L’intelligence artificielle pourrait-elle provoquer la fin de l’espèce humaine ? Laurence Devillers, professeure en informatique appliquée aux sciences humaines et sociales à Paris IV se veut plus nuancée, et aborde les véritables dangers liés à cette technologie.
Dans une interview à la BBC la semaine dernière, Stephen Hawking a dit : “je pense que le développement de l’intelligence artificielle (IA) pourrait signifier la fin de l’espèce humaine”. C’est étrange venant de quelqu’un qui est un expert de ces technologies : que pensez-vous de son affirmation ?
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Laurence Devillers – Les déclarations de Stephen Hawking sont avant tout provocatrices, il n’y a pas de propos argumentaires dans cette interview. Mais il rejoint un petit nombre de scientifiques qui mettent en garde contre les dérives de l’intelligence artificielle (IA). La grande majorité des experts en IA sont cependant plus prudents sur les performances des systèmes d’intelligence artificielle. Dans le rapport sur l’éthique de la recherche en robotique que la CERNA (Commission de réflexion sur l’éthique) a remis en novembre à Geneviève Fioraso, auquel j’ai participé, nous insistons par exemple sur les limites des systèmes actuels d’intelligence artificielle que ce soit en perception, interprétation ou en décision.
A quoi faut-il être vigilant ?
Il faut faire attention à ne pas brouiller la frontière entre le vivant et l’artificiel. L’humain a tendance à anthropomorphiser [donner un aspect ou un comportement humain, ndlr] les machines même peu douées d’intelligence. on a même constaté que l’humain projette des relations affectives avec des robots dépourvus de capacités intelligentes, comme les robots de déminage ou même les robots aspirateurs qui fonctionnent de manière autonome [les fameux Roomba et Scooba, à qui on a même donné un petit nom, ndlr].
Où en sont les travaux sur l’intelligence artificielle, aujourd’hui ?
A l’heure actuelle, les systèmes IA sont performants sur des tâches particulières, mais rien ne dit qu’il serait possible de les regrouper pour créer une intelligence supérieure! Aucun ordinateur n’a jamais réussi le test de Turing [un test d’intelligence artificielle fondée sur la faculté d’imiter la conversation humaine, ndlr] .
Mais on peut imaginer que cela pourra arriver un jour, dans un futur lointain…
Oui mais ce n’est pas vraiment une question de temps. Actuellement, les systèmes calculent déjà plus vite que les humains ! Cette interprétation à long terme est hasardeuse. La mise en danger n’est pas du tout réelle. Pour l’instant, les systèmes d’IA ne sont pas très robustes : par exemple, la reconnaissance vocale ne marche pas bien en milieu qu’on appelle « bruité », comme dans une rue passante. L’abstraction des systèmes d’IA n’est également pas suffisante pour traiter des problèmes complexes.
On ne compte plus les films qui mettent en scène des robots qui se retournent contre leur créateur : est-ce que ça n’a pas exacerbé les peurs en la matière ?
Sûrement, c’est aussi pour cela qu’il est important de faire de la pédagogie et d’expliquer où en est la science. Les robots androïdes soulèvent des craintes, qui sont amplifiées par les annonces des médias et les films. On touche à des croyances qui génèrent des peurs.
On évoque beaucoup le transhumanisme ces derniers temps.
En tant que scientifiques, nous voulons faire attention à ne pas brouiller les pistes. Le transhumanisme et tous ces mouvements sont des courants extrêmes, qui sont très visibles, amplifiés par les médias. Mais ils ne représentent qu’une petite communauté par rapport à l’ensemble des chercheurs.
Au delà de l’aspect science-fiction, destruction de l’univers, un argument plus terre-à-terre serait que les robots risquent d’engendrer du chômage, en remplaçant les humains.
Je pense que c’est faux. Les robots peuvent travailler 7 jours sur 7, 24 heures sur 24. Vous ne trouvez pas d’humain qui travaille à ce rythme-là !
Justement…
Les machines vont être utilisées principalement comme des aides à l’être humain, pour les personnes dépendantes par exemple et pour remplacer les travaux pénibles, comme dans les usines. Si on fait des batteries de machines comme ça, il faudra des gens pour les gérer. Cela engendrera beaucoup de travail.
L’argument que cela soulève, c’est que ces emplois concernent du travail qualifié. Que faire de la main d’œuvre non-qualifiée ?
Je suis d’accord, cette réflexion doit avoir lieu, et elle doit être portée par les politiques. Il faut réfléchir à une manière de répartir le travail différemment. Les machines vont créer de nouveau emplois qui n’existaient pas jusqu’ici.
{"type":"Banniere-Basse"}