Depuis quelques années, une nouvelle génération d’hommes et de femmes politiques ose s’affirmer sereinement homo. Le cinéaste Christophe Honoré a invité Ian Brossat, Mounir Mahjoubi, Laurence Vanceunebrock-Mialon et David Belliard à échanger sur leur parcours, leur visibilité – et ce qu’elle implique.
22 novembre 1998. En plein débat sur le pacs, devant la caméra de l’émission Zone interdite, sur M6, Bertrand Delanoë devient le premier homme politique français en vue à faire son coming-out. Alors sénateur, le socialiste sait qu’il risque gros : il est bien seul à ainsi oser affirmer son homosexualité. Et si cette révélation démolissait sa carrière ? Il n’en sera rien : trois ans plus tard, Delanoë ravit la mairie de Paris à la droite de Jean Tiberi. Aujourd’hui, ils sont de plus en plus nombreux à choisir, comme l’ancien maire, de s’afficher ouvertement homo. Une histoire de génération. Mais comment incarner l’intérêt général quand votre identité est toujours perçue par certains comme un particularisme, voire une incongruité ? Comment compose-t-on avec les codes d’un monde politique encore trop souvent poussiéreux ?
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Ils sont quatre – trois hommes, une femme – à avoir accepté de répondre à l’invitation de Christophe Honoré. Ian Brossat, 39 ans, porte-parole du PCF et tête de liste aux dernières élections européennes, a fait son coming-out il y a huit ans (« Nous sommes pacsés et la vie est belle », avait-il confié au site LGBT Yagg). Socialiste passé chez La République en marche (LREM), député parisien et ancien secrétaire d’Etat chargé du numérique, Mounir Mahjoubi, 35 ans, s’est, lui, fait remarquer par un tweet pour la journée de lutte contre l’homophobie, l’année dernière, suivie d’une photo aux côtés de son compagnon dans les pages de Paris Match (on les y voit ranger des livres d’histoire dans leur bibliothèque).
A 49 ans, Laurence Vanceunebrock-Mialon a un parcours un peu différent. Nouvelle venue en politique après une longue carrière dans la police, elle est élue en 2017 députée de la 2e circonscription de l’Allier, sous l’étiquette LREM. Mère, avec son ex-compagne, de deux filles conçues en Belgique par PMA (procréation médicalement assistée), elle a très régulièrement pris la parole dans les médias sur les questions LGBTQI+. Enfin, David Belliard, 41 ans, tête de liste Europe Ecologie – Les Verts pour les municipales à Paris, a la difficile mission de ravir la Capitale à Anne Hidalgo. En 2012, cet originaire de Haute-Saône avait cosigné une tribune dans Le Monde appelant les célébrités à « sortir du placard ». Pour ces quatre-là, c’est chose faite. Mais, après, comment ça se passe ?
Pendant longtemps, les femmes et hommes politiques out se sont comptés sur les doigts d’une main. Mais aujourd’hui, on voit arriver une génération beaucoup plus à l’aise avec le sujet, avec de plus en plus de politiques out. D’où vient ce changement radical ?
Laurence Vanceunebrock-Mialon — Je pense que c’est dû à ce qu’il s’est passé dans la société : la parole sur le sujet qui se libère, les lois qui changent… C’est au fil de l’évolution des lois que le quidam se rend compte que, finalement, la population homosexuelle est tout à fait « normale ».
David Belliard — Il y a une transformation du contexte social, c’est sûr. Après, je pense qu’il y a une attente en politique qui est d’abord une question de sincérité. On charrie l’ensemble de ce que l’on a vécu. Ça fait partie, aussi, de ce que l’on pose sur la table. Aujourd’hui, c’est une attente très forte : un peu plus de sincérité et d’incarnation.
Christophe Honoré — Est-ce que c’est parce que l’on exige de plus en plus de transparence ? C’est un mot qui est arrivé assez récemment en politique.
Mounir Mahjoubi — Oui, mais pas sur la vie privée. L’exigence de transparence des Français porte sur notre vie économique, pas sur la vie privée.
David Belliard — Si je regarde ce qu’il s’est passé pour moi, à aucun moment il n’a été question de cacher mon homosexualité. Ça a été tellement difficile de l’exprimer auprès de ma famille que je ne me voyais pas, de toutes façons, faire quoi que ce soit dans ma vie sans affirmer le fait que c’est une partie de mon identité.
Ian Brossat — Pour aller dans le même sens, je ne me suis jamais réveillé un matin en me demandant ce qu’il fallait que je dise de moi pour bien représenter les gens. En fait, il y a une continuité totale entre l’individu que je suis dans la vie de tous les jours et mon engagement politique. En revanche, je ne voulais pas que l’on ne me voie qu’à travers ce prisme-là. Quand je fais un porte-à-porte à la Goutte-d’Or auprès des habitants, je n’ai pas envie que l’on se dise « c’est l’homo de la mairie ». Et, de fait, les gens n’en ont rien à faire.
