France Ô va être supprimée d’ici à 2020. La chaîne destinée à l’Outre-Mer devrait passer au tout numérique. Si les salariés s’y attendaient, la violence de l’annonce et la brutalité de la méthode les ont beaucoup choqués.
La nouvelle a tout d’une catastrophe naturelle annoncée depuis des semaines. On sait qu’elle va arriver mais sans connaitre l’étendue des dégâts qu’elle va entraîner. Et, au fond, on espère pouvoir y échapper. Mais de brèves consultations et une volonté de réduction des coûts de l’audiovisuel public auront finalement eu raison de France Ô. La chaîne de l’Outre-Mer va disparaitre du petit écran d’ici à 2020 pour passer en tout numérique. Sur change.org, une pétition a été lancée pour sauver la chaîne (avec plus de 60 0000 signataires) mais l’espoir est maigre.
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« Il y avait beaucoup de rumeurs, souffle une journaliste qui a appris la nouvelle par les médias alors qu’elle était en reportage. Mais ça reste un coup de massue. Il y a beaucoup de mépris. » Outre la violence l’annonce, tous retiennent la brutalité de la méthode.
Après la déclaration du Premier ministre sur la suppression de la chaîne, les salariés ont reçu un mail de leur direction à 16h23 les prévenant de la venue de Delphine Ernotte à 16h30. « Elle est venue nous passer un peu de baume », souffle un journaliste alors qu’un autre explique que la présidente de France TV a avoué lors de son allocution « ne pas avoir beaucoup de réponses » pour eux quant à la suite.
« On a été abasourdi, personne ne nous avait prévenu de ce qui allait se passer, détaille une autre qui préfère garder l’anonymat. Tout a été fait sournoisement, pendant les vacances, en nous laissant dans le flou. On se doutait qu’il y allait avoir quelque chose mais on ne pensait pas qu’on pouvait couper une chaîne comme ça. En fait si. »
Dés pipés et faibles connaissances de France Ô
Par ailleurs, ils sont nombreux à penser que les dés étaient pipés d’avance. Nathalie Sarfati, du collectif Sauvons France Ô assure que la décision était déjà prise avant même que les auditions soient faites par les différentes commissions.
Lors de leur audition par la commission de concertation sur la réforme de l’audiovisuel public, les représentants syndicaux et le collectif Sauvons France Ô ont eu la désagréable impression que leurs interlocuteurs « n’avaient que de très faibles connaissances sur [la] chaine », selon Didier Givodan, délégué syndical SNJ à France Ô. « A la fin, ils nous ont demandé un best-off de nos vidéos », soupire-t-il.
Nathalie Sarfati raconte leur avoir envoyé plusieurs de vidéos par WeTransfer. « Ils ne les ont jamais ouvertes, s’énerve-t-elle. Ils ne savaient même pas ce que l’on faisait. Ils avaient déjà pris la décision. Ils se sont bien foutu de nous. C’était dans les valises depuis longtemps. C’est hyper brutal et injuste. »
Le mépris des chaines généralistes pour l’Outre-Mer
De fait, la réduction des coûts de l’audiovisuel public est annoncée depuis longtemps. « Mais là on est dans le symbole, pense Didier Givodan. On montre à Bercy qu’on fait quelque chose, mais ça ne changera pas grand chose dans le budget. »
Outre des questions budgétaires, le gouvernement avance la trop faible audience et une volonté de placer les territoires et les habitants ultramarins dans l’audiovisuel public généraliste « et non pas à la périphérie comme c’est le cas aujourd’hui à travers la chaîne France Ô ». Certains ayant parlé d’une chaîne « ghetto » ou encore « d’alibi ».
Là aussi, les salariés sont sceptiques. « On connait le mépris qu’on France 2 et France 3 pour nous, décrit Nathalie Sarfati. Ils veulent mettre de l’Outre-Mer dans les JT ? Très bien. Allez mettre dix minutes de Mayotte et Wallis-et-Futuna à 20 heures… On se berce d’illusions là. »
Vers une agence d’images ?
