En Belgique, la N-VA, parti nationaliste flamand est sorti en tête des législatives. Le gouvernement d’Elio di Rupo a déposé sa démission. Une situation qui rappelle de près la crise de 2010, qui avait laissé la Belgique sans gouvernement. Retour sur les circonstances du vote et ses conséquences avec Dave Sinardet, politologue à l’université de Bruxelles.
La N-VA n’a pas obtenu la majorité absolue en Belgique, ni même en Flandre. Pourquoi le gouvernement a-t-il été obligé de démissionner?
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Dave Sinardet – C’est normal, il y a eu des élections, le gouvernement doit immédiatement démissionner, pour former un nouveau gouvernement. En Belgique, c’est comme ça que ça se passe à chaque fois.
Quel est le programme de la N-VA?
C’est un parti nationaliste flamand. Dans ces statuts on voit qu’il est également clairement séparatiste: la Flandre doit devenir un État indépendant membre de l’UE. Mais la raison la plus importante de son succès, c’est qu’elle ne met pas trop l’accent sur l’aspect nationaliste. On voit qu’en Flandre il n’y a que 10 à 15% de la population qui est séparatiste. Bart de Wever, qui est le président ainsi que la figure la plus populaire de ce parti, n’utilise généralement pas un discours nationaliste classique, à savoir dire que l’État et la nation doivent coïncider. Il dit que l’autonomie n’est pas un but en soi, mais un moyen pour obtenir la politique que veulent les Flamands. Selon lui, les Flamands votent tout le temps à droite, alors que le sud du pays vote plutôt pour le parti socialiste, qui est beaucoup plus à gauche que la majorité des partis socialistes. Et finalement c’est le Parti Socialiste qui gouverne. Donc pour de Wever, l’autonomie n’est qu’un moyen pour payer moins de taxes, avoir des réformes socio-économiques libérales, être plus strict avec les chômeurs et les immigrés, …. Ça permet d’attirer aussi des gens qui sont pas du tout séparatistes ou même pro-Belges. C’est clairement ce qui fait le succès du parti.
Est-ce qu’il y a des risques réels de séparation?
Dans le contexte actuel, pas directement. La N-VA a fait une victoire un peu à la Pyrrhus. C’est vrai qu’ils sont les plus grands mais ils n’ont pas pris les voix aux partis flamands traditionnels qui gouvernaient au niveau fédéral, mais surtout à l’extrême-droite. Donc ils ne sont pas incontournables, on peut faire une majorité sans eux. Ça ne les met pas nécessairement dans la situation la plus confortable. Déjà dans la campagne, ils ont laissé entendre qu’ils pourraient participer à un gouvernement fédéral. Il faudra voir si c’est possible surtout que ça devra probablement se faire avec le PS, contre lequel la N-VA a bâti toute sa campagne et en plus sans nouvelle réforme de l’État, puisque les autres partis n’en veulent pas. C’est quand même assez difficile pour un parti nationaliste comme la N-VA. Donc pour l’instant, il ne semble pas y avoir de risque de scission de la Belgique.
Le parti socialiste sera donc encore au gouvernement?
Du côté francophone, le parti socialiste semble incontournable. Mais la question c’est est-ce qu’il sera possible de faire une alliance avec la N-VA. Ça semble très difficile, la N-VA n’a rien à gagner dans une coalition avec le PS et sans réforme de l’État.
Est-ce surprenant de trouver à nouveau le nationalisme flamand à un tel niveau?
C’est surprenant dans la mesure ou le séparatisme est supporté par une petite minorité de Flamands. Le nationalisme dans le sens pur du terme n’est pas très populaire en Flandre non plus, et pourtant un parti nationaliste flamand arrive premier en Flandre. Il y a un paradoxe bien sûr. Mais cela a à voir avec une bonne stratégie : la N-VA a porté un discours qui n’était pas anti belge ou anti-wallon mais plutôt anti PS, un discours surtout socio-économique. Les électeurs devaient choisir entre le modèle N-VA et le modèle PS. Mais c’était un choix faux, puisque, et c’est un des grands problèmes en Belgique, il n’y a pas de partis nationaux. Tous les partis existent en une version néerlandophone et francophone. Le parti socialiste du premier ministre Elio Di Rupo ne s’est présenté qu’au sud du pays, donc en Flandre on ne pouvait pas voter pour ou contre eux. Ce système connaît un déficit démocratique: les partis peuvent gouverner tout le pays en n’étant électoralement responsables que dans une moitié du pays, mais les électeurs ne peuvent se prononcer électoralement sur tous les partis qui les ont gouvernés. En plus, ça renforce la polarisation, les partis politiques ne tiennent compte que des intérêts des électeurs dans leurs propre communauté linguistique.
