Pour Stéphane Gatignon, l’ancien maire de Sevran qui a démissionné pour protester contre le manque de moyens de l’État dans les quartiers, le discours d’Emmanuel Macron sur la banlieue montre encore le décalage qui existe entre la perception de banlieue par l’exécutif et la réalité de ces territoires.
Quelle est votre réaction suite à la présentation du plan ?
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Stéphane Gatignon – Le discours du président de la République, qui était très important et très attendu, n’a pas été à la hauteur et les propositions qui ont été faites restent faibles. Au final, on se retrouve avec pas grand chose et il ne nous reste qu’à attendre le mois de juillet et le lancement du plan « Cœur de quartiers », mais bon… Tout cela n’est pas à la hauteur des enjeux.
Le plan Borloo comportait 19 propositions sur la banlieue, « contre un nouvel apartheid ». Allait-il dès le départ, selon vous, au cœur du sujet ?
Le plan Borloo, c’est une boîte à outils avec des propositions en 19 points. Premièrement, Emmanuel Macron n’en ressort pas grand chose. Il parle un peu de tout, dans un discours qu’il ne qualifie lui-même pas de discours… On ne sait pas de quoi il s’agit. Il n’y a rien de précis, il n’y donne aucune ampleur alors qu’il aurait pu faire d’autres propositions. Il aurait pu dire, comme il paraît qu’il est libéral, qu’il allait décharger les entreprises de moins de cinq salariés pour combattre le travail au noir et offrir des perspectives d’emplois. Mais il n’a rien fait rien de la sorte. Il n’y a aucune nouvelle proposition forte et, en même temps, il ne reprend aucune des propositions de l’ancien ministre de la Ville.
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Notamment en matière de sécurité où les annonces restent faibles…
Toute la partie sur les questions de sécurité est faussée car tout avait déjà été annoncé dans le plan de police de sécurité du quotidien (PSQ), l’année dernière. Il nous explique qu’il faut lutter contre le trafic de stupéfiants tout en nous annonçant qu’il n’y aura aucune légalisation… Il clôt le débat avant même de l’avoir engagé. Son discours et ses propositions ne suffisent pas quand on connaît la gravité de la situation, qui est déjà trop compliquée et qui risque de continuer de s’aggraver dans les mois à venir. On n’insuffle aucune dynamique nouvelle pour mobiliser les acteurs de terrains : les élus, les associatifs, etc.
Quid des contrats aidés ?
Il n’a pas eu un mot à ce sujet ! Alors qu’on sait très bien que, dans le monde associatif, que ce soit les clubs culturels ou les associations sportives, cette question est essentielle. 260 000 contrats aidés doivent prendre fin cette année, qu’est-ce qu’on va faire derrière ?
Vous avez démissionné de votre poste de maire de Sevran le 28 mars. Le discours d’Emmanuel Macron vous donne-t-il raison ?
L’annonce de ce plan, au contraire de me faire regretter ma décision, la renforce. Cela fait dix-sept ans que j’entends ce genre de discours, j’en ai largement fait le tour. Il y a trop peu de choses qui bougent et qui changent. Je vois ça de l’extérieur désormais mais ça s’annonce compliqué. Je ne suis pas dans l’histoire pour ma part, un nouveau maire a été nommé à Sevran. Je reste conseiller municipal mais c’est tout.
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On sent de la fatigue et de l’abattement dans votre discours…
Je ne suis pas abattu mais il y a deux choses à noter. Déjà sur le discours, il faut redonner de la confiance à la population des banlieues. Ceux qui font que la vie continue dans nos territoires, les corps intermédiaires, ceux qu’on ne voit pas. Mais comment leur rendre confiance de cette façon ? Il n’y a rien eu en ce sens. D’autre part, dans l’idée de mettre un terme à la ghettoïsation, on marche à l’envers ! Il n’y a chez Emmanuel Macron aucune ambition de penser la banlieue autrement, d’avoir une vraie réflexion sur le sujet.
Se dirige-t-on selon vous vers un nouvel échec de l’acceptation des banlieues par le reste du territoire national ?
Je pense que ce plan prouve l’incompréhension totale et le manque de travail sur ce qu’aujourd’hui doivent être nos territoires. Il faut arrêter d’empiler la pauvreté et faire bouger les choses. On parle de villes compliquées, qui subissent l’Histoire. Quand on a réaménagé Sevran, s’est posée à maintes reprises la question de la pollution. On est situé sur d’anciens sites industriels, ce sont des dossiers qui sont compliqués et c’est pour cela qu’il faut aussi renforcer le pouvoir de nos élus locaux.
La semaine dernière, un rapport intitulé La République en échec en Seine-Saint-Denis a fuité et annonçait pourtant la gravité de la situation…
Les représentants de cette commission parlementaire y ont noté que la Seine-Saint-Denis avait moins de policiers, moins de justice et moins d’écoles que les autres territoires. Rendez-vous compte que le lycée le mieux doté du 93 était équivalent au moins doté de Paris. L’exécutif a, j’imagine, tout fait pour que ce rapport ne fuite pas avant son discours mais, malgré cela, il n’en dit même pas un mot hier… Macron n’est que dans le rattrapage. Au final, on se retrouve encore avec beaucoup de paroles en l’air mais le problème est que ces paroles, on s’en fout. Ce qu’on veut savoir maintenant c’est : « Comment on fait ? » Les habitants, les personnes aux commandes dans les communes, dans les départements, comment font-elles ?
Propos recueillis par Julien Rebucci.
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