Mixant photos et témoignages, un livre retrace le parcours dingue d’Isabella Blow, découvreuse de talents excentrique et désespérée, suicidée en 2007.
A la mort d’Alexander McQueen, en février 2010, c’est son nom qui revint le plus souvent. Isabella Blow avait découvert le créateur anglais. Elle avait été son amie, sa muse. Ils s’étaient peu à peu éloignés au fil des ans, mais on dit que McQueen ne s’était jamais complètement remis de son suicide en 2007. Il aura donc fini par marcher sur ses pas.
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Bien qu’Isabella Blow n’ait jamais été connue du grand public, elle fut une figure éminente de l’industrie de la mode. Elle découvrit plusieurs mannequins, dont les tops Stella Tennant et Sophie Dahl. Elle révéla surtout les talents de créateurs tels que McQueen, Hussein Chalayan ou encore Philip Treacy, le chapelier fou.
« Si vous êtes moche comme moi… »
Drôle d’oiseau à mettre sur le même perchoir que Catherine Baba, Diane Pernet ou Anna Dello Russo, Isabella Blow était connue pour ses tenues extravagantes et son goût des chapeaux, dont elle aimait à dire qu’ils cachaient un visage fin de race « sorti d’un tableau des Plantagenêt ». Car son physique étrange était une source infinie de complexes.
« Si vous êtes beau, vous n’avez pas besoin de vêtements, déclara-t-elle un jour au Vogue américain. Si vous êtes moche comme moi, vous êtes comme une maison sans fondations, il vous faut quelque chose pour tenir debout. »
Toute sa vie, Isabella n’eut de cesse d’étonner, portant tour à tour des chapeaux en forme de homard ou de jardin chinois, pratiquant l’art d’un habillement gothique et performatif à la Leigh Bowery, ponctuant chacune de ses apparitions d’un rire tonitruant.
Née en 1958 à Londres, Isabella Delves Broughton est issue d’une lignée d’aristocrates richissimes mais scandaleux. Dans les années 40, son grand-père fut accusé d’avoir tué l’amant de sa femme. Acquitté, il se suicidera deux ans plus tard et les drames s’enchaîneront.
En 1964, le petit frère d’Isabella, alors âgée de 5 ans, se noie dans la piscine de la propriété familiale du Cheshire alors qu’il était sous sa surveillance. La légende veut qu’à l’annonce de la noyade la mère, descendue voir le corps de son fils, soit aussitôt remontée dans ses appartements pour se remaquiller. Mais Isabella n’aura jamais l’insouciance maternelle. Elle dira au contraire avoir hérité du tempérament dépressif de son grand-père.
Chez Vogue, elle nettoie son bureau avec du Chanel n°5
Après le divorce de ses parents, Isabella vit quelque temps dans un squat londonien avant de s’envoler en 1979 pour New York, où elle traîne avec Warhol et Basquiat. Partout où elle va, l’Anglaise détonne, arborant tenues affolantes, maniant un humour noir corrosif. En 1984, Anna Wintour la repère et en fait son assistante au Vogue US. Isabella, dont on raconte qu’elle nettoyait tous les soirs son bureau avec une bouteille de Perrier et un flacon de Numéro 5, convoque une partie de la scène underground dans les pages du magazine. Quelques années plus tard, elle regagne l’Angleterre, où elle officiera comme rédactrice de mode chez Tatler, Vogue et au Sunday Times.
C’est en 1992, lors du défilé de fin d’études de la prestigieuse Saint Martins School, qu’Isabella Blow découvre le travail de Lee Alexander McQueen, alors étudiant de 23 ans. Enthousiasmée, elle rachète l’intégralité de la collection et le présente à son carnet d’adresses. La mode s’entiche alors du prodige, qui prend la tête de la maison Givenchy dès 1996.
Désherbant et robe lamée
Devenu célèbre, Alexander McQueen se détache pourtant de son Pygmalion, qui sombre peu à peu. Maniaco-dépressive, minée par son incapacité à avoir un enfant avec son mari, l’architecte Detmar Blow, ruinée, blessée par le manque de reconnaissance de ses protégés, elle multiplie les tentatives de suicide, toutes plus romanesques les unes que les autres : noyade à la Virginia Woolf sur une plage de Goa, saut depuis un pont londonien…
Elle finira, au mois de mai 2007, après qu’on lui eut diagnostiqué un cancer des ovaires, par avaler du désherbant. Sa soeur la retrouvera agonisant, en robe lamée années 30. Isabella meurt peu après.
Dans le livre de son ancienne assistante Martina Rink, Hussein Chalayan décrit Isabella comme une « excentrique autodestructrice au grand coeur » et regrette qu’elle n’ait pas reçu de son vivant le respect et les honneurs qu’elle méritait. Le créateur confesse sa déception de voir que, depuis sa mort, ceux qui n’avaient pas de temps à lui consacrer se répandent en hommages exaltés. Hommages plus ou moins sincères et touchants que l’on retrouve dans cet ouvrage, où l’on déplore l’absence d’un seul, essentiel : celui d’Alexander McQueen, qui l’a rejointe il y a tout juste un an.
Géraldine de Margerie – illustration Alexandra Compain-Tissier
Isabella Blow de Martina Rink (Thames & Hudson), en anglais, 208 pages, 49 euros
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