commencé ce combat contre le Front national qu’on critiquait la personnalisation de mon action !
J’ai gagné mille voix en trois semaines, mais j’ai échoué. Aujourd’hui, je reste persuadé que nous pouvons arriver à la tête du pays et qu’il ne s’agit pas d’une marche si gigantesque que ça. Encore faut-il travailler, convaincre, monter sur toutes les balles et pas seulement bavarder entre soi !
Vous oubliez Marine Le Pen qui risque également de faire campagne sur l’euroscepticisme. N’est-elle pas plus audible que vous sur ce terrain ?
Où voyez-vous ça ? Marine Le Pen a dit qu’un Etat devait absolument payer sa dette, qu’il y allait de son honneur. L’aveu : elle accepte d’avance le plan d’austérité allemand. Moi, je réponds qu’on n’acceptera rien. Qu’est-ce qu’il y a de moins clair dans mon propos ? Redemandez-lui aujourd’hui si elle veut toujours sortir de l’euro : elle va balbutier. Il faut arrêter de se focaliser sur Marine Le Pen ! Doit-elle être la virgule de toute discussion politique ? Sur ce terrain comme sur tous les autres, je ne la crains pas.
Vous aviez fait du FN votre ennemi principal. Aujourd’hui, c’est la social-démocratie ?
Mon idée était de démonétiser l’extrême droite en faisant des démonstrations populaires de masse. On a réussi de gigantesques marches. Mais bien vite, cette ligne a été désavouée par certains partenaires du Front de gauche. Ça tapait trop frontalement sur le PS. L’offensive que je menais a donc été interrompue. Le Pen a occupé le terrain. La social-démocratie ? Où est-elle ? Elle n’existe plus. Il y a juste des partis libéraux de diverses variétés. Il faut donc proposer une alternative claire si on veut mobiliser ceux qui votaient socialiste et sombrent dans l’abstention ou le vote Bayrou.
Le Parti socialiste a fait de vous son ennemi principal. Julien Dray a récemment été nommé responsable de “l’alliance populaire” afin de rallier à François Hollande les différents partis de gauche qui gravitent autour de vous, afin de vous barrer le chemin.
J’ai bien vu que j’étais leur cible principale. J’ai pris conscience du fait que je suis le dernier obstacle à gauche sur le chemin de la candidature unique de François Hollande. Le PS démarche les uns et les autres et même suscite des candidatures contre moi pour nous pulvériser, je le sais. La ruse peut payer. Il faut avouer qu’avec EELV, François Hollande s’est dépassé : il a obtenu leur explosion avec des promesses de ministères qu’il ne leur donne jamais.
Votre désir de candidature n’est-il pas avant tout un désir de revanche sur François Hollande ?
Mon contentieux avec lui n’a rien de personnel ! A mes yeux, c’est un personnage dérisoire et une présidence désastreuse. Il ne m’obsède pas. J’aime mon pays et je ne supporte pas de voir combien il l’a abaissé. Je suis bouleversé par les souffrances qu’il a répandues. De toute manière, on ne peut pas avoir de conflit de personnes avec le PS. C’est un astre mort et un monstre froid. Des milliers de gens s’en vont. J’ai de nombreux amis, des dirigeants intermédiaires, qui claquent la porte. Tout ça dans une indifférence glacée.
Pourquoi ne vous rejoignent-ils pas ?
Mais ça se fait, figurez-vous ! Pour l’essentiel, ils sont en déshérence. Ils doivent faire le deuil de leurs folles espérances : que François Hollande sauverait le monde du travail après Nicolas Sarkozy, qu’il ferait de la redistribution et de l’écologie dans la seconde partie de son quinquennat. Et ma diabolisation est un poison long à désintoxiquer. Ils ne peuvent venir vers nous mécaniquement.
A vous entendre, votre candidature est désormais actée.
Je n’ai pas dit que je me présentais. Peut-on en finir avec l’idée qu’une candidature est un moment délicieux et la notoriété un bienfait des dieux ? C’est une épreuve terrible ! Je fais mon devoir. Je dois faire comme si j’étais candidat car le moment venu, il faut être préparé et ne pas attendre la dernière minute. Au diable les faux-semblants politiciens !
La réussite d’une candidature Front de gauche ne passerait que par de nouvelles alliances. Nous en sommes loin.
C’est vrai, il y a encore du tricot à faire ! On y travaille sans relâche. J’ai tellement demandé aux opposants socialistes de passer à l’acte ! Mais les frondeurs sont les plus sectaires à mon égard ! Ils sont obnubilés par la protection de leurs places. Et jaloux, souvent.
Avec les Verts, c’est flottant. Ils sont partagés entre deux lignes mais plus capables de passer à l’acte. J’ai beaucoup parlé avec Cécile Duflot. Rien ne me laissait prévoir l’explosion qui allait suivre. Sa tribune assassine contre moi dans Libération était un prétexte pour rompre le rapprochement. Me comparer à l’extrême droite nationaliste de Déroulède, c’était vouloir me blesser. Elle y est parvenue.
Pourtant, ça bouge aussi dans le bon sens. L’union de l’opposition de gauche avance. L’accord se fait avec les socialistes de Liêm Hoang-Ngoc et dans plusieurs régions avec les Verts. Le Front de gauche a résisté aux épreuves. L’espoir est intact.
Comment expliquer ce revirement d’EELV ?
Peut-être un jeu de rôle pour savoir qui portera la responsabilité de la scission ? Ils ne peuvent mettre longtemps l’intérêt du parti au-dessus des convictions et des accointances naturelles avec nous. Notamment aux régionales. Pas besoin de se ressembler pour se rassembler. Nous sommes différents ? Soit. Trouvons des sorties par le haut. Ils peinent à sortir du simplisme : fâcherie ou annexion. Je suis sûr qu’ils domineront leur angoisse identitaire. Pour avoir une pratique à vocation majoritaire, il faut combiner unité et diversité entre partenaires qui se respectent.
Lorsqu’on étudie vos programmes, on se dit que l’Europe fédérale voulue par Europe Ecologie est un différend irréconciliable.
Attendez qu’ils aient tiré les leçons de l’été grec ! Au-delà des formes institutionnelles, nous pouvons être d’accord sur les contenus et les politiques à mettre en œuvre. C’est le plus important. Nous devons œuvrer pour parvenir à un programme partagé. Sinon comment proposer une alternative crédible aux libéraux et aux productivistes qui dominent tout depuis une décennie ?
Et lorsque Jean-Vincent Placé déclare qu’une alliance avec le Front de gauche provoquerait son départ d’Europe Ecologie ?
Il est fidèle à lui-même. Il sait que la séparation est inéluctable.
Vous pronostiquez souvent l’effondrement du libéralisme. A la fin des fins, vous pensez que vous serez seul face au Front national ?
Le libéralisme tient par la force des institutions et par sa domination culturelle. Mais aujourd’hui, il n’y a plus d’adhésion intime, comme dans les années 90, après l’effondrement du mur de Berlin. Les gens sentent que face à une montée des océans de six mètres, la solution ce n’est pas “chacun pour soi et le marché pour tous”. L’histoire n’est pas un phénomène linéaire. Les spasmes de la bulle financière rendent l’avenir chaotique. Nous avons le devoir de proposer un autre chemin.
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