A 32 ans à peine, Isabelle Ithurburu a réussi à s’imposer dans le milieu très masculin du journalisme rugby. Après avoir couvert deux coupes du Monde, elle présente depuis novembre le Canal Rugby Club, l’émission phare du rugby de la chaîne cryptée. Portrait.
Au rez-de-chaussée du siège de Canal + à Boulogne-Billancourt, on ne voit qu’elle. Isabelle Ithurburu, trône en 4×3, entre Sébastien Chabal et Marc Lièvremont, sur l’affiche annonçant le lancement – le 1er novembre – du Canal Rugby Club (CRC), la dernière émission sportive de la chaîne cryptée. Un choix bien pesé quand, au même moment, la chaîne du nouveau proprio Vincent Bolloré se faisait chiper les droits du très lucratif championnat de foot anglais, par la tornade Patrick Drahi, pour 300 millions d’euros. Canal, la chaîne du rugby ? « Tant mieux”, rigole Isabelle, 32 ans, et déjà deux coupes du Monde (2011 et 2015) à son actif.
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Depuis 2012, Isabelle Ithurburu squatte le différentes émissions de la chaîne cryptée de façon continue (Samedi Sport, Les Décodeurs, Jour de Rugby, Jour de Coupe du Monde et maintenant le CRC) et toujours en direct, “sinon j’ai l’impression d’être une plante verte.” Sur Twitter, ses 100 000 abonnés suivent le petit jeu qu’elle mène avec le trublion philousports, qu’elle a rencontré “pour de vrai” lors de la dernière finale du Top 14 au Stade de France.
Depuis trois ans, ces deux-là se cherchent, toujours dans le bon sens du terme. Philippe de son vrai nom, roi du gif – quand il ne se moque pas d’un joueur de foot, capture sans relâche le moindre sourire d’Isabelle, pour en faire profiter ses 45 000 abonnés. Une pratique devenue virale avec le temps et qui a transforme Isabelle en mème. “Elle a beaucoup d’autodérision, j’apprécie son naturel. Elle pourrait surjouer à la télévision mais je me suis rendu compte que c’était une belle personne”, clame Philou. Isabelle sait lui renvoyer la balle : “Je n’ai pas peur de dire que c’est devenu un ami. J’ai vécu des moments difficiles dans ma vie dernièrement et il a été, à sa manière présent.”
Posez vos questions à Isabelle Ithurburu – http://t.co/4l3QIdMzuG via @20minutes voici ma question pic.twitter.com/kbXPAUMW4z
— philippe (@philousports) 1 Octobre 2015
Un naturel timide mais une grande bosseuse
Le démon du rugby a très tôt envahit la Paloise. “Le déclic, c’est la demi-finale de coupe du Monde entre la France et les All Blacks en 1999”, explique-t-elle à la cafétéria de Canal, sous le regard – bienveillant – du charge de com du département sport. La peur d’un mot de travers ? “On fait toujours comme ça”, nous répond-on laconiquement. Dommage. Sa trajectoire est du genre express. Elle débarque en 2009 au sein de la “pépinière” du département sport de la chaîne, Infosport. Les mots sont de Nicolas Bert, ancien DG de la chaîne, qui se rappelle très bien de leur première rencontre. Après des études en commerce international, Isabelle bosse dans une boîte d’import-export à Paris, après avoir vendu de l’huile d’olive à Aubagne. A un dîner, entourée d’amis rugbymen, elle croise Nicolas : “Un ami me la présente. Je me retrouve face à une personne un peu timide [on confirme] qui cherche sa voie à l’époque.” Le mot est faible.
Sur internet il est assez simple de retrouver la trace d’Isabelle, deux ans plus tôt, pour sa première apparition télé. Le 4 avril 2007, elle est qualifiée pour le prime time de la saison 5 de la Nouvelle Star, l’émission de télé-crochet de M6. Sa cravate à damier est bien ajustée, l’interprétation de Butterfly du groupe Superbus, un peu moins. 3 carrés rouges contre un seul bleu, Isabelle retourne à Pau. “Je n’avais pas compris l’impact d’être jugé par le public”, reconnaît-elle toujours aussi souriante. Elle ajoute : “J’étais très heureuse avant d’arriver à Canal que personne ne s’en souvienne.” Nicolas Bert confirme, d’autant qu’Isabelle ne vient pas du sérail et n’a pas suivi de cours de journalisme : “J’ai senti une grosse détermination et un talent naturel chez elle. C’était une bosseuse. En trois mois, elle a fait des progrès phénoménaux. Elle a finalement mis tout le monde d’accord assez rapidement.”
http://www.dailymotion.com/video/x1njqp_isabelle-butterfly-prime-1_music
Miss Pau à 18 ans
Son caractère est à puiser du côté de ses racines – son père est Basque. Paysans, ses parents quittent la ferme pour montrer très tôt une épicerie. Isabelle y apprend la valeur du travail et l’entraide. Elle n’a d’ailleurs pas attendu sa nouvelle notoriété pour s’investir dans l’associatif en devenant la marraine du Secours populaire. Isabelle n’a pas froid aux yeux : “on me propose des défis j’y vais. J’ai toujours fait ça dans ma vie.” A 18 ans, elle remporte l’élection de miss Pau, “c’est pas Geneviève de Fontenay”, précise-t-elle. Mais c’est suffisant pour squatter le stade du Hameau – le fief du club de la Section paloise, actuellement en Top 14 – avec le maire de la ville.
