Explorer une île et en examiner les moindres recoins en quête de traces d’une poignée de personnages qui, comme nous, sont des fantômes : tel est le programme du nouveau jeu de Richard Hogg et Ricky Haggett, déjà auteurs des excellents Hohokum et Wilmot’s Warehouse. Et aussi : le troublant film interactif Ordesa produit par Arte, l’obsédante simulation de cuisine Cook, Serve, Delicious ! 3 ? ! et la petite déception Torchlight III.
Vous êtes mort. Mais pas de quoi en faire drame : vous n’êtes pas seul dans ce cas et, d’ailleurs, vous êtes toujours là. Vous êtes, ou étiez, ou sans doute un peu des deux, Morris Lupton, le conservateur du musée de Shelmerston, petite île très britannique renommée, comme on le découvrira peu à peu, pour sa pêche, son whisky, ses courses en coquillage géant, son goût pour les chameaux ou sa bonne entente avec un peuple d’hommes-poissons qui partagent la vie des humains.
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Vous êtes donc mort et ce ne serait pas bien grave si vous n’appreniez, par la voix de votre chien Sparky lui aussi décédé et désormais doué de parole, qu’une menace terrible plane sur Shelmerston : une éruption volcanique ne devrait pas tarder à la détruire si rien n’est fait pour l’éviter. La solution : recruter un nouveau “gardien” qui se chargera de la protection de l’île. Un certain nombre de gardiens potentiels, tous des fantômes que vous avez connus de votre vivant, vous sont proposés. A vous de les retrouver pour les convaincre d’assumer cette immense responsabilité.
Objets cachés
Dernière création en date du duo Richard Hogg – Ricky Haggett, qui s’était déjà illustré avec les remarquables Hohokum et Wilmot’s Warehouse, I Am Dead n’est pas forcément le jeu que l’on pourrait croire, et pas seulement en raison de son esprit facétieux. En débarquant sur cette plage en compagnie du défunt Morris, on pourrait se croire dans un jeu d’aventure à énigmes ou, à la limite, dans un visual novel à l’anglaise, mais il n’en est rien. I Am Dead appartient en réalité à un genre plus souvent rencontré dans la sphère du jeu vidéo dit casual que dans les productions pointues de la sphère indépendante dans laquelle s’est spécialisé l’éditeur américain Annapurna Interactive (Sayonara Wild Hearts, Telling Lies, Outer Wilds, Kentucky Route Zero, If Found…) : le jeu d’objets cachés. Devant vous, une image riche en détails et une série de trucs qui y sont dissimulés. Le but est de trouver le premier, puis le deuxième, puis le troisième… Et quand on les a toutes vus, le jeu est fini. Voilà.
Sauf qu’I Am Dead, ce n’est évidemment pas que ça. Ici, on ne regarde pas seulement la surface mais, aussi, l’intérieur des objets qui, par ailleurs, ont des choses à nous dire. Des fragments d’histoires à raconter, des révélations douces ou cruelles sur la vie de l’île et des gens, au fil du temps. Il faut dire qu’en tant que fantôme, on a accès à tout. Et puis on les manipule, on tourne autour et on les efface même à moitié pour révéler d’autres formes et trouver les “grenkins”, sortes d’esprits farceurs, qui se glissent un peu partout. On peut enfin regarder ce qu’il y a à l’intérieur d’un paquet de chips sans être obligé de l’ouvrir. On découvre une chenille dans la laitue du frigo. Une bouteille de Jarret d’Agneau – le nom du whisky local – dans une boîte à chapeau. Un toast dans le grille-pain, certes, mais caché à l’intérieur d’un fauteuil.
« I Am Dead » (Hollow Ponds / Annapurna Interactive)
Excentricité
Le petit miracle d’I Am Dead est là : dans sa manière de ne surtout pas choisir entre l’immersion dans un monde profondément humain, où s’entrecroisent de multiples récits-puzzles à la fois drôles et touchants, et le jeu de manipulation quelque part entre Donut County, Everything ou l’illustre Katamari Damacy et son héritier direct Wattam. Avec ces derniers et une poignée d’autres comme Untitled Goose Game ou, plutôt sur le versant narratif cette fois, le tout récent Welcome to Elk, l’œuvre de Richard Hogg et Ricky Haggett s’inscrit dans une certaine tendance excentrique du jeu vidéo qui, loin de tous les formatages, est l’une des meilleures raisons de s’emballer pour la scène indé. Une tendance, aussi, qui ne témoigne aucune obsession pour cette idée que tout, dans un jeu vidéo, devrait avoir une utilité.
