L’édito de Frédéric Bonnaud
J’en connais qui seraient bien inspirés de lire le dernier numéro d’Alternatives économiques. Qui titre : “Toujours plus inégaux. Les chiffres qui le prouvent.” Alors que l’Assemblée adopte par 49-3, la loi Macron, fourre-tout néolibéral qui ferait passer Raymond Barre, mettons, pour le plus obtus des planificateurs brejnéviens, et que le Parti socialiste, désormais largement délesté de son réseau d’élus après les derniers désastres municipaux et départementaux, serait en droit de se demander à quoi il sert au juste, ce serait tout de même intéressant que la gauche française nous dise un peu où elle en est par rapport au décrochage de plus en plus évident de “la France d’en bas”. A moins que les questions de justice sociale ne l’intéressent plus du tout, ce qui expliquerait qu’elle n’en parle plus jamais…
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Dans Alter éco, donc, Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités, s’appuie sur les derniers chiffres de l’Insee pour affirmer que “pour les 40 % du bas de la hiérarchie sociale, les revenus ont diminué de 300 à 500 euros par an entre 2008 et 2012”, année des dernières données statistiques, et que les choses se sont sans doute aggravées depuis, puisque le nombre de personnes inscrites au RSA a augmenté de 12 %.
“Jusqu’au milieu des années 2000, les inégalités s’accroissaient par le haut. Les catégories aisées voyaient leur niveau de vie progresser plus vite que les autres, mais les plus modestes continuaient eux aussi à gagner du pouvoir d’achat. Ce n’est désormais plus le cas.” Qu’en dit la gauche ? Rien, comme si elle avait déjà fait son deuil de cet électorat, sa raison d’être pourtant… Mais alors, comment peut-on s’étonner que cet électorat ne veuille plus entendre parler d’elle ?
La gauche française préfère penser à la présidentielle. Elle ne pense même qu’à ça et ça se voit, ça se voit terriblement. Au lieu de débattre, de proposer, de tenter de réinventer un projet politique qui justifierait son existence, elle a les yeux rivés sur 2017. Comme un malade qui aurait succombé tout entier à sa névrose, une maladie si française : l’élection présidentielle, la seule qui vaille, celle qui va nous occuper les deux ans à venir. Putain, deux ans.
Mais oui, il sera candidat en 2017 !
En haut de la pyramide, multipliant les déplacements, pour un oui ou pour un non, parfois avec sifflets, parfois sans, aucune importance, François Hollande fait ce qu’il fait de mieux : il fait campagne et parle pour ne rien dire, avec ce mélange – non sans charme mais lassant, à la longue – de novlangue énarchique et de blagounettes Carambar. Afin que tout le monde comprenne bien qu’il sera candidat, sans l’ombre d’un doute ni de la moindre primaire, d’autant qu’en 2016, ou peu avant, ou peu après, arrivera enfin le chiffre magique qui dira que ça y est, la courbe du chômage s’est inversée, figurez-vous, je vous l’avais bien dit, j’avais pris le risque, hein ?
Mais il aura déjà tellement augmenté, le chômage, provoquant les ravages sociaux sus-cités dont la gauche ne veut plus entendre parler, que cette fameuse inversion fera l’effet d’un pétard mouillé, d’une trop tardive et trop légère amélioration.
Mais Hollande croit en son kairos, c’est le mot à la mode, c’est grec – quelque chose comme “l’alliance du génie et du bon moment pour forcer un destin contraire”, tout Hollande, en somme –, et se convainc qu’entre Le Pen et Sarkozy, il y a un trou de souris pour se glisser au second tour. Ça l’occupe.
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