A 47 ans, Dominique s’est portée volontaire pour la première fois pour accompagner la Croix-Rouge et soigner les malades d’Ebola en Guinée. Le choix assumé d’une cadre infirmière qui ne « craint pas le danger. »
Le magazine Time les a élus personnalités de l’année. Ils sont les « combattants d’Ebola », ces hommes et femmes qui se sont engagés pour soigner des malades atteint par le virus Ebola dans les pays d’Afrique touchés par l’épidémie. « Ils ont risqué leur vie et persisté, se sont sacrifiés et ont sauvé« , résume l’article.
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En France, plusieurs centaines de soignants ont sauté le pas, pour accompagner les organisations internationales dans les pays débordés par l’épidémie. Dominique, cadre infirmière de 47 ans à l’hôpital de Strasbourg, s’est portée volontaire en décembre dernier pour accompagner la Croix-Rouge dans un déplacement en Guinée.
Infirmière depuis vingt-deux ans dont douze comme cadre, elle devait partir avec un groupe de soignants le 26 janvier, pour passer six semaines en Guinée. Nous l’avions rencontrée le jour de Noël, entre deux patients, alors qu’elle venait de recevoir les détails de son voyage. Depuis, une « baisse réelle » des nouveaux cas de patients atteints du virus Ebola en Afrique de l’Ouest a retardé son départ au 15 février. Mais l’infirmière se montre toujours aussi motivée.
D’où vous est venu cet attrait pour le métier d’infirmière ?
Dominique – Quand j’ai choisi d’être infirmière, c’était pour faire de l’humanitaire. Dès le départ, ce métier était une vocation. Vous allez trouver ça niais, mais quand j’avais 6 ans, j’ai reçu une petite mallette d’infirmière, avec une Croix-Rouge dessus… C’était destiné ! (rires)
Vous avez déjà travaillé dans l’humanitaire ?
Après mon diplôme d’Etat d’infirmière (DE), j’aurais dû partir faire de l’humanitaire, travailler dans un hôpital en Afrique, mais ils n’avaient plus besoin d’infirmières quand j’étais disponible. Après, j’ai rencontré quelqu’un, et les choses de la vie ont fait que… je ne suis pas partie. J’ai mis ce projet dans un coin de ma tête, et je me suis dit que peut-être, un jour, j’aurais l’occasion de partir. Entre-temps, j’ai fait neuf ans de réanimation médicale, puis l’école des cadres car j’avais envie d’évoluer. Non pas que je n’aimais pas mon métier, mais le côté management, prendre en charge une équipe, prendre un peu de la hauteur, ça m’intéressait. J’aime quand même bien diriger.
Comment avez-vous entendu parler de ce besoin de soignants en Guinée ?
Un mail a circulé au sein de l’hôpital, venant de la Croix-Rouge française, qui demandait s’il y avait des volontaires pour partir dans le cadre de la mission Ebola. Je n’avais aucune autre info. On avait juste les coordonnées d’un médecin de la Croix-Rouge, alors j’ai envoyé un mail. Il m’a dit “OK, envoyez moi un CV et une lettre de motivation .” Je savais juste que c’était pour une durée de 6 semaines, et la quarantaine au retour (21 jours – ndlr).
Comment ont réagi vos proches quand vous leur avez annoncé?
J’en ai parlé à des amis, qui m’ont tout de suite dit : “Vas-y, c’est ce que tu veux faire, fonce!”
C’est rare, ça…
Mes amis m’ont dit d’y aller, évidemment mes parents étaient un peu plus mitigés. Ils ont entendu qu’il y avait des soignants malades, qu’il y avait énormément de décès. ils m’ont dit « pourquoi Ebola, tu pourrais peut-être partir faire autre chose? » Ils ont la trouille, mais au final ils sont quand même assez fiers.
Vous n’avez pas peur ?
