En annonçant sa candidature à la région Vénétie à l’occasion des prochaines élections régionales partielles, la maire de Vérone Flavio Tosi ranime des tensions internes à la Ligue du Nord. Et met en danger le parti fédéraliste, qui pourrait bien perdre un des ses principaux fiefs en mai.
Il y a quelques années encore, on les appelait les poulains de la Padanie: Flavio Tosi et Luca Zaia, aguerris, compétitifs, faisaient partie des belles promesses de la Ligue du Nord. Aujourd’hui, leur rivalité pourrait coûter très cher au parti fédéraliste. Tout commence avec le choix de la candidature de Luca Zaia pour la présidence de la région Vénétie, bastion historique du mouvement. Une candidature que le maire de Vérone, Flavio Tosi ne semble pas digérer: il se voyait bien gouverner la région, refuse de se plier à la ligne du parti, et annonce quand même sa candidature. Cette décision, qui pourrait compromettre la victoire de la Ligue, est immédiatement punie par le secrétaire du parti: Matteo Salvini exclut le maire de Vérone du parti. Les relations s’enveniment, les insultes fusent, Tosi traite le secrétaire du parti de “dictateur déloyal et incorrect”. Et la gauche se frotte les mains: cette guerre intestine pourrait bien faire le jeu du Parti Démocrate aux prochaines élections.
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Dérive « milanaise »
Les mauvaises langues soulignent que Flavio Tosi n’a jamais compté parmi les plus fidèles au parti. Il a souvent dénoncé la dérive milanaise de la Ligue, trop centrée sur la Lombardie au dépit de la Vénétie, et se construit depuis longtemps un profil national qui ne plait pas à tous. Umberto Bossi, ancien dirigeant et fondateur de la Ligue du Nord, l’a même publiquement traité de “connard”. Rien de vraiment étonnant dans un parti qui a toujours eu différentes âmes.
“La Ligue a profondément évolué au cours des années. Au début, elle se concentrait sur le rejet des méridionaux, aujourd’hui cet argument n’a plus de prise auprès de ses électeurs, elle se concentre sur la lutte contre l’immigration. Elle n’a jamais été un parti uni. Salvini lui-même, à ses débuts, était chef de liste pour les communistes padans !” rappelle Giuseppe Scaliati. L’auteur de Dove va la Lega Nord, radici ed evoluzione ne croit pas que la rupture s’explique par des divergences idéologiques.
Les points de désaccord entre Tosi et Salvini ne manquent pourtant pas: le secrétaire de la Ligue semble peu apprécier ce maire “gay friendly” qui a annoncé que sa ville reconnaitra les couples de fait. Quant à Flavio Tosi, il ne croit pas à la sortie de l’euro souhaitée par Salvini. Surtout, il reproche au secrétaire de la Ligue son penchant pour l’extrême droite, et critique les alliances conclues avec le parti de droite dure Fratelli d’Italia ou encore les néofascistes de Casapound.
“Mais Tosi a été le premier à fréquenter l’extrême droite ! Dans sa campagne pour la mairie de Vérone il a été soutenu par des mouvements d’inspiration fasciste. Sa liste comptait des membres du Veneto Fronte Skinhead. Il a même nommé Andrea Miglioranzi, membre de ce mouvement, connu pour sa bande rock identitaire aux textes antisémites et xénophobes, responsable de l’Institut de la Résistance, provoquant un scandale”, souligne M Scaliati.
Pour le politologue, la rupture relève plutôt du conflit de leadership : après une décennie en tant que premier citoyen de Vérone, Tosi aspirait à la région Vénétie, où Salvini a au contraire imposé la candidature de Zaia. Tosi ne s’en cache d’ailleurs pas, et proteste : il mérite ce poste, qui lui avait été promis. Retour en 2008 : la direction du parti scelle un pacte, promettant le poste de gouverneur de la Vénétie à Tosi dans les années à venir.
La promesse ne sera pas respectée. Reste à savoir pourquoi. Voilà deux fois que Tosi est sacré maire de Vérone, ville la plus importante de la région après Venise. Le maire jouit d’une bonne crédibilité pour ses qualités d’administrateur, et pourtant n’a jamais joué de rôle plus important à l’intérieur de la Ligue. Salvini souhaiterait-il se débarrasser d’un rival politique potentiellement dangereux ? C’est ce qu’estime Piero Ignazi, politologue à l’université de Bologne.
“En se radicalisant, Salvini a obtenu beaucoup de succès, a reporté la Ligue haut dans les sondages et est devenu un leader intouchable. Il ne veut avoir aucun adversaire interne, ce que Tosi aurait pu être, incarnant une autre vision de la Ligue”.
Parce qu’il jouit d’une implantation territoriale forte, et parce qu’il représente un courant vénitien qui n’est pas celui de Salvini. La rivalité entre les deux hommes renvoie à la tension structurelle interne à Ligue, entre Ligue Lombarde et Ligue Vénitienne. “La Ligue s’est construite à travers l’alliance de trois blocs : lombard, vénitien et piémontais. L’unité du mouvement a été garantie pendant des années avec le charisme de Bossi, qui a établi l’hégémonie de la Ligue lombarde sur la Ligue vénitienne”, rappelle Alessandro Campi, professeur d’histoire de la pensée politique à l’Université de Perouse. Mais si la Ligue piémontaise a été complètement fagocitée, la Ligue vénitienne, la plus ancienne des trois Ligues, a gardé intactes ses ambitions. Qui rejaillissent avec le départ d’Umberto Bossi. “Voilà le noeud de cette rivalité. Salvini a reconfirmé l’hégémonie de la Ligue lombarde, et Zaia représente cette Ligue vénitienne qui cède à l’hégémonie de la Lombardie, alors que Tosi souhaiterait un retour de la Ligue vénitienne sur le devant de la scène”, poursuit le politologue.
C’est aussi pourquoi la candidature de Tosi peut se révéler dangereuse : en jouant sur cette composante vénitienne, le rappel à l’orgueil régional, il pourrait rassembler beaucoup de personnes qui partagent ce combat. Et causer de sérieux dégats à Zaia, ainsi qu’à la Ligue du Nord, qui risque de perdre un de ses fiefs. Cela ne semble pas inquiéter Tosi : il est passé des menaces aux actes, et vient d’annoncer officiellement sa candidature.
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