« On voit mal comment ils vont faire ça, confirme Didier Givodan. Ils insistent beaucoup sur la météo, ça ne me parait pas fondamental. » Le syndicaliste, fort de ses trente ans d’expérience sur l’Outre-Mer n’y croit pas un instant. « Il faudrait changer la philosophie de la direction de l’information de France 2 et France 3. Imaginez un journaliste avec un accent d’Outre-Mer ? Ils vont referont le sujet. Ils ne prendront que des images d’illustrations. »
Beaucoup craignent qu’à terme, ils ne deviennent un simple réservoir à images à destination des autres chaînes du service public, France 2, 3 et France Info. Une sorte d’agence d’illustration pour l’Outre-Mer.
Une journaliste qui travaille depuis dix ans dans la chaine grince des dents. « On n’est pas connu chez les confrères, même au siège. Je n’ai jamais senti une volonté de la direction d’intégrer France O dans la direction de l’entreprise. On ne relaye jamais nos programmes. Je me suis souvent demandé si c’était de l’ignorance ou du mépris. Aujourd’hui c’est clair… »
Didier Givodan résume. « On sait ce qu’on va perdre, mais on ne sait pas encore ce qu’on a gagner sur France 2 ou France 3. »
Critiques contre la direction
Le collectif Sauvons France Ô souligne aussi « le non-soutien de la direction ». « Quand il y a eu des bruits, personne n’a proposé de vrai projet, regrette Nathalie Sarfati. On a eu une direction soumise. » Une autre enchérit. « C’aurait été plus facile et plus honnête de venir nous parler pour dire clairement « Ça ne va pas“. Nous on avait un million d’idées. »
Notamment à propos des critiques d’une chaine « ghetto » ou « alibi ». Là, les salariés regrettent les errances éditoriales. « On veut bien entendre le problème de la ligne éditoriale, explique une journaliste très remontée. Mais ce n’est pas nous. Ce sont des décisions prises au-dessus. Il y a eu une succession de dirigeants. Les gens se sont perdus, c’est vrai. »
Un intermittent qui souhaite rester anonyme est très amer envers la direction. « C’était inévitable malheureusement. Les différentes rédactions n’ont fait que des mauvais choix. L’immense majorité de la direction ne connait rien à l’Outre-Mer. »
Tout numérique
Quant à passer au tout numérique, les journalistes restent dubitatifs. « Il n’y aura rien en continu. Pourquoi aurait-on plus de visibilité et d’audience sur le web ? On ne voit pas pourquoi on ferait mieux alors qu’on a déjà un site. La télé reste importante. Ils veulent viser les jeunes, mais ce n’est pas notre public cible. »
Plusieurs journalistes déplorent une perte qualitative pour la télévision française. « C’est la fin d’une chaîne de savoir. Il n’y en a plus beaucoup sur la TNT. Sur France Ô, il y avait d’excellents reportages qu’on ne voyait pas ailleurs. Tout ça c’est terminé. »
Conséquences sur l’emploi ?
Se pose désormais la question d’éventuelles conséquences sur les postes et les 400 salariés de la chaine. Si la présidence de Radio France a assuré qu’aucun plan de licenciement n’est à l’étude, le personnel reste prudent.
La plupart d’entre eux travaillent également pour les chaînes premières en Outre-Mer. « Mais beaucoup vont se retrouver en sous-emploi, estime Didier Givodan. Comme il n’y aura plus France Ô, ils vont perdre du volume de travail. »
Premières victimes de cette baisse : les intermittents et les pigistes. « Pour nous les CDI, on va être replacés, je m’inquiète pas trop, analyse une journaliste dans cette situation. Mais les copains techniciens ou pigistes d’une cinquantaine d’années, qu’est-ce qu’ils vont faire eux ? L’avoir annoncé pendant l’été, ça veut tout dire… ».
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