Alors que les logiciels d’intelligence artificielle rendent de plus en plus indécelables les faux visuels, les récentes manifestations sociales démontrent la nécessité et l’urgence de faire appel à ces professionnel·les.
Le vendredi 31 mars dernier, un communiqué de l’AFP est venu confirmer que la photo d’un très vieil homme, visage en sang, entouré de CRS, annoncée comme ayant été prise à Paris lors de la manifestation du 30 mars contre la réforme des retraites, était un faux, généré par un logiciel d’intelligence artificielle (sans doute Midjourney version 5). Un faux circulant sur Facebook de façon virale depuis le 19 mars, et ayant même été repris à la hâte par le site internet d’un très grand quotidien français.
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La volonté des un·es comme des autres de trouver une image qui corresponde exactement à nos désirs a rencontré une machine qui ne demande qu’à en accoucher. L’information a un horizon bien sombre devant elle, et les services photo des rédactions (dont on sait qu’ils sont soumis à des restrictions de coûts, là où la démultiplication des supports, versions papier et numériques, aurait dû gonfler les effectifs) vont désormais devoir redoubler de vigilance, alors que tout va toujours plus vite.
Carte mémoire à l’appui
Paradoxalement, ce premier scandale est une bonne nouvelle : sitôt entré dans la bergerie, le loup s’est fait serrer. Le signal est donc donné dorénavant aux rédactions d’en passer exclusivement par ses propres photographes (employé·es ou pigistes) ou par des agences qui elles-mêmes travaillent avec des reporters d’images capables de prouver, carte mémoire à l’appui, la véracité d’une scène prise sous ses différents angles.
Depuis la première manifestation contre la réforme des retraites, le 19 janvier, il y aurait quelque trois cents photographes en France couvrant le mouvement social dans toutes ses ramifications : manifs des syndicats, confrontations violentes en tête de cortège ou en fin de manifs “sauvages” s’organisant spontanément à partir de cinquante ou cent personnes.
“Sans forcément en avoir conscience, ce même noyau de photographes de presse a depuis mars joué le rôle d’une contre-information nécessaire”
Une poignée de ces photographes est littéralement de toutes les actions, couvrant les milieux militants au long cours depuis trois voire cinq ans. Leurs noms sont connus des rédactions comme de ceux et celles qui se passionnent pour la chose publique : Émilie Désir, Merlin Ferret, Jeanne Actu, Boby, Jean Kader, Lucas Boirat, BadYear85, Chang Martin (liste non exhaustive). Sans forcément en avoir conscience, ce même noyau de photographes de presse a depuis mars joué le rôle d’une contre-information nécessaire, tant par leurs images que par la rapidité avec laquelle ils et elles nous transmettent ce qui se passe, dans l’imprévu, via les réseaux et la communauté qu’ils et elles ont rassemblée au fil du temps.
Une autre narration
En vérité, ces photographes remplissent un vide journalistique. Et pour cause : on y voit en photo, en stories ou même en continu via des live Instagram ce qu’une partie des grands médias ne racontent pas. Une autre narration. Ainsi sur la place de la jeunesse dans les mouvements : tandis que les représentant·es de partis de droite et autres commentateur·rices professionnel·les radotaient en plateau sur l’absence des lycéen·nes et étudiant·es dans les cortèges, la jeunesse était pourtant déjà omniprésente sur leurs images, et cela dès janvier.
Chacune de leurs images rendant plus ridicule encore la panique de cette cohorte de ringard·es professionnel·les découvrant subitement l’existence d’une jeunesse mobilisée seulement mi-mars. Même chose en ce qui concerne le douloureux sujet des violences policières. Mais aussi pour ce qui est de la façon dont sont vécus de l’intérieur les événements : jamais tout à fait uniforme. L’extrême violence y côtoie dans un même instant quelconque la joie, l’ironie ou le doute.
Protégeons les photographes de presse
Que voulons-nous dire ici, exactement ? Qu’au moment même où la photographie semble menacée dans son intégrité par l’IA, l’actuel conflit social a prouvé que les photographes étaient aujourd’hui les meilleur·es reporters, plus rapides, plus aiguisé·es, connaissant mieux la politique sur ces terrains de jeu ou de guerre que n’importe quel·le autre journaliste ou commentateur·rice politique.
Leur brassard, pourtant, ne les protège pas (l’un – le photographe de Sud-Ouest Xavier Léoty – a été blessé aux mains et à la tête à Sainte-Soline) ; il n’est pas rare que durant une charge ils et elles prennent des coups, inhalent du gaz lacrymogène en continu. Quand ces photographes ne sont pas représenté·es par une agence ou mandaté·es par un média, leur matériel de protection, indispensable, peut être saisi par la police. Un casque de moto coûte cher, a fortiori quand on est payé au lance-pierre.
N’oubliez jamais que les photographes de presse sont aujourd’hui le meilleur rempart pour protéger notre démocratie politique, celle qui repose sur une information prouvée. Ils font œuvre d’intelligence collective.
Vous pouvez suivre les comptes de ces photographes de presse et les soutenir en achetant leurs tirages.
Grève générale, 2019-2020 d’Émilie Désir, texte de Marion Schaefle (auto-édité à 500 exemplaires par Émilie Désir et Florian Brennemann), 336 p., 39 €, disponible sur emiliedesir.bigcartel.com
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