Que reste-t-il de la mémoire collective à l’heure du tout-numérique et de ses capacités de mémorisation ? Dans un essai, Emmanuel Hoog, président de l’Institut national de l’audiovisuel (INA), plaide pour une hiérarchisation des connaissances.
La mémoire et ses usages dans la société de l’information, le lien entre archives audiovisuelles et culture patrimoniale, la place de l’internet et de la télévision dans la constitution d’une politique culturelle… Sur ces sujets abordés dans Mémoire année zéro, Emmanuel Hoog détient une vraie légitimité. Président de l’Institut national de l’audiovisuel (INA) depuis 2001, il a eu l’occasion de réfléchir à ces questions et de mettre en pratique une politique ambitieuse visant à numériser les archives (plus de 800 000 heures de programmes) pour les mettre gratuitement à la portée du public.
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C’est au nom de cette expertise et d’un sens de la réflexion historique qu’il s’interroge, dans Mémoire année zéro, sur les débats autour d’une supposée “crise mémorielle” et sur les nouvelles technologies numériques censées la résoudre. Une “mémoire collective en crise” à plus d’un titre : les repères traditionnels s’estompent et le grand roman national forgé depuis le XIXe siècle ne tient plus. Très critique à l’égard de “l’identité nationale”, concept flou au coeur de l’action du pouvoir, il souligne le “caractère passionnel de l’enjeu mémoriel”, qui selon lui s’explique parce que “la mémoire est facteur de cohésion et fondement de l’identité du groupe”.
En ces temps de confusion, le président de l’INA invite donc à “réinventer notre mémoire”. Pour ce faire, il met en avant l’impact des technologies numériques sur la mémoire collective. “Depuis l’irruption du numérique, les conditions de production, de conservation et de la circulation de la mémoire ont radicalement changé”, souligne-t-il, comme pour mieux rappeler que la société de l’information, en produisant toujours plus de mémoire et “toujours moins de repères”, se heurte aujourd’hui à ce défi : dégonfler la bulle d’une “mémoire saturée”. Indices de cette profusion : 420 milliards de photographies ont été prises dans le monde en 2007, soit 50 millions par heure ! ; 7 millions de pages nouvelles apparaissent chaque jour sur le net ! Une inflation mémorielle qui tient à la capacité de stockage et d’indexation que permettent le numérique et le net. La toile est devenue une gigantesque base de données et la mémoire “stockée sans limite d’espace ni de durée peut être partagée comme jamais auparavant”.
Plutôt que de déplorer ou de saluer cette révolution, Hoog réfléchit aux horizons qu’elle ouvre. S’il estime nécessaire de “civiliser internet” – en y introduisant règles (droit d’auteur, dépôt légal) et repères – il entretient un rapport de confiance avec cet outil, et porte également une ambition culturelle pour l’audiovisuel public, notamment la télé, “seul média qui peut faire vibrer tout un pays”. Porté par la voix d’un candidat à de hautes fonctions (au ministère de la Culture ? à la présidence de France Télévisions ?…), Mémoire année zéro est un plaidoyer sincère pour une politique culturelle au coeur d’un projet de société où l’enjeu mémoriel est couplé à la modernité.
Mémoire année zéro (Seuil, 200 pages, 18 euros)
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