On pourrait tout de même penser qu’être out peut avoir un coût dans une campagne…
Mounir Mahjoubi — Pendant l’élection pour ma circonscription (la 16e de Paris – ndlr), l’équipe de celui que j’ai battu, Jean-Christophe Cambadélis, a plus ou moins utilisé cet argument sur le terrain. C’est une des circonscriptions les plus pauvres de Paris, avec des populations dont certains pourraient croire qu’elles ne voteraient pas pour un homo. En vrai, cela leur est égal ! La plus belle blague, elle est venue d’un rabbin d’une des synagogues du XIXe arrondissement qui a répondu à l’équipe de mon adversaire : « Oui, mais il est marié avec un Juif ! » C’était un truc pour dire « n’essayez même pas de me parler de cette histoire, on s’en fout ».
On imagine qu’autour de vous il y a aussi des hommes et des femmes politiques qui ont fait le choix, inverse, de ne pas en parler. Comment le justifient-ils ?
Mounir Mahjoubi — Ici, nous sommes quatre personnes qui essayons de vivre normalement nos vies publiques et privées, mais il y a un moment – un moment militant – où l’on se rend compte qu’il serait utile à de très nombreuses personnes que nous en parlions. On sort alors de cette simple normalité et on décide d’en parler. J’ai aussi des collègues, ici à l’Assemblée, qui le vivent et ne le cachent pas, mais il n’y a pas eu ce moment où ils ont eu envie de l’évoquer publiquement. Puis, il y a une troisième catégorie de personnes : ceux qui le cachent. Ils ne veulent pas que ça se sache, ça crée une anxiété. Ils se disent que si ça se savait dans la circo, ce serait compliqué. C’est pour ça que je ne souhaite pas que l’on mette la pression sur ceux qui ne font pas leur coming-out. Mais je voulais que, par notre exemple, on puisse donner l’envie à d’autres de le faire !
Est-ce qu’il y a, autour de vous, des gens qui vous ont déconseillé de faire un coming-out public ?
Ian Brossat — Oui. A l’époque de mon coming-out, en 2011, certains avaient tenté de me dissuader d’en parler : des collègues socialistes m’avaient dit que ça relevait de la « vie privée ». J’ai toujours été frappé par le fait que, quand un hétéro écrit sur son affiche « marié, deux enfants », on dit que c’est une information qui est susceptible d’intéresser les électeurs, alors que pour nous, évidemment, ça relèverait du champ privé ! Ce qui fait que l’on arrive dans une situation totalement déséquilibrée où l’hétérosexualité est publique alors que l’homosexualité appartient au privé.
Quand nous avons voulu organiser cette rencontre, nous n’avons pu que constater qu’il y avait beaucoup plus d’hommes que de femmes parmi les politiques out que nous pouvions inviter. Parce qu’en politique il est encore plus dur d’être à la fois femme et homo ?
Laurence Vanceunebrock-Mialon — C’est aussi dû à la place des femmes en politique. Elles sont moins nombreuses. Moi je vis tout ça très bien ; en fait, j’ai de la chance ! Mais c’est vrai que c’est plus dur d’être une femme, en règle générale. Avant d’être politicienne, j’étais dans la police nationale : c’était déjà compliqué de se faire une place !
Mounir Mahjoubi — Les politiques que je connais et qui ne veulent pas en parler sont majoritairement des femmes. Chacune a ses raisons personnelles. L’une, c’est parce qu’elle ne veut pas mettre la pression sur ses enfants ; l’autre parce qu’elle n’a pas fini avec la famille. Et les autres, c’est à cause de contextes politiques locaux explosifs, où elles se disent : « Ça, c’est l’information de trop. »
Etre en politique, c’est porter des convictions mais c’est aussi convaincre les électeurs, et donc séduire. Il est fréquent que les hommes politiques se mettent en scène dans la presse avec leur femme, leurs enfants. Comment cette mise en scène se recompose-t-elle quand on sort du cadre hétéro classique ?
