Pour la première fois en France, 5342 personnes incarcérées vont voter aux élections européennes. Si pour Maxime Boyer, président de l’association étudiante Genepi, “c’est une bonne chose”, leur possibilité de participer à la vie citoyenne reste bien trop maigre.
5342. Voilà le nombre de détenu.e.s qui, en France, pourront voter par correspondance aux élections européennes, soit 10 % des quelque 56000 personnes incarcérées (les mineur.e.s, étranger.e.s et individus déchus de leurs droits civiques n’auront pas cette possivbilité). Le Conseil constitutionnel a en effet validé cette disposition de la loi de programmation et de réforme pour la justice, qui concerne spécifiquement les élections européennes. A la base, près de 10000 détenu.e.s en avaient émis la demande, mais, environ la moitié n’étant pas inscrite sur les listes électorales, le chiffre a été réduit de moitié.
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Contrairement aux élections présidentielle et législative de 2017, où le taux de participation avait été compris entre 3 et 5 % et où les détenu.e.s ne pouvaient voter que par procuration ou dans le cadre d’une permission, ils et elles pourront voter au sein de leur établissement pénitentiaire de manière anticipée. Seul.e.s dans une pièce, les détenu.e.s qui auront au préalable reçu du “matériel de vote” pourront mettre leur bulletin dans une enveloppe, laquelle sera transmise à un greffier, qui la mettra dans un autre pli, contre signature. Les bulletins seront acheminés à Paris, et dépouillés le jour J – le 26 mai – par une commission électorale.
Ce nouveau dispositif s’inscrit dans la volonté affichée d’Emmanuel Macron de simplifier l’accès au vote pour les détenu.e.s. La ministre de la Justice Nicole Belloubet, avait également jugé le fonctionnement précédent (permission ou procuration) “très compliqué”. Si, par exemple, le délégué général de l’association Robin des lois a salué dans Libé “une belle avancée”, Maxime Boyer, président de l’association étudiante Genepi, estime que “s’il est important de s’intéresser à comment permettre aux détenu.e.s de participer à la vie politique de leur pays, et que le principe de faciliter l’accès au vote va dans ce sens-là”, cette annonce ne comblerait pas le manque d’inclusion des détenu.e.s dans la vie politique et citoyenne, voire servirait à masquer cet état de fait (et ce, dans « un contexte où les prisons sont au plus mal« ). Et appelle à une systématisation d’un dispositif similaire pour les autres élections – si le ministère de la Justice a annoncé qu’un “dispositif pérenne” était en cours d’étude, celui-ci ne devrait en effet pas être reconduit pour les élections municipales de 2020. Entretien.
Vous félicitez-vous de la mise en place d’un vote par correspondance, en prison, pour les détenu.e.s, à l’occasion des élections européennes ?
Maxime Boyer – Vaste question. Ce qu’on dit par rapport à cela, c’est qu’il faut faire attention à la façon avec laquelle on traite ce sujet. En effet, c’est important de s’intéresser à comment permettre aux personnes détenues de participer à la vie politique de leur pays. On constate que le principe de faciliter l’accès au vote pour ces personnes va dans ce sens-là. Ceci dit, ce que l’on constate aussi, c’est que ce sujet a beaucoup été traité dans l’espace médiatique, dans un contexte où les prisons sont au plus mal.
Nous, ce qu’on dénonce, c’est l’instrumentalisation qui en est faite par le ministère de la Justice et la direction de l’administration pénitentiaire : on met en avant cette chose-là, qui en soi est un dispositif exceptionnel, puisqu’il s’agit d’un bureau de vote centralisé à la direction de l’administration pénitentiaire, alors que d’habitude ce n’est pas le cas. On se sert de cet événement pour masquer la réalité des prisons, alors que, dans les faits, il y a beaucoup de choses qui sont faites pour empêcher les détenu.e.s de participer à la vie politique.
