Si les résultats de la primaire valident les sondages, le député de Corrèze sera le candidat du PS face à Nicolas Sarkozy. Portrait d’un acharné des campagnes.
« C’est important que les électeurs comprennent qu’on se troue la paillasse, qu’on donne le meilleur de soi-même.” Il est arrivé en courant dans le salon paisible du bar du Train Bleu, gare de Lyon à Paris. Dans la campagne de la primaire socialiste, François Hollande enchaîne déplacements, meetings et interviews sur un rythme effréné. Le favori dans l’opinion s’assoit, commande bien évidemment un café. A première vue, c’est le trentième de la journée.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
“Je fais campagne comme je sais le faire. Même quand je n’ai pas gagné, ce n’était pas à cause de la méthode. Il faut aller partout, voir les gens, la presse quotidienne régionale, les télés locales.”
Le candidat Hollande est fatigué, le visage chiffonné, la voix tendue, enrouée. Lunettes posées sur la table, il se frotte les yeux en expliquant que “le meilleur sondage n’est pas celui qui est publié mais celui qui est ressenti au contact des gens qui vous encouragent”. Il guette d’ailleurs l’approbation des voyageurs qui croisent son regard. Un regard où brille désormais l’étincelle consumante de l’ambition suprême. Mais le député de Corrèze veut garder intacte sa capacité d’analyse.
C’est froidement qu’il explique être aujourd’hui “le mieux placé” à gauche pour battre Nicolas Sarkozy, grâce notamment à “un vote de raison”. “Il faut faire attention à la période où nous sommes, il faut trouver le ton qui colle à l’époque. En 2007, il y avait une exaltation, une volonté de tourner la page, la page Chirac pour Sarkozy, la page PS pour Ségolène. Aujourd’hui, la période est inédite. C’est la crise. L’heure n’est pas à l’émotion, à l’incantation, à l’idéologie. Je corresponds à la période.”
Animal politique doué de raison, François Hollande aborde la dernière ligne droite de la primaire avec une confiance tranquille. Plus que jamais, il veut contrôler le parcours, ne rien laisser au hasard. Les embardées et les dérapages des campagnes de 2002 et 2007 l’ont vacciné contre “l’irrationnel”. Fin août, à La Rochelle, il théorise cet impératif d’une maîtrise de soi :
“Tout ce que je dis m’engage, tout ce que j’écris pourra être utilisé pour moi ou contre moi. Ce que je montre est aussi une forme de révélation de ce que pourra être ma pratique dans l’exercice du pouvoir. Ce que je porte, c’est donc une crédibilité et une responsabilité indispensables.”
Parce qu’il est assuré de séduire durablement au centre avec son discours de réformiste réaliste et qu’il veut “casser le cycle des critiques sur [son] inaction”, François Hollande s’autorise désormais en meeting des envolées lyriques comme François Mitterrand dans les années 70. Dans un théâtre parisien, il salue “la capitale des combats et des cortèges”, à Liévin, il pose au milieu des mineurs, en bleu de travail. Lors de la visite d’une nécropole dans le Pas-de-Calais, il rappelle le souvenir de son grand-père Gustave, ancien combattant de 14-18, instituteur marqué par la boucherie des tranchées. Au cours du premier débat télévisé des candidats, le 15 septembre, il feint la colère pour faire éclater en morceaux le miroir de sa connivence avec les médias, reprenant de manière cinglante les journalistes qui l’interrogent.
Il renoue avec les traits d’humour et parfois le débit de sa voix s’accélère, retirant un peu de la “présidentialité” durement acquise mais donnant plus d’authenticité au propos. Le virage sur la gauche avec sa proposition de recréer les 60 000 postes supprimés depuis 2007 dans l’Education nationale ? François Hollande convoque Victor Hugo contre Nicolas Sarkozy et plaide pour “une jeunesse éduquée” et non “emprisonnée”.
“Je l’ai décidé tout seul. J’avais vu sur le terrain à quel point cette rentrée scolaire se passait mal, l’angoisse des parents, à la maternelle, dans le primaire… Et je pouvais d’autant plus faire cette proposition que j’avais assis ma crédibilité économique sur le terrain de la rigueur.”
Décider tout seul… François Hollande reste avant tout attaché à sa liberté. Au risque de passer pour un solitaire. Le Corrézien s’est certes constitué un groupe de fidèles, au premier rang desquels le Sarthois Stéphane Le Foll et les députés Bruno Le Roux et Michel Sapin, mais il n’a jamais formé de courant au PS et a régné onze ans rue de Solférino par le consensus et la synthèse, honnis par ses détracteurs. “François ne fait confiance qu’à Hollande et Hollande qu’à François”, reconnaît un de ses soutiens. “Je suis entouré, sans être étreint”, souligne François Hollande quand il évoque son équipe pléthorique d’élus et de responsables PS, renforcée par le ralliement de nombreux anciens strauss-kahniens (Pierre Moscovici, Jean-Marie Le Guen, Marisol Touraine).