Laurence Vanceunebrock-Mialon — Pour la campagne des législatives, quand je n’avais personne pour s’occuper de ma plus jeune fille, je l’emmenais avec moi. Le soir où j’ai remporté les élections, il y avait mes filles et ma femme. Mais il n’y avait pas de volonté de séduire, je ne me suis pas dit : « Tiens, je vais le mettre en scène. » C’était juste la conséquence d’une contrainte…
Ian Brossat — Je trouve qu’il y a quand même un sujet. Aujourd’hui, quand on est gay ou lesbienne, autant on peut s’identifier à un certain nombre de personnes, autant il n’y a pas tant de couples que ça auxquels on puisse s’identifier. En 1998, j’ai été très marqué par le coming-out de Delanoë. J’avais 18 ans. Sauf que la question que je me posais à l’époque était : est-ce que j’allais réussir à être dans un couple stable ? Mais, à l’époque, il n’y avait pas du tout de couples homo visibles. Je pense qu’il est très, très important que des jeunes puissent, s’ils le souhaitent, se projeter dans l’idée qu’un jour ils seront en couple et auront une vie de famille. Quand j’ai posé en couple dans la presse, ça faisait partie de cette réflexion. J’avais envie que cette visibilité existe.
Mounir Mahjoubi — En ce qui me concerne, les photos dans Paris Match ont été faites après mon soi-disant coming-out « officiel » : j’ai fait un tweet militant pour la journée de lutte contre l’homophobie et c’était la première fois que j’abordais le sujet depuis que j’étais connu nationalement – même si j’en avais déjà parlé avant. Après ça, j’ai reçu énormément de messages. Lors de la grande rencontre des quartiers à l’Elysée, une personne m’a attrapé pour me dire : « Grâce à vous on a parlé de ça à la maison, parce que je savais qu’elle ne voulait pas me dire un truc et je lui ai dit : ‘C’est pas grave, Mounir il l’est et c’est pas grave. » J’ai vu que ce tweet avait provoqué quelque chose de magique ! Ça m’a beaucoup ému. Je trouvais ça beau. Paris Match nous a proposé de pousser les choses plus loin. En reprenant l’exercice de style habituel de la photo de couple, mais cette fois avec deux hommes, on pouvait avoir un effet de représentation qui est important.
Christophe Honoré — Je note que les hommes ou les femmes politiques out s’affichent toujours aux côtés de leur compagnon, de leur compagne. Une homosexualité qui échapperait à la norme du couple stable, supposément fidèle, n’est-elle pas affichable ?
David Belliard — L’obligation de la normalité me fatigue un peu. Je suis en couple, mais je n’ai pas forcément envie de donner à voir l’image d’une homosexualité hyperbourgeoise, hyperhétéronormée. Je trouve que l’on normalise énormément les personnes LGBTQI+ en leur disant : « Regardez, on peut être homo, en couple et avoir des enfants » – parce qu’il y a toujours besoin d’avoir le petit cliquet derrière.
Mounir Mahjoubi — Je crois qu’il ne faut juger aucune situation. La volonté d’être dans un couple stable est ancrée socialement. C’est un bonheur que les homosexuels puissent la revendiquer…
Est-ce que vous pensez que la découverte de votre homosexualité vous a sensibilisés aux injustices, aux combats politiques, et a pu accélérer votre engagement ?
David Belliard — L’homosexualité fait partie des choses qui lient le personnel au politique. Ce que j’ai vécu comme un stigmate quand j’étais gamin, on le renverse, comme l’explique Erving Goffman. Et ça, c’est de la politique. Je ne serais jamais allé dans un parti politique qui n’était pas clair et engagé sur ces questions.
Christophe Honoré — J’ai l’impression qu’en tant qu’homosexuel, avec le sida, Act Up, la prise de conscience politique a été plus rapide. C’est une donnée qui doit influencer votre perception de la société…
Ian Brossat — Je pense que l’on est un certain nombre à vivre l’homosexualité, au départ, comme un stigmate. L’écharpe tricolore est aussi un moyen de retrouver une forme de respectabilité. Et ça, ça vaut notamment pour les gays qui sont engagés dans des mouvements de droite. Ça permet de retrouver une forme de contenance.
Question à Franck Riester, ministre de la Culture
Est-ce que vous avez eu l’impression que votre homosexualité a déjà été instrumentalisée pour déstabiliser votre carrière politique ?
Ce n’est pas une impression. Elle a été instrumentalisée, comme elle l’est pour beaucoup d’autres. Quand j’étais maire de Coulommiers, certains ont pensé qu’y faire des allusions à peine masquées en plein conseil municipal suffirait à me déstabiliser : ils se trompaient. Croyez-moi, il m’en faut plus ! Mon homosexualité n’est pas un secret. Je n’ai jamais eu à la cacher. Mais tout le monde n’a pas cette chance, et j’en ai conscience. Quand j’en ai parlé dans la presse, j’ai reçu des centaines de lettres de jeunes qui me disaient que ça les avait aidés. Je crois qu’en tant que personnalité publique, on a une forme de responsabilité. La responsabilité d’en parler, de montrer que l’on n’a pas à se cacher.
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