Vous avez du mal à vous passer de votre téléphone portable ? Vous passez votre vie sur les réseaux sociaux ? Les jeux vidéo hantent vos nuits blanches ? Au rythme où ça va, peut-être même que demain vous ne sortirez plus de chez vous sans vos lunettes Google et votre montre Apple. C’est grave, docteur ?
Peut-on, oui ou non, parler d’addiction aux technologies numériques ? La question a été posée jeudi 21 février lors d’une audition à l’Assemblée nationale (« Le risque numérique : en prendre conscience pour mieux le maîtriser ? »). Parmi les sujets abordés, le problème de l’addiction, et pour en débattre, deux experts : Marc Valleur, directeur de l’hôpital Marmottan, un centre de soin spécialisé dans les pratiques addictives, et Olivier Oullier, professeur de psychologie cognitive à l’université d’Aix-Marseille.
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D’emblée, ils ont tenu à rappeler une distinction fondamentale : il ne faut pas confondre simple dépendance et addiction clinique.
« On est tous dépendants de plein de choses, explique le docteur Marc Valleur. Pour autant personne ne vient voir un psychiatre pour arrêter de regarder la télé. C’est pareil pour Facebook. »
Si vous ne pouvez pas vous endormir loin de votre portable ou si vous checkez vos mentions sur Twitter toutes les dix minutes, rassurez-vous. Vous êtes peut-être bien dépendant, « mais ça n’a rien à voir avec le phénomène d’addiction, et les cas véritablement pathologiques sont très rares ». « D’un point de vue strictement médical, l’addiction à Internet n’est d’ailleurs pas reconnue par le DSM (le manuel de référence sur les troubles mentaux, ndlr) », appuie Olivier Oullier. Pas question donc de hasarder une quelconque comparaison avec la toxicomanie : « Retirer à quelqu’un son téléphone portable ne fait pas le même effet que retirer sa dose à un junkie. »
Sites de rencontres, porno et jeux en ligne
Pourtant il existe bien des pratiques qui peuvent mener à l’addiction. Marc Valleur dénombre trois territoires à risque : le jeu en réseau, la consultation de sites pornographiques et la fréquentation des sites de rencontre. L’addiction est caractérisée quand la pratique devient compulsive et altère la vie sociale, quand la nécessité remplace le plaisir. « Souvent, une pathologie préexiste à la pratique addictive », constate Marc Valleur.
« Les nouvelles technologies sont un accélérateur d’addictions traditionnelles. Les cas les plus extrêmes ont principalement été observés en Asie, avec parfois de véritables claustrations, des adolescents qui s’enferment dans une bulle numérique. »
La Corée du Sud est particulièrement touchée par ces cas d’addiction pathologique. Un véritable enjeu de santé publique pour le gouvernement coréen qui a lancé de nombreuses études pour mieux comprendre le phénomène. Des cliniques de désintoxication à Internet et aux jeux vidéo ont été ouvertes. Une échelle – la K-Scale – a même été inventée pour mesurer la gravité de la dépendance. En France, même si le Parlement s’empare du débat, l’inquiétude est moins vive. N’empêche. Réseaux sociaux ou jeux vidéo, les pratiques des jeunes générations, ces « digital natives » qui ont grandi avec internet, désemparent encore de nombreux parents.
Groupes de parole
L’hôpital Marmottan a mis en place un groupe de parole destiné à l’entourage des joueurs de jeux vidéo. Une fois par mois, des conjoints et surtout des parents inquiets viennent s’entretenir avec une psychologue et un éducateur. « L’objectif, c’est avant tout de les rassurer », affirme le directeur. « L’inquiétude est légitime car toute nouvelle technologie implique de nouveaux comportements. Mais ce n’est pas pour autant que ça pose problème. Ceci dit il est vrai qu’il y a des choses que l’on ne sait pas encore, des études sont en cours sur la formation du cerveau des digital natives, avec une possible modification du mécanisme de l’attention. »
Olivier Oullier confirme : « nous manquons encore d’informations. Il faut continuer à étudier la manière dont le cerveau s’adapte aux nouveaux usages technologiques. Surtout qu’avec l’arrivée de nouveaux objets sur le marché, comme les lunettes Google, on va passer du concept de réalité complétée à celui de réalité augmentée. Des recherches devront être réalisées pour analyser les conséquences sur le cerveau. » Une étude menée l’an dernier à Harvard a déjà mis au jour une notion fondamentale pour comprendre le succès des réseaux sociaux : le plaisir. « Partager une information sur soi-même active dans le cerveau ce que l’on appelle le circuit de la récompense. Et on s’est rendu compte que parler de soi sur Facebook procurait plus de satisfaction que d’étaler sa culture lors d’un dîner. » Peut-on en conclure, en citant Eddy Mitchell, qu’y a pas de mal à s’faire du bien ? Tiens c’est pas mal ça, je vais le tweeter. Mais en fait, il est où mon portable ? Il est où ?!
Alexandre Comte
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