Détenu depuis onze ans à Guantanamo et déclaré « libérable » par les administrations Bush et Obama, Nabil Hadjarab mène une grève de la faim qui inquiète ses défenseurs. Ce citoyen algérien, dont les proches possèdent la nationalité française, implore la France de le rapatrier. Le Quai d’Orsay et le ministère de l’Intérieur préfèrent se murer dans le silence.
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Onze années qu’il croupit dans les geôles de Guantanamo. Nabil Hadjarab, Algérien de 33 ans, reste enfermé dans une cage alors qu’aucune charge n’est retenue contre lui. Pire, il a été déclaré « libérable » par les administrations Bush et Obama, en 2007 et 2009. Encore faut-il qu’un pays veuille bien de lui. Ce ne peut être l’Algérie, où les Etats-Unis refusent désormais d’extrader des détenus, le pays étant jugé peu « sûr ». Ce peut en revanche être la France, où Nabil Hadjarab a vécu et dont il parle la langue mieux que l’arabe. Ses proches, qui y vivent depuis longtemps et possèdent la nationalité française, se battent pour le ramener. Mais depuis 2007 et la première demande du matricule AG238, la France s’abrite derrière un étrange silence.
« Je crains que Nabil ne tienne pas le coup »
Parallèlement, la situation de Nabil Hadjarab empire. Depuis février, il s’est joint à un mouvement de protestation des détenus de Guantanamo en entamant une grève de la faim. Les autorités américaines répondent par la force, usant d’une technique particulièrement douloureuse : le gavage. Ses « repas » prennent ainsi la forme d’une sonde, enfoncée dans le nez jusqu’à l’estomac. Personne ne sait dans quel état physique se trouve Nabil Hadjarab. Le seul indice est inquiétant : il n’a pas pu honorer l’entretien téléphonique prévu avec son oncle, la semaine dernière. « Il est trop faible« , ont expliqué les autorités américaines.
Une situation qui alarme l’association juridique Reprieve, basée en Angleterre, qui suit les dossiers de certains détenus à Guantanamo, dont celui de Nabil Hadjarab. Polly Rossdale, membre de Reprieve, nous expose ses craintes :
« On est très inquiet. Nabil n’avait pas cet état d’esprit là auparavant. Son but était de survivre. Il prenait soin de lui, faisait de l’exercice et refusait de provoquer les autorités américaines. S’il fait une grève de la faim maintenant, c’est qu’il est vraiment désespéré. »
L’un de ses avocats français, Joseph Breham va plus loin : « Si on n’arrive pas à le sortir, je crains que Nabil ne tienne pas le coup.«
Le Quai d’Orsay botte en touche, l’Intérieur se tait
Joint par les Inrockuptibles, le Quai d’Orsay se contente en premier lieu d’une réponse lapidaire : « Le ministère des Affaires étrangères ne souhaite pas redire ce qu’il a déjà dit sur cette affaire. » A savoir pas grand chose. Nul ne sait quelles raisons poussent l’Etat à ignorer les demandes répétées de Nabil Hadjarab, de ses proches et de ses avocats. Depuis sa première demande de libération, en 2007, les têtes se sont succédé au Quai d’Orsay : Bernard Kouchner, Michèle Alliot-Marie, Alain Juppé, Laurent Fabius… La place Beauveau a connu de son côté cinq ministres différents. Sans oublier le changement de locataire à l’Elysée. Et pourtant, rien n’évolue.
L’attitude du gouvernement est d’autant plus troublante qu’en 2009, deux Algériens de Guantanamo, Saber Lahmar et Lakhdar Boumediene, avaient été accueillis par la France. L’adjoint au porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Jacques de Noray, préfère évoquer ces cas, louant une France qui « a apporté sa contribution à la fermeture de Guantanamo« . Mais lorsqu’il s’agit de savoir pourquoi le blocage perdure avec Nabil Hadjarab, le discours est tout autre :
« Je ne peux rien vous dire là-dessus. Il existe des critères spécifiques pour son accueil qui dépendent du ministère de l’Intérieur. Quant à la question de sa libération, voyez-ça avec l’administration américaine. Je vous ai dit tout ce que j’avais à vous dire. »
Curieuse réponse. Le Quai d’Orsay serait donc complètement étranger au sort de Nabil Hadjarab. Le ministère de l’Intérieur refuse quant à lui de s’exprimer, préférant s’enfoncer dans le mutisme.