Par ailleurs, par rapport aux élections européennes, il y a peu d’enjeux par rapport aux prisons. Il y a des lois européennes qui vont concerner la prison mais celles-ci ne vont pas forcément faire avancer les choses pour les personnes détenues et pour la situation carcérale en France. Pour l’instant, trente-sept prisons en France ont été condamnées par la Cour européenne des droits de l’homme pour des conditions de détention jugées indignes (en réalité trente-cinq par la justice française et trois par la Cour européenne des droits de l’homme, devant laquelle sept recours ont été mis en œuvre, voir cette carte de l’Observatoire international des prisons, ndlr). Mais, en soi, il n’y a pas de changement. En effet, il y a beaucoup plus d’enjeux concrets pour les élections municipales. Par exemple, la gestion des transports : souvent les prisons ne sont pas en centre-ville, et il n’y a que très peu de navettes qui les desservent. Alors que c’est important pour les détenu.e.s et leurs proches.
Un autrevexemple montre bien selon moi l’instrumentalisation de ce sujet : le 27 mars, nous avons eu un rendez-vous interassociatif avec la direction de l’administration pénitentiaire, qui rassemblait une dizaine d’assos partenaires de l’institution. Ce rendez-vous était un peu sans précédent, et résultait de la sollicitation de plusieurs associations car beaucoup d’entre elles observaient des difficultés de communication avec la direction de l’administration pénitentiaire, mais aussi des problèmes concrets par rapport à leurs actions dans les établissements pénitentiaires. Toutes les assos avaient la possibilité de proposer des points à l’ordre du jour de cette réunion.
Nous, bien sûr, au Genepi on voulait parler de la situation des associations, dans le sens où nous avons été particulièrement visés récemment avec la suppression par la direction de l’administration pénitentiaire d’une subvention de 50 000 euros en octobre 2018 (un nouveau partenariat, sans subvention, a été signé en février 2019, ndlr). Pendant ce rendez-vous, à aucun moment on n’a parlé de cela, mais on a eu un gros temps sur le droit de vote et sur le dispositif spécifiquement mis en place pour les élections européennes. Alors que nous, ce que nous attentions c’était des réponses concrètes par rapport à nos appréhensions. On a le ressenti que ce sujet est instrumentalisé pour détourner des vrais problèmes, que ce soit les associations, les conditions de détention, le travail dans les établissements pénitentiaires…
Auparavant, les détenu.e.s devaient voter par procuration ou bien demander une permission, ce qui était, de l’aveu même de la ministre de la Justice, “très compliqué”. Le Genepi dénonçait également cela dans son guide des adages 2018. En quoi le nouveau dispositif de vote en prison, malgré les critiques que vous mettez en avant, pourrait-il tout de même faciliter l’accès au droit de vote ? Est-ce tout de même une avancée ?
Beaucoup de détenu.e.s ont demandé des permissions de sortie alors qu’elles ne sont pas éligibles. C’est déjà une première difficulté. Le deuxième problème est que les réponses concernant les permissions de sortie arrivent souvent trop tard pour que, en cas de refus, des démarches puissent être faites pour voter par procuration. Par rapport au vote par procuration, tou.te.s les détenu.e.s n’ont pas forcément quelqu’un qui peut aller voter pour eux et elles : si on est domicilié au bureau de vote de la ville dans laquelle on est détenu, on n’a pas forcément de personne qui réside dans la ville en question pour faire procuration.
Nous, ce qu’on essaie de faire avec le Genepi, c’est de porter la voix des personnes détenues. Ce que l’on observe de façon générale, ce n’est pas un très fort intérêt pour les élections européennes. C’est bien de faire des efforts pour rendre accessible le droit de vote pour plus de détenu.e.s. Mais ce serait mieux de faire en sorte que ce dispositif soit généralisé, mais aussi qu’il y ait une vraie possibilité pour les personnes détenues de participer à la vie politique. Et, notamment, par la possibilité de s’associer, de se syndiquer, ce qui est illégal en prison en France.
