Seize journalistes font cause commune pour défendre le droit à l’information, malmené en ces temps de contrôle et de lobbying.
Mauvais temps pour le journalisme dit “d’investigation”. Par-delà les effets de censure toujours à l’œuvre, comme Vincent Bolloré vient de le démontrer à Canal+ en imposant la déprogrammation d’un doc sur le Crédit mutuel, plusieurs projets législatifs ont eu, ou ont encore, pour but de limiter les enquêtes journalistiques.
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Si l’amendement sur le secret des affaires, apparu dans la loi Macron en février 2015 – à l’origine de la création du collectif Informer n’est pas un délit –, a été retiré suite au tollé, une directive européenne similaire sera soumise au vote en séance plénière fin novembre.
Contexte liberticide
Ce contexte liberticide a poussé seize journalistes à faire cause commune dans un livre, lui aussi intitulé Informer n’est pas un délit, pour, explique Elise Lucet dans la préface, “raconter comment les pressions économiques s’exercent sur eux, comment le droit est régulièrement contourné entre secret des affaires et secret-défense, comment le harcèlement judiciaire est méthodiquement organisé”.
Journalistes, mais aussi lanceurs d’alerte ou simples citoyens : tous peuvent être en permanence “observés, enregistrés, traqués”. Paul Moreira parle ainsi d’une “guerre asymétrique” et dénonce l’immensité de l’arsenal politique et judiciaire “protégeant l’opacité des pouvoirs”, “sans commune mesure avec celui de l’accès à l’information des citoyens”.
Paysage rétréci de l’information
Comme l’observent Gérard Davet et Fabrice Lhomme (Le Monde), il est frappant de mesurer que “l’existence même de cet ouvrage, unissant des journalistes issus de titres concurrents, aux opinions et méthodes souvent divergentes, ayant même parfois, pour certains d’entre eux, entretenu des relations exécrables, constitue un signal à la fois réconfortant et encourageant”.
Une fois évacuées les querelles intestines d’un milieu journalistique qui revendique l’aristocratie de sa position, on découvre au fil des témoignages le paysage rétréci de l’information, malgré la loi fondatrice de 1881 sur la liberté de la presse. Les failles de cette loi sont évoquées par Fabrice Arfi (Mediapart) qui décrit le temps qu’il passe dans les cabinets d’instruction et dans les salles d’audience depuis ses enquêtes sur les affaires Bettencourt et Karachi.
Mur judiciaire
Alors que la justice lui reproche l’utilisation des enregistrements clandestins réalisés par le majordome des Bettencourt pour son enquête, il s’étonne d’être jugé en novembre par le tribunal correctionnel de Bordeaux alors que le même tribunal a utilisé ces enregistrements “comme preuves judiciaires pour condamner huit personnes dans le cadre de la même affaire Bettencourt” ! Où se situe alors la vie privée dans la fraude fiscale, dans le financement politique, dans les conflits d’intérêts ou dans les pressions sur la justice, se demande-t-il ?
Benoît Collombat (France Inter) revient sur le harcèlement judiciaire dont il fut victime à la suite de ses reportages sur les activités du groupe Bolloré en Afrique. Mathilde Mathieu souligne que “l’information est une guerre d’usure”, puisque le Parlement lui-même a la volonté de décourager les lanceurs d’alerte et d’anesthésier la presse. “Le mur des communicants”, évoqué par Laurent Richard (Cash investigation sur France 2), s’est désormais élevé contre le droit à l’information : aux Etats-Unis, rappelle-t-il, on compte 1 journaliste pour 4,6 communicants !
Comment briser ce mur judiciaire, politique, financier ? En rappelant déjà, à l’image de ce livre courageux, que le journalisme est avant tout régi par deux principes, “la vérité des faits et leur intérêt public”.Et comme l’observe Fabrice Arfi, “ce sont avant tout les faits, toutes ces petites vérités accumulées, qui font le grand jeu de la conversation publique”.
Informer n’est pas un délit – Ensemble contre les nouvelles censures sous la direction de Fabrice Arfi et Paul Moreira (Calmann-Lévy), 240 pages, 18 €, facebook.com/informernestpasundelit
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