Une menace « moyenne »
Le cauchemar de Nabil Hadjarab débute en décembre 2001, en Afghanistan. Un document de l’administration américaine divulgué par WikiLeaks expose la vie qu’il aurait menée avant cette date. On y découvre un jeune homme quittant l’Algérie pour rejoindre sa famille, en France. Une fois arrivé, Nabil Hadjarab entame des démarches pour acquérir la nationalité française mais craignant d’être expulsé, il traverse la Manche et s’en va vivre à Londres. Là-bas, il se rend dans plusieurs mosquées fréquentées par des membres d’Al-Qaida. Notamment celle de Finsbury Park, « QG » de l’imam Abou Hamza, qui a depuis été condamné pour terrorisme. En mars 2001, Nabil Hadjarab décide de partir en Afghanistan pour participer à des camps d’entraînement, hébergé par Al-Qaida. Une version qu’il a toujours niée, assurant avoir rejoint l’Afghanistan pour étudier.
Le document confidentiel divulgué par WikiLeaks, en 2007.
Toujours selon ce document, Nabil Hadjarab représenterait aujourd’hui une menace « moyenne ». Joseph Breham fulmine contre ce terme :
« C’est d’une absurdité sans nom, ça ne veut rien dire. Soit on considère qu’il a commis des faits, et dans ce cas on le poursuit. Soit on considère qu’il n’a rien fait et on le relâche. Or, les Etats-Unis n’ont pas assez d’éléments pour le poursuivre. Ils utilisent le terme de menace moyenne pour ne pas dire qu’ils n’ont rien. En fait il suffit que vous ayez été en Afghanistan pour être considéré comme un terroriste. C’est un crime par la pensée. On lui reproche d’avoir potentiellement pensé à commettre un attentat. »
Une logique orwellienne qui n’est pas sans rappeler l’affaire Adlène Hicheur. Ce physicien franco-algérien avait été condamné pour terrorisme sur la simple base de propos tenus sur Internet.
Une pétition pour faire bouger le gouvernement
L’oncle de Nabil, Ahmed Hadjarab, n’a également aucun doute : « Je suis convaincu qu’ils se sont trompés« . C’est lui qui a pris soin du détenu lorsqu’il a perdu son père à l’âge de 11 ans. Au téléphone, il confie « penser jour et nuit » au sort subi par son neveu. Et n’arrive toujours pas à comprendre pourquoi le gouvernement n’a jamais pris la peine de lui donner un début d’explication :
« Nous méritons une réponse. Ne serait-ce que par gratitude pour son père, qui a travaillé toute sa vie pour la France et a servi le drapeau français durant la guerre d’Algérie. Le gouvernement doit faire un geste de gratitude pour le fils de quelqu’un qui a honoré la France. »
Pour attirer l’attention de l’Etat, Ahmed Hadjarab a lancé une pétition en février qui a recueilli près de 11 000 signatures. « A part une page Facebook, c’est le seul moyen qu’a la famille de s’exprimer et d’être entendue« , explique Agnès Brulet, directrice de la communication de Change.org, la plateforme qui héberge cette pétition. Insuffisant toutefois pour inciter le gouvernement à répondre aux questions des proches de Nabil Hadjarab.
« On ne maintient pas quelqu’un en détention quand il n’est pas poursuivi »
Révolté par le silence du gouvernement et le non-respect du droit international, l’avocat Joseph Breham compte sur la justice française pour faire évoluer la situation. Le 14 février, avec son confrère Sylvain Cormier, il a envoyé une requête au ministère de l’Intérieur pour que la France accueille Nabil Hadjarab. La place Beauvau a jusqu’à la fin de la semaine pour se prononcer. Ou continuer à faire le mort. « Je ne pense pas que le gouvernement français bougera« , estime Joseph Breham.
Les deux avocats s’apprêtent donc à saisir le tribunal administratif de Paris pour contester ce probable refus. Joseph Breham affiche un certain optimisme :
« On a une chance de gagner pour deux raisons. La première est qu’il existe un principe selon lequel on ne maintient pas quelqu’un en détention quand il n’est pas poursuivi. La seconde est que la détention de Nabil s’assimile à des traitements humains dégradants. Donc la France pourrait avoir l’obligation de faire tout ce qui est son pouvoir pour le ramener. »
En 2010, Nabil Hadjarab avait envoyé une lettre à Nicolas Sarkozy. Il y écrivait les mots suivants : « Je sais que si l’on m’en donne la chance, je saurai être un citoyen modèle, et que je ne vous décevrai pas.«
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