Les gens m’en parlent, mais moi cette notion de danger ne m’a pas freinée. Ça n’a pas pesé dans la balance. J’y vais confiante. Le risque zéro n’existe pas, mais dans le mail, c’était bien noté qu’en cas d’exposition, il y aurait un rapatriement sanitaire sans problème et qu’on serait pris en charge, donc j’étais très rassurée.
Ce qui fait peur, c’est le taux de 50 % de mortalité…
Oui, mais ça ne m’a pas du tout effleuré l’esprit. Est-ce que c’est de l’inconscience…? Si j’ai envie de faire quelque chose, je me donne les moyens, je ne me pose pas 50 000 questions. J’ai harcelé [la Croix Rouge, ndlr], j’ai un peu poussé… J’aurais été très déçue que ça ne marche pas.
Comment expliquez-vous cet envie, qui est presque un besoin, de vous rendre en Guinée ?
Je discutais avec un aumônier l’autre jour et je me suis dit, c’est un peu comme les gens qui entrent dans les ordres. Je savais que c’était le moment de le faire. Je ne peux pas vous expliquer le pourquoi du comment, mais je me dis que j’ai les capacités : j’étais pendant neuf ans infirmière en réanimation, ça a aussi pesé dans la balance.
Savez-vous comment ça va se passer, sur place ?
Je sais que je reste 6 semaines sur place, là-bas, avec une semaine de formation sur Paris avant, et 3 semaines de quarantaine à mon retour à Strasbourg. On se retrouve notamment avec un psychologue pour débriefer, parce que c’est dur physiquement (il y a cette fameuse combinaison à 40 degrés à enfiler) mais c’est surtout difficile psychologiquement.
Comment ça ?
Par exemple, quand le dispensaire dans lequel on travaille est plein de malades, on ne peut pas en accueillir d’autres, il faut les laisser dehors. C’est difficile pour un soignant, de dire « non, on ne peut pas vous soigner« . Ici à l’hôpital, on trouve toujours une place, mais là-bas les conditions ne sont pas les mêmes.
Quel rôle aurez-vous là-bas ?
On a sous notre responsabilité cinq soignants guinéens, pour faire à la fois de la formation, de l’encadrement, et de la gestion du planning. On est en contact avec les malades 2 heures maximum (on ne tient pas plus longtemps sous la combinaison), et le reste du temps on fait de l’organisation.
Devez-vous payer votre trajet ?
Non, la Croix-Rouge prend tout en charge. Tout est payé ; la vaccination, le traitement contre le paludisme, le billet d’avion, les assurances de rapatriement et le logement. Sur place, on vit dans une sorte d’auberge de jeunesse, en communauté, avec les gens dans le cadre de la mission. Il faut être habitué à vivre 24h/24 avec les autres. Dans l’entretien que j’ai eu, on m’a demandé si ça me posait un problème, mais j’ai fait 20 ans de scoutisme. Vivre ensemble me dérange pas.
Comment cela se passera, si vous vous sentez mal là-bas ?
D’abord, on a eu un long entretien psychologique avant le départ. Ils m’ont demandé si ça ne serait pas trop dur de ne pas voir ma famille… Mais je sais qu’on pourra communiquer via Internet. Et il y aura un psychologue sur place, car il y a des soignants qui ont le mal du pays, ou ne supportent pas le manque de contact. Comme on palpe les patients la journée, nous n’avons le droit de toucher personne, même le soir entre nous.
Qu’est-ce qui vous fait le plus peur ?
Ce qui est difficile, c’est qu’en tant que soignant, on a tendance à aller vers l’autre. Là il y a des précautions, il faut mettre la combinaison, ne pas faire de faute, il faut prendre le temps.
Appréhendez-vous le retour ?
Peut-être que ça me donnera envie de partir plus souvent, par la suite. Cependant, je connais des infirmières qui ont passé plusieurs années à faire de l’humanitaire et qui ont eu envie de se poser ensuite. En tout cas je pense qu’au retour, on ne voit plus les choses de la même façon.
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