Au Nigéria, le groupe islamiste Boko Haram déchaînait sa violence sur les familles chrétiennes. Contraintes à la fuite, elles ont quitté le Nord pour Jos, capitale de l’Etat du Plateau.
Reportage à l’hôtel Tati où elles se sont réfugiées.
Elle a la démarche claudicante et le regard las. Mary Ekwe est sortie de l’enfer de Yobe, sa ville natale, alourdie d’une des balles de Boko Haram, groupe islamiste qui attaquait son quartier alors qu’elle se rendait à la banque.
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« Deux hommes m’ont dit que j’avais trente minutes pour déguerpir. J’ai garé la voiture et je me suis enfuie. Ils m’ont tiré dessus. »
Aujourd’hui, c’est son portefeuille qui est plombé. Elle est à court de naïras. Sa maison, son snack…, elle a tout abandonné et a fui, avec ses deux enfants, le nord du Nigéria où la secte islamiste, alliée de la branche maghrébine d’Al-Qaeda (AQMI) veut imposer un Etat islamique et une stricte application de la charia. A l’instar d’une cinquantaine de familles, Mary occupe une des chambres de l’hôtel Tati, sans eau ni électricité.
Alloué depuis décembre dernier par le gouvernement local de l’Etat du Plateau, l’établissement et ses deux étages ont mué en un camp de réfugiés chrétiens. Situé à Jos, à quelques centaines de kilomètres au sud des Etats de Yobe, Kano et Borno, ces bastions nordistes de Boko Haram, l’abri est sûr. L’inconfort aussi : deux lits pour la famille de trois, des murs décrépis, un balcon avec vue sur une décharge maousse. Le docteur Adamu Garba en est le responsable : « Tous ont fui à cause du manque de sécurité au nord du pays. Boko Haram tue les chrétiens dans les églises et dans les villages. Ils sont persécutés. »
Deux camps existent à Taraba et à Nasarawa, autres Etats de la Middle Belt, cette frange centrale du Nigéria qui couvre les vallées du Niger et de la Bénoué ainsi que les enclaves montagneuses du plateau de Jos. Aux mains de gouverneurs locaux chrétiens, ces trois Etats sont un refuge, même si Boko Haram y multiplie, depuis le début de l’année, attentats-suicides et attaques contre les communautés chrétiennes. D’après les autorités locales, près de cent vingt individus auraient été tués.
Leur seul tort est d’être chrétien. Comme Daniel Aruba, 18 ans, laveur de voitures, à Maursuri, dans l’Etat de Yobe. Liatu, sa mère, raconte :
« Il travaillait à un carrefour, pas loin du quartier général militaire. Il est allé prendre une voiture. Quelqu’un avait déposé une bombe pas loin du garage où il travaille. Il a marché dessus, il y avait des bouts de corps partout. » L’explosion récente est imprimée sur son corps et son visage, toujours à vif. Dans l’attente d’un départ pour Abuja pour de meilleurs soins, tous deux partagent l’une des cinquante chambres du Tati Hôtel. Ils sont aussi des victimes de l’incapacité du pouvoir fédéral de Jonathan Goodluck et des forces de sécurité à stopper la politique de terreur de Boko Haram et à résoudre les tensions entre ethnies, mais aussi religieuses et sociales, qui gangrènent le pays le plus peuplé d’Afrique.
Sa ferme est derrière lui, délaissée à Potiskum, mais Iliya Bumi, élégant vieillard, a l’humour détonant. Comme la situation actuelle.
« Ici, j’ai juste à manger et à m’asseoir », rigole-t-il, réjoui de « dormir tranquillement et de sortir sans aucune peur ». Insensé à Potiskum où « la vie est difficile et très dangereuse pour les chrétiens parce que Boko Haram veut tous nous tuer ».
La ville de Jos, comme le Nigéria, est séparé entre un Nord où vivent majoritairement les ethnies musulmanes alors que le Sud héberge en masse des familles chrétiennes. Le camp de refugiés est au Sud, le fermier septuagénaire apprécie sa nouvelle sécurité : « Ici, je ne croise pas de musulmans. Ce n’est pas comme à Potiskum où les communautés sont mélangées. Là-bas, j’ai peur des musulmans. » Les tueries de Boko Haram attisent les dangereux amalgames et les haines entre le Nigéria chrétien et sa seconde moitié musulmane.
Lui a échappé au courroux de Boko Haram. C’était en novembre dernier. Jeremiah Galadima détaille. Froidement : « Ils sont venus chez moi. Ils tiraient en l’air en criant ‘ Allah akbar !’. J’étais seul avec ma fille, ma femme travaillait de nuit. J’ai pu la cacher chez mon voisin, un musulman. Et moi, sous le lit de ma chambre, ils ne m’ont pas trouvé. Quelques jours plus tard, ils attaquaient à nouveau le quartier. » J
eremiah, 30 ans, a toujours vécu à Yobe. Les assauts de Boko Haram, jusqu’alors épisodiques, se sont multipliés et radicalisés après le 16 avril 2011, et la défaite du candidat musulman du CPC (Congress for Progressive Change), Muhammadu Buhari, à l’élection présidentielle face au chrétien Jonathan Goodluck. Ses bras moulinent, Jeremiah s’emballe en dénonçant l’impunité totale dont jouit la secte islamiste. Il déballe que, ce même jour, plus tôt dans l’après-midi, les hommes de Boko Haram usaient de leurs kalachnikovs comme arme de persuasion massive pour barrer le vote des électeurs chrétiens. « Dans la file d’attente du bureau de vote, ils demandaient qui était chrétien. Nous n’avons pas pu voter parce qu’ils disaient que si nous votions, notre bulletin irait pour Jonathan Goodluck. Dès l’officialisation de sa victoire, Boko Haram a attaqué les maisons chrétiennes du quartier. »
La connivence supposée entre le groupe islamiste et des hommes politiques au pouvoir ? L’intensité de la colère de Jeremiah reste sur courant continu : « Chaque fois que des membres de Boko Haram sont arrêtés, Ibrahim Gaidam (le gouverneur de l’Etat de Yobe – ndlr) appelle le commissaire de police pour les libérer de suite. Ils ont la même religion et se battent pour la même cause : tuer les chrétiens et tous ceux qui ne croient pas en l’islam. » A Jos depuis cinq mois, où sa femme a accouché de leur quatrième enfant, l’ancien charpentier et vendeur d’engrais à Yobe désespère de dégoter un nouvel emploi.
Chaque semaine, le gouvernement local fournit nourriture et médicaments mais n’aide pas ces familles de réfugiés à démarrer une seconde vie professionnelle. Alors que le chômage frise les 40 % chez les jeunes Nigérians, Jeremiah glisse, lucide : « N’importe quoi pour pouvoir envoyer mes fils à l’école. » Seuls les enfants apportent un peu de joie au camp. La vie au Tati Hôtel est sinistre. Les sourires y sont en bandoulière. Beaucoup ressemblent à des spectres errants. Déjà pensionnaire de l’au-delà bien qu’ils ont gagné un sursis.
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