Dans I Am Dead, beaucoup d’objets, de lieux, de personnages et de textes parfois assez longs ne “servent” au fond à rien : les ignorer totalement n’empêchera jamais personne de finir le jeu. Mais c’est aussi ce qui les rend précieux et importants. Par exemple, alors qu’on l’ignorait au départ, on avait finalement besoin, à titre personnel, de découvrir que, parmi les livres présents à la réception du camping d’I Am Dead, figurent Piégés au paradis, présenté comme “un roman à suspense sous-marin”, ou Les Larmes du mastodonte, qui serait “une nouvelle odyssée de science-fiction” d’un auteur connu. Ou de savoir que cette tête animale accrochée à un mur est celle de Godfrey le bouc. On avait besoin d’apprendre des choses sur le peuple teapukitan. Ou sur Susan le crabe.
« I Am Dead » (Hollow Ponds / Annapurna Interactive)
Tombeau
Vous êtes mort, donc, et vous collectionnez les traces, les signes et les souvenirs de quelques autres disparus que ces découvertes feront littéralement réapparaître. En littérature, on parle de Tombeau pour désigner l’hommage, généralement poétique, rendu par un ou plusieurs de ses pairs à un grand artiste. I Am Dead est peu le Tombeau, mais en version pop et colorée, de sa poignée de personnages décédés que, nous mettant à la place de l’un d’eux – le conservateur de musée : ce n’est pas innocent –, nous entreprenons d’édifier brique par brique, souvenir par souvenir, jouet par jouet. C’est à la fois mélancolique et entraînant, tendre et piquant, simple et foisonnant. Et profondément réconfortant.
I Am Dead (Hollow Ponds / Annapurna Interactive), sur Switch et Windows, environ 16€. A paraître sur Mac.
Et aussi :
Ordesa
Etrangement proche d’I Am Dead sur certains points (mais pas du tout côté ambiance), Ordesa propose une expérience de film interactive plutôt originale. On parle bien de film et pas seulement de fiction interactive car, ici, les interventions du joueur/spectateur du moyen-métrage réalisé par Nicolas Pelloille-Oudart, qui l’a écrit avec Nicolas Peufaillit, ne consistent pas à se mettre à la place des personnages pour prendre certaines décisions qui modifieront le cours de récit mais, en cadreur improvisé, à diriger la caméra. Selon l’endroit où l’on posera notre regard, différents événements pourront se produire et, comme dans I Am Dead, donc, certains objets réveilleront des souvenirs et nous aideront à comprendre ce qui s’est passé dans cette grande maison isolée où, deux ans après l’avoir quittée, la jeune Lise retrouve son père. Franchement novatrice, l’expérience souffre peut-être d’un manque de lisibilité quand, faute de mieux, on se retrouve à pencher notre mobile au hasard pour déplacer la caméra en espérant que quelque chose se déclenche enfin à l’écran. Mais ce côté incertain et vaporeux est aussi pour beaucoup dans le trouble que provoque Ordesa.
Sur iOS et Android, Cinétévé Expérience / Arte, 3,49€
Cook, Serve, Delicious ! 3 ? !
Que personne ne nous parle de casual game. Cook, Serve, Delicious ! 3 ? !, c’est du sérieux, et ce n’est pas l’obsédant épisode 3 de cette série de jeux de cuisine devenue culte qui nous démentira. Cette fois, c’est à bord d’un food truck sillonnant une Amérique en guerre, en 2042, que l’on devra répondre aux commandes des clients inévitablement pressés et exigeants qui s’agglutinent à chaque étape devant notre resto sur roues. Pour s’en sortir dans notre nouvelle vie de roi des fourneaux, il faudra faire preuve de nerfs d’acier et, si possible, avoir un minimum anticipé les choses en préparant à l’avance certaines recettes de notre carte – au total, l’éditeur annonce plus de 200 aliments différents. En cas de grosse fatigue ou de panne d’adrénaline, on ne saurait trop conseiller le mode “chill” pour une expérience rassérénante de cuisine zen avant de replonger dans l’arène.
Sur Switch, Xbox One, Mac et Windows, Vertigo Gaming, environ 12€. A paraître sur PS4.
Torchlight III
Mollement accueilli en juin dernier lors de son lancement sur Steam en “accès anticipé”, Torchlight III reste un jeu assez bancal maintenant que sa version “définitive” est parmi nous. La faute sans doute à son développement troublé et, notamment, à l’abandon du projet de jeu free-to-play de ses concepteurs dont il a conservé certains éléments. Le résultat n’est pourtant pas désagréable à jouer et, avec ses allures de Diablo – son éternel modèle – cartoon et ensoleillé, ce troisième Torchlight possède même un certain charme. Mais, de son interface à la structure de ses missions en passant par ses éléments secondaires (gestion de l’équipement et de notre fort), il peine à se libérer d’une impression de lourdeur, comme s’il ne savait pas toujours bien où il voulait nous emmener, et surtout à quel rythme. On ne désespère pas de le voir gagner en dynamisme et en cohérence avec de futures mises en jour, mais en l’état, même si c’est un peu cruel, Torchlight III donne surtout envie de relancer Hades.
Sur PS4, Xbox One et Windows, Echtra / Perfect World Entertainment, de 30 à 40€. A paraître sur Switch.