Cette mission de représentation lui permet de découvrir l’univers des stades, bien avant d’être embauchée chez Infosport. Elle attrape le virus, malgré les critiques auxquelles la jeune femme doit faire face, lors de ses premiers pas en tant que journaliste sportive. « C’est toujours spécial au début, d’accueillir une femme. La première réflexion qu’on reçoit, c’est “ah tu n’as pas joué au rugby” ; la seconde c’est “ah mais tu es une femme.” Isabelle Ithurburu n’est pas la seule. Fanny Lechevestrier sur France Bleue, Clémentine Sarlat sur France Télévisions ou Cécile Grès sur Eurosport font office de porte-étendards d’une nouvelle génération de journalistes féminines bien déterminées à transformer l’essai dans le monde parfois macho de l’ovalie.
« La tradition du rugby cassoulet règne encore parfois »
Cécile Grès, en poste depuis 2012, explique ainsi : “Aussi étonnant que ça puisse paraître, le sexisme dans ce milieu ne provient pas tellement des joueurs ou entraîneurs mais plutôt des rédactions. La tradition du rugby cassoulet règne encore parfois. Du coup, on se doit d’être doublement compétentes.”Et ce n’est pas Pierre Salviac, 50 ans de carrière dans le service public (de l’ORTF à Stade 2), qui dira le contraire. En août 2015, il tweetait : “Heureusement que je suis né au siècle dernier car aujourd’hui, à la télé rugby, la place de journaliste est réservée aux gravures de mode.”Interrogé, l’intéressé s’explique: “Durant mes 50 ans de carrière, on n’a eu de cesse de me dire que je n’étais pas crédible parce que je n’avais pas joué au rugby. Les mêmes qui aujourd’hui trouvent normal – et pourquoi pas ? – que ce soient des femmes qui remplacent des hommes et ne disent jamais : “Quelle est leur légitimité ? C’est le constat que je fais, je ne remets pas en cause leur talent.”
Heureusement que je suis né au siècle dernier car aujourd’hui à la télé #Rugby la place de journaliste est réservée aux gravures de mode
— pierre salviac (@pierresalviac) 13 Août 2015
Ces polémiques n’effacent pas le sourire d’Isabelle Ithurburu, qui assure n’avoir subi aucun commentaire déplacé de la part de ses collègues. Ni d’avances de la part de joueurs et/ou entraîneurs. L’ex-compagne du coach du Stade français Gonzalo Quesada (ils se sont séparés en juillet 2014) reconnaît toutefois : “Je n’ai pas eu à gérer le côté objet sexuel. Je croyais que c’était normal, que ça ne se faisait pas dans le rugby. J’ai déchanté en parlant avec des collègues et j’ai compris que j’étais en quelque sorte une privilégiée.” Quoi qu’il en soit, Isabelle ne s’est fait pas prier pour tacler quelques-uns des poncifs liés au sport qui se joue à 15 : “Le french flair ? On s’en vante mais on ne sait pas trop ce que c’est. On a juste eu de la chance d’avoir, à un moment, une très bonne génération. Comme au foot !”Le foot d’ailleurs, ses milliards et ses excès ; Isabelle Ithurburu aurait-elle peur que son rugby soit atteint, à terme, de la même folie ? Sans chercher l’homme de la com du coin de l’oeil, elle nous livre une réponse très lucide : “Je ne pense pas que le rugby va dévier. Je l’observe via les jeunes de l’équipe de France, ce sont de super mecs. Mais, c’est vrai qu’ils n’ont connus que le rugby dans leur vie. Avant le rugby était amateur et on sentait un peu la différence. Les mecs avaient une vie à côté et un caractère qui allait avec.”
Le Canal Rugby Club, juste une étape ?
Après une progression médiatique fulgurante, il est légitime d’évoquer, d’ores et déjà, la prochaine étape. D’autant que pour son pygmalion Nicolas Bert, “aujourd’hui elle est épanouie, c’est un talent. Dans son métier c’est la meilleure, le Canal Rugby Club n’est qu’une étape pour elle, elle vaut beaucoup plus.” Isabelle, elle, reste au dessus de la mêlée sans pour autant botter en touche la question : “Je ne pourrais pas apporter la même expertise dans un sport que j’aime moins que le rugby, ça ne sera pas honnête envers le public. Mais pourquoi pas me retrouver un jour autour d’une table, avec une bande, à parler de plein de sujets, type C à Vous ou Grand Journal ?” Message reçu.
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