A Rio, paysage après la bataille.
8 juillet, 23h30, Rio.
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Mes fenêtres sont grandes ouvertes sur l’avenida Nossa Senhora, une des artères principales du quartier de Copacabana. Depuis un mois à cette heure-là elle est chaque nuit le théâtre de joyeuses scènes de rue ou se mélangent les supporters de toutes les équipes, éclusant des chopps jusqu’à tard dans la nuit en partageant leurs impressions du jour.
Ce soir, Il n’y a pas un bruit et personne dans la rue, juste le silence. Assourdissant. Depuis plusieurs jours à Rio il faisait beau et chaud. Je me disais que l’hiver carioca n’avait vraiment rien à envier à l’été londonien. Je demandais à chaque Brésilien que je rencontrais son pronostic pour le match de ce soir et notais méticuleusement les résultats de mon sondage dans un petit carnet.
A quelques minutes du coup d’envoi de ce désormais légendaire Brésil-Allemagne j’en avais recueilli 77. Connaissant le tempérament optimiste des Brésiliens, le résultat obtenu aurait dû me mettre la puce à l’oreille : 49 victoires pour l’Allemagne contre 28 seulement pour la seleção … De là à imaginer que les choses se déroulent comme elles se sont déroulées il y a un océan que personne n’aurait osé franchir.
Aujourd’hui à Rio le temps était couvert, menaçant toute la matinée, le ciel devenant noir en début d’après-midi. Comme un mauvais présage. Et puis tout à coup, au moment même ou la Mannschaft faisait pleuvoir l’orage sur les buts du pauvre Julio Cesar (qui connu ce soir la déroute dans la guerre des goals qui l’opposait à Neuer) une pluie tropicale diluvienne s’abattait sur la “cidade maravilhosa”. Exactement pendant la première mi-temps apocalyptique d’une seleção à la dérive, orpheline de ses deux stars Neymar et Thiago Silva et d’une quelconque tactique de jeu…
En 30 minutes l’Allemagne avait plié l’affaire façon « Blitzkrieg ». Médusés, les commentateurs brésiliens ne savaient plus à la mi-temps comment analyser la situation, leur consultant Ronaldo en tête. Accablé par la fessée reçue par les siens il devait en plus, à titre personnel, abandonner à Klose la position de meilleur buteur de tous les temps dans différentes coupes du monde.
J’étais ce soir convié à faire le Dj à Santa Teresa dans une sublime maison qu’habitait autrefois l’ancien président Kubitschek, surplombant la baie de Guanabara. Les 250 personnes présentes avaient presque toutes revêtu le maillot jaune de leur équipe nationale, la plupart portant le numéro 10, celui de Neymar, le grand absent. La Globo avait enregistré son message au peuple diffusé quelques minutes avant le match. Au moment des hymnes tout le monde s’était levé et avait chanté à tue-tête l' »Hino Nacional Brasileiro » avec ce bonus toujours émouvant du couplet supplémentaire qu’entonne le public une fois que l’orchestre ou la bande enregistrée se sont arrêtés.
Les Brésiliens moqueurs ont ensuite copieusement chambré l’équipe d’Allemagne à son entrée sur le terrain à propos de leur maillot rappelant à s’y méprendre celui de Flamengo, le club le plus populaire de Rio. Mais la « chambrette » a tourné court et l’offensive germanique a commencé, implacable. L’impression d’un match de coupe opposant un club de première division à un club de DH est celle qui me vint soudain à l’esprit.
Blitzkrieg
Les quatre buts encaissés par la sélection brésilienne, tous semblables, entre la 23e et la 29e minutes en étant l’illustration, presque comique. Après le 5e but de Khedira, au lieu de regarder le ralenti je scrute les visages qui m’entourent. Je lis sur chacun d’entre eux un mélange de consternation, d’incrédulité et d’effarement. Personne ne semble croire à ce qui est pourtant effectivement en train de se produire. le scénariste de cette 20e coupe du monde est décidément très inspiré, mais ce soir, il se surpasse.
Au sixième but allemand, je prends l’initiative de couper le son du match et de balancer une de mes sambas préférées : La Vem Salgueiro, écrite par Jorge Ben et interprétée par Os Originais do samba, mon groupe carioca fétiche des années 70/80. Comme un seul homme tout le monde se lève pour conjurer le mauvais sort se met à danser frénétiquement. Le moment est complètement surréaliste, les organisateurs de la soirée me laissent continuer à passer de la musique plutôt qu’écouter les commentaires désespérés de Ronaldo et Casagrande. Le septième but allemand arrive dans cette ambiance et semble tout à fait anecdotique. L’unique but brésilien d’Oscar, sauvant l’honneur dans les arrêts de jeu étant lui salué comme si il était celui de l’égalisation par le public tant il se sent tout à coup soulagé de voir les siens marquer enfin…
En rentrant par Lagoa le chauffeur de taxi doit prendre l’initiative de modifier sa course pour éviter certaines rues rendues impraticables par les trombes d’eaux qui se sont abattues sur la ville pendant cette après-midi tragique pour les supporters de la seleção. Il nous fait part de ses commentaires, ou plutôt de sa confession, désorienté, presque honteux.
“Il aurait mieux valu perdre aux penaltys contre le Chili, ça nous aurait évité cette humiliation, depuis la fin du match j’ai une douleur au ventre qui ne passe pas. »
Couvre-feu
Il ajoute qu’à son avis le résultat de ce soir peut avoir une incidence sur celui de l’élection présidentielle et qu’il ne fera pas l’amour ce soir… Il nous dépose avenida Nossa Senhora. Il y règne une ambiance de couvre-feu, rappelant plus Gdansk pendant la révolution polonaise que l’ambiance carnavalesque de ces dernières semaines, climat mis à part. la plupart des bars sont fermés, les rues alentours désespérément vides.
Il est 2h30 du matin, pour la première fois depuis mon arrivée à Rio, j’entends par la fenêtre ouverte le bruit des rares voitures passant dans l’avenue. Il n’est plus couvert par les chants et les cris des supporters. Aujourd’hui au Brésil, la Coupe du monde s’est arrêtée. Il y aura, c’est certain, pour la seleção comme pour tous les Brésiliens un « avant » 8 juin 2014 et un « après » 8 juillet 2014. Je me demande déjà combien vont prêter attention à la prestation de l’ennemi intime argentin, demain après-midi, et si le match pour la troisième place ne sera pas pour le pays organisateur de cette extraordinaire Coupe du monde, un supplice supplémentaire… Boa noite
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