Bart de Wever est pressenti pour être nommé premier ministre. Pourquoi alors que son parti n’a pas la majorité absolue?
En Belgique, on a un système proportionnel, il faut donc attendre de voir quelles sont les coalitions possibles, quels partis peuvent trouver une majorité ensemble. Là on voit que la N-VA est bien sûr le plus grand parti mais il y a aussi des coalitions possibles sans la N-VA. En plus, même si la N-VA est dans un gouvernement fédéral, les chances qu’elle livrera le premier ministre sont extrêmement minces. Pour un séparatiste flamand, représenter l’Etat belge n’est pas évident. Ni politiquement, ni psychologiquement.
Y a-t-il des similitudes avec la crise de 2010 qui avait laissé la Belgique sans gouvernement pendant plus d’un an?
En fait, à l’époque, le gros de la crise a été la suite de la négociation d’une réforme de l’État qui devait donner plus d’autonomie aux régions et aux communautés. La N-VA et les autres partis flamands ne voulaient pas commencer à négocier la formation d’un gouvernement tant qu’il n’y aurait pas cette réforme-là. On a donc parlé presque que de cela pendant 485 jours. Les 56 jours suivants, on a finalement parlé de la formation du gouvernement Di Rupo, qui s’est installé fin 2012. Aujourd’hui, la N-VA est toute seule avec sa demande d’une nouvelle réforme de l’Etat. Et puisqu’elle n’est pas incontournable, elle ne peut pas l’imposer. Donc les seules similitudes qu’il y a, c’est qu’à nouveau, la N-VA et le PS sont les deux grands vainqueurs des deux côtés de la frontière linguistique. Donc, il faudra à nouveau essayer de trouver un accord entre ces deux-là. Mais cette fois-ci, si on voit que ça ne marche pas on va peut-être aller plus vite vers d’autres scénarios. Bien sûr, il y a toujours des risques. Tout dépend du positionnement des deux partis. En 2010, le parti chrétien-démocrate flamand insistait pour impliquer la N-VA. Il a fallu un an pour qu’ils acceptent de se détacher de la N-VA et de former un gouvernement et de faire la grande réforme de l’Etat sans eux.
Le contexte des élections européennes a-t-il joué en faveur de la N-VA?
Non, parce qu’en fait l’Europe n’était presque pas présente dans la campagne. En plus la N-VA a fait un moins bon score aux européennes. Elle est moins associée à un discours européen. En Belgique, il y a beaucoup moins que dans d’autres pays un discours eurosceptique ou un débat autour de l’Europe. Le seul parti qui avait un discours eurosceptique c’est le parti d’extrême droite, le Vlaams Belang qui a dégringolé, puisque la plus grande partie de ses voix est allé vers la N-VA.
La fusillade de ce week end qui a fait 3 morts dans un musée juif a-t-elle joué aussi selon vous?
Non. Si ça avait joué, cela aurait dû renforcer le parti d’extrême droite, puisque c’est eux qui misent beaucoup sur l’aspect sécurité et anti-Islam, mais, en l’occurrence, ils sont les grands perdants de ces élections.
La N-VA et l’extrême droite ne partagent pas de valeurs?
Il y a une différence très claire entre le Vlaams Belang et la N-VA. Il y a aussi des sujets qui les rapprochent, c’est sûr, comme le nationalisme flamand et le séparatisme, même si la N-VA est plus pragmatique sur ce point de leur programme. Ils font tous deux partie aussi du mouvement flamand plus large. Après il y a une grande différence entre les deux, le Vlaams Belang est clairement un parti d’extrême droite avec un discours anti-islam et anti immigrés très prononcé, tandis que la N-VA est un parti certes nationaliste mais pas d’extrême droite, sans discours raciste même s’il défend également une immigration plus stricte. C’est tout d’abord un parti nationaliste flamand, plutôt de centre droit avec des touches très libérales ces dernières années.
Propos recueillis par Caroline Debray
{"type":"Banniere-Basse"}