Il est interdit dans notre pays par la loi de s’associer afin de s’organiser pour porter collectivement des revendications, typiquement sur les conditions de détention ou même les conditions de travail, les conditions d’accès aux soins, etc. Ce que nous, au Genepi, nous trouvons ahurissant, car il y a beaucoup de choses à dire sur les conditions de travail et de détention.
Dans vos rencontres avec les détenu.e.s, ressentez-vous une envie chez eux et elles de pouvoir plus facilement voter ?
Oui, et c’est tout à fait légitime. On condamne ces personnes parce qu’elles n’ont pas respecté la loi, mais, à côté de cela, l’Etat ne la respecte pas non plus, car il y a des droits qui leur sont promis, qui leur sont dus, mais qu’on ne leur permet pas d’exercer. Cela ne devrait pas être un poids en fait, ce sont des droits et même si elles n’ont pas envie de s’en servir, et d’aller voter – il y a environ 70000 personnes en prison, et donc 70000 conceptions du vote – elles devraient avoir les mêmes droits que les personnes à l’extérieur car la prison est une privation d’aller et venir, mais les autres droits et libertés ne sont pas censés être affectés.
Les personnes détenu.e.s ont-elles par ailleurs assez accès à l’information ?
On dénonce un manque de transmission d’informations. Exemple très concret qui concerne le Genepi : il y a parfois des détenu.e.s qui ne sont pas au courant de la tenue d’une activité par nos bénévoles. Cela se traduit partout, et forcément que cela va se traduire à ce niveau-là. Ceci dit, c’est toujours compliqué de faire des généralités concernant la prison car chacune a ses spécificités, il y a plusieurs types d’établissement avec des modes de fonctionnement divers et variés et des politiques carcérales tout aussi diverses et variées.
Quoi qu’il en soit, s’il y a quelque chose qui est mis en avant sur le droit de vote et si le ministère de la Justice et la direction de l’administration pénitentiaire mettent en avant le fait qu’elles ont fait un gros effort d’information en prison pour que tout le monde soit au courant de ces élections, nous pensons que cela doit être généralisé à toutes les pratiques de participation à la vie citoyenne et politique et du pays.
Dans son dernier rapport, la contrôleuse générale des lieux de privation s’alarme du fait que nombre de droits fondamentaux en prison sont “chaque année plus limités par une culture sécuritaire qui ne cesse d’imposer de nouvelles contraintes”. Qu’en pensez-vous ?
On ne peut que partager ce constat un peu déplorable. Depuis 2015 et les attentats à Paris, on a assisté à une surenchère sécuritaire en prison qui a compliqué drastiquement et qui continue de compliquer nos interventions. Nous sommes des étudiant.e.s. Notre casier judiciaire est vérifié, mais on nous impose des conditions avec des caméras, des enquêtes de moralité, des personnels qui surveillent nos activités alors que ce n’était pas du tout le cas avant. Le partenariat avec la direction de l’administration pénitentiaire était basé sur la confiance.
On assiste donc à la généralisation de pratiques sécuritaires, et on nous impose des conditions dans certains établissements que l’on n’accepte pas car ces choses-là ne permettent plus le lien que l’on essaie de créer lors de nos activités faites d’échange. Cela se traduit aussi par les témoignages que l’on reçoit, la généralisation des fouilles à nu par exemple… Ce que l’on dénonce aussi, c’est la non-réaction du gouvernement face à tout cela, et même à l’Assemblée nationale.
Pour la première fois depuis dix ans, le président de l’Assemblée nationale Richard Ferrand a refusé de lire le rapport de la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté. Le rapport met le doigt sur une situation alarmante en prison, mais, face à cela, aucune mesure n’est prise et la prochaine réforme pénale va sûrement empirer les choses. Pendant ce temps-là, on parle du droit de vote en prison comme si de rien n’était.
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