Dans une enquête parue le 1er avril, le journal russe d’opposition « Novaïa Gazeta » révélait l’existence d’une vaste répression contre les homosexuels, enlevés, détenus et torturés par des officiels en Tchétchénie.
Une violente campagne de répression des homosexuels est déclenchée depuis plusieurs semaines en Tchétchénie, dénonce le journal Novaïa Gazeta. Tanya Lokshina, directrice du programme russe de Human Rights Watch, ONG de défense des droits de l’homme, revient sur ces révélations.
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Avez-vous appris l’existence de cette répression contre les homosexuels avec l’enquête de la Novaïa Gazeta ?
Tania Lokshina – Non. Dans la deuxième moitié de mars, nous avons reçu des récits de différentes sources de Tchétchénie et de la diaspora Tchétchène en Europe rapportant les enlèvements et détentions d’hommes homosexuels en Tchétchénie. Donc, lorsque Novaïa Gazeta a publié son enquête le 1er avril, nous avons immédiatement confirmé avoir reçu des informations similaires émanant de nos propres sources. Le nombre de ces témoignages, couplé à la teneur de leurs récits, ne nous laissait aucun doute: des homosexuels sont chassés et torturés par des officiels tchétchènes.
———–>>>>>>>> A (re)lire : Arrestations, tortures… la Tchétchénie accusée de tuer des homosexuels.
Pourquoi ne pas les avoir publiés ?
Nous avions quelques témoignages de différentes sources mais aucune confirmation. Il nous manquait des éléments.
Avez-vous d’autres informations concernant ces détentions ?
Nous avons interviewé plusieurs victimes et nous travaillons étroitement avec le Réseau LGBT, une organisation pour les droits LGBT en Russie, qui fournit une assistance aux victimes. Nous avons appris qu’il y avait eu une vague de détentions début mars qui a cessé aux alentours de mi-mars. Puis, la dernière semaine de mars et la première semaine d’avril, une vague de répression plus brutale encore a surgi. Des dizaines de victimes présumées ont contacté la ligne téléphonique mise en place par le Réseau LGBT, qui soutient actuellement vingt réfugiés et reçoit toujours plus de demandes d’assistance. Pour autant que nous sachions, depuis début mars, la police et les officiels de l’agence de sécurité tchétchène ont arrêtés environ 200 hommes en raison de leur homosexualité, les ont torturés, et humiliés dans des centres de détention non officiels dispersés sur le territoire tchétchène. La durée de détention varie de un jour à deux semaines. Certains ont disparu. D’autres sont retournés auprès de leur famille après avoir été sévèrement battus. Au moins trois hommes seraient morts depuis le début de cette vague de répression. Deux auraient été torturés à mort, un autre aurait été tué par sa famille « pour laver l’honneur », une pratique encouragée par les officiels. Certains détenus sont forcés de « se confesser et de se repentir » devant leurs familles, à leur tour humiliées par les autorités pour avoir un membre homosexuel, ce qui alimente un climat propice aux « meurtres d’honneur ».
Ce type de pratiques a-t-il toujours existé en Tchétchénie ?
Ce n’est pas la première fois que les autorités tchétchènes arrêtent des homosexuels. Ce qui est différent ici c’est qu’il s’agit d’une campagne de répression massive, brutale et organisée par les plus hautes autorités de la région.
La répression contre les personnes LGBT est-elle plus brutale en Tchétchénie qu’en Russie ?
L’homophobie est forte en Tchétchénie. Les personnes LGBT courent le danger d’être persécutées par les autorités mais également d’être victimes de « meurtres d’honneur » perpétrés par leurs propres parents afin de laver l’ »honneur de la famille ». Un double danger qui les met dans une situation particulièrement précaire. Faire son coming out n’est pas envisageable là-bas. Ces personnes vivent dans la terreur constante et les autorités russes ne font rien pour les protéger.
Le porte-parole du gouvernement tchétchène a expliqué qu’ils ne pouvaient « pas arrêter des gens qui n’existent simplement pas dans la République » et que « si de telles personnes existaient, les forces de l’ordre n’auraient pas à s’en soucier puisque leurs proches les auraient déjà envoyés là où ils ne pourraient jamais revenir ». Ce type de déclaration violemment homophobe est-il fréquent ?
L’homosexualité est utilisée pour salir l’honneur d’une famille. Comme je le disais, les hommes homosexuels risquent d’être tués pour « l’honneur ». Une pratique encouragées par certaines déclarations d’officiels tchétchènes, comme celui que vous citez.
Qu’attendez-vous de la communauté internationale ?
Les gouvernements occidentaux devraient pousser le gouvernement russe à prendre des mesures urgentes afin de mettre un terme à cette campagne anti-gays et à déclarer publiquement qu’ils s’engagent à protéger les personnes homosexuelles en Tchétchénie et qu’ils ne toléreront plus jamais une telle violence. Ils devraient également faire ce qui est en leur pouvoir pour aider les personnes LGBT à quitter la Tchétchénie et à émigrer ailleurs qu’en Russie: ceux ayant quitté la Tchétchénie pour se réfugier dans d’autres régions russes attendent d’un jour à l’autre que les autorités tchétchènes viennent les arrêter. Il faut donc fournir et expédier des visas humanitaires, ou tout autre type de permission de voyager comme un visa touristique aux personnes actuellement en danger en Russie.
Que risque la Novaïa Gazeta ?
Plusieurs journalistes de la Novaïa Gazeta ont été tués pour leurs travaux courageux. Elena Milashina, la journaliste qui a révélé cette horrible purge anti-LGBT, a reçu plusieurs menaces très sérieuses. Nous sommes très concernés par sa sécurité.
Cet article pourrait-il avoir pour conséquence d’amplifier la répression contre la communauté homosexuelle en Tchétchénie ?
Non. Le tollé public et médiatique déclenché par cet article ne peut que servir à mettre un terme à ce cauchemar. Face à la pression de la communauté internationale, Poutine pourrait très bien décrocher son téléphone et appeler Ramzan Kadyrov [président de Tchétchénie, fervent soutien de Vladimir Poutine, ndlr]. Ça reste une éventualité.
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