Libre… et secret. Ceux qui ont côtoyé François Hollande au plus près mettent en garde contre son sourire enjôleur, accroché comme un bouclier. Il reconnaît que l’humour est chez lui “une arme défensive”. La blague empêche souvent d’aller plus loin dans la question et, quand elle ne suffit pas, c’est dans le silence que se réfugie l’ancien patron du PS. Cet automne, le journaliste Serge Raffy publie chez Fayard une biographie de François Hollande, bien documentée, limite hagiographique, mais étonnante car écrite à l’encre sèche, comme à distance du sujet, que l’on voit évoluer de l’enfance à l’âge des ambitions, mais que l’on entend très peu. Trente ans de vie publique ont forgé un homme au sang froid. Qui actionne le pont-levis dès que l’interlocuteur se hasarde sur le terrain de la vie privée, des goûts ou des émotions. Qui explique en rigolant qu’il ne “faut pas mettre de sentiments dans la politique”.
Comme Nicolas Sarkozy, François Hollande est quand même un enfant de la télévision. Tout en s’en défendant, il a aussi cédé aux sirènes du storytelling. Là comme ailleurs, il a voulu tout maîtriser. Un pari impossible sur le terrain privé, tant ses relations avec Ségolène Royal, sa compagne pendant presque trente ans, sont encore scrutées et analysées. Mais les kilos perdus, les nouvelles lunettes, les costumes sur mesure, les cheveux lissés ont témoigné de sa détermination, comme les dents limées de François Mitterrand avaient annoncé le conquérant de 1981.
Sur la ligne de crête de sa campagne, François Hollande a justement pris François Mitterrand comme modèle. Il lui a emprunté quelques mimiques oratoires. Il retient la “ténacité” et l’”esprit de conquête” du premier – et pour l’instant unique – président socialiste de la Ve République. Il garde aussi en mémoire la leçon délivrée à Liévin par le vieil homme malade, en novembre 1994 : “Aimez la vie et, surtout, aimez ce qui est aimable.”
Mais celui qui fut un tout jeune conseiller élyséen dans les années 80 est plus critique sur l’exercice du pouvoir de François Mitterrand. Il promet qu’il sera un président “normal”, “un chef d’équipe, plus qu’un homme qui décide de tout”. Et, comme François Mitterrand avait envie d’en découdre avec Valéry Giscard d’Estaing sept ans après la défaite de 1974, François Hollande attend et espère avec une impatience de plus en plus visible le moment de la confrontation avec Nicolas Sarkozy, devenu lui aussi “l’homme du passif”.
A l’Elysée, on s’inquiète de la montée en puissance d’un candidat “plus difficile à cerner” que Martine Aubry. Nicolas Sarkozy se rassure en estimant que François Hollande sortira “éreinté” de la primaire. Il doute de sa “solidité” et raille son inexpérience gouvernementale.
“C’est comme un morceau de sucre, trempez-le dans l’eau, il n’en reste rien”, plaisante le chef de l’Etat devant ses visiteurs.
François Hollande n’est peut-être pas insubmersible mais il est imperméable. Certains de ses amis lui ont trouvé un nouveau surnom, “Little Gouda”, en hommage à sa placidité sous la grêle. Il encaisse sans broncher, concédant à peine un froncement de sourcil quand on évoque les attaques de Ségolène Royal et de Martine Aubry sur le bilan de sa vie politique. “Le mal est fait, ce sera l’argument de la droite, mais j’ai déjà des arguments en réponse… Cela sert à quoi l’expérience si c’est pour aboutir à la situation que nous connaissons aujourd’hui ? Il est solide Sarkozy ? C’est vrai qu’il faut être solide pour défendre un bilan pareil !”, lance-t-il, un rien bravache.
Ainsi avance François Hollande depuis trois ans. La douleur du congrès de Reims l’a endurci, trempé dans l’acier. Il s’est concentré sur son ambition de toujours. Le 12 septembre, au premier rang des fauteuils d’orchestre du Trianon, le candidat attend son tour pour monter à la tribune, raturant, biffant des feuilles posées sur ses genoux. Il écoute distraitement les orateurs qui le précèdent. D’une fine écriture bleue, minuscule, il corrige son discours. Jusqu’à la dernière seconde. Tout maîtriser, encore et toujours.
Hélène Fontanaud
{"type":"Banniere-Basse"}