Si pour vous le bouquet de la TNT ne va pas plus loin que les chaînes d’information en continu, c’est que vous ne vous êtes jamais retrouvé à 6h du matin à fixer d’un œil vitreux la 43e rediffusion du documentaire expliquant le secret des pyramides sur RMC Découverte. Séance de rattrapage.
Les habitués savent bien qu’en semaine, sur RMC Découverte, petit-déjeuner rime avec discussion enflammée. La chaîne diffuse en direct la matinale de Jean-Jacques Bourdin dès 6 h, bien avant que BFMTV ne prenne le relais à 8h35 pour la grande interview du jour. Mais le week-end, c’est une autre histoire. Plus précisément celle des crânes de cristal, racontée dans le premier documentaire de ce samedi 2 décembre à 7 h tapantes. « Le récit fascinant, à la fois mystique et scientifique, de l’une des plus grandes escroqueries archéologiques de l’histoire« , qui se soldera par une révélation stupéfiante : non, les crânes de cristal découverts par Frederick Mitchell-Hedges au XIXe siècle ne sont pas les cadeaux d’un peuple extraterrestre aux habitants de l’Atlantide pour leur offrir la connaissance infinie. Zut.
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je vais me coller un documentaire sur RMC découverte, y'a sûrement un truc sur les romains nazis d'egypte
— vilain_pabo (@Vilain_Pabo) December 6, 2017
Le temps de me remettre de mes émotions et de beurrer quelques tartines, voilà qu’un autre film promet de lever tous les doutes que je pouvais avoir sur le triangle des Bermudes. Et il n’est que 9h du matin. Les documentaires que la chaîne achète pour remplir sa bien nommée section Histoire & Investigations sont définitivement des valeurs sûres. Ceci dit, si le film sur les crânes de cristal n’entretient pas vraiment les théories sur les prétendus pouvoirs de ces objets dont le manque d’intérêt historique est connu depuis des années, la réalisation du documentaire consacré aux mystérieuses disparitions du triangle des Bermudes est plus sournoise.
Un « enquêteur »… chasseur de fantôme
En choisissant par exemple de présenter Brian Cano, l’un des intervenants du reportage, comme un « enquêteur« , le montrant entourer consciencieusement en rouge sur une carte toutes les disparitions qui se sont produites dans le fameux triangle comme un personnage de série policière. En réalité, Brian Cano est plutôt connu pour ses conférences et ses écrits sur les fantômes et les phénomènes paranormaux. Le « paraphilosophe« , comme il se désigne lui-même sur internet, s’enflamme en évoquant la possibilité d’une distorsion de l’espace-temps au sein du triangle des Bermudes. « Quel est le scénario le plus probable, qu’une personne se perde et se retrouve à un endroit qu’elle n’attendait pas, ou bien que ce phénomène quasi impossible se produise, que l’espace-temps se déforme et qu’il soit le seul sur terre à qui ça arrive ?« , lui répond un autre expert par la magie du montage. Finalement, le documentaire conclut qu’il n’y a pas plus de disparitions dans le triangle des Bermudes qu’ailleurs. Re-zut.
These Guys + A Haunted Castle in England + YOU! 20 tickets left for this weekend! https://t.co/bZ4sfw1XQN @aaronsagers @GhostsOnReally 👻💙 pic.twitter.com/0mGwgJTGgp
— MJ Dickson (@mjdickson_) July 19, 2017
Entre deux films, je fais quelques recherches. La plupart des programmes que diffuse RMC Découverte sont, comme ces deux documentaires, produits à l’étranger et rachetés par la chaîne. Pour autant, quand ils sont tournés façon téléréalité, comme c’est le cas de ceux diffusés ce samedi et ce dimanche après-midi, ils produisent une vision du monde et mettent en scène un certain nombre de rapports sociaux. Des rapports sociaux très blancs, masculins, où on a l’air de beaucoup s’amuser avec les armes à feu et les engins de guerre.
Les tanks, c’est quand même « sexy »
Michael Manousakis, personnage central de Mécano Express, un programme allemand qui a occupé mon samedi après-midi pendant plus de quatre heures, voue par exemple un culte sans borne aux tanks américains et soviétiques qu’il collectionne et remet en état, entre deux commandes extravagantes pour l’équipe de son garage aux allures de décharge à ciel ouvert. « Ce sont de très belles machines. Ils tuent ! Ce sont des engins sexys. Tous les tanks, j’adore« , lâche-t-il ainsi la bave aux lèvres devant un Panzer Centurion de 1958.
Quand il ne fantasme pas sur les gros canons, Michael la joue négociateur pour tenter d’acquérir un Albatros, gigantesque hydravion. « Marchander, c’est comme de la séduction« , confie-t-il face caméra avant d’aller lourdement draguer la vendeuse en lui proposant 45 fois un café, qu’elle finit par accepter. Et je me rends compte que je viens de voir l’une des rares scènes où une femme apparaît dans le programme.
Les soucis du patronat blanc capitaliste
Il est 15h30, et le dernier épisode de Mécano Express commence sur un ton moins léger que les précédents. Michael est en rage, et fait le tour de son garage pour passer un savon sans raison apparente à tous ses employés. Un regain d’intérêt me fait me dresser sur mon canapé. “L’inspection du travail nous a dit que l’atelier était une porcherie”, confie l’un des employés en question. Et ça, Michael ne le digère pas. “Ça me fatigue les bureaucrates! » Il semblerait que le gérant de la concession Morlock Motors ait un peu de mal avec les règles de sécurité au travail. « Il faut ranger ces plaques d’acier. Je n’arrête pas de me cogner dedans quand je marche ici. Si un inspecteur du travail se cogne dedans, tu peux être sûr qu’il ne nous loupera pas« , lui fait remarquer un travailleur qui vient de passer un coup de balai courageux mais probablement insuffisant dans une petite zone du garage. Finalement, le garage ne va pas fermer. Ouf.
Comme Mécano Express, l’émission suivante met en scène des mécanos couverts de cambouis qui retapent des vieilles voitures, cette fois-ci aux Etats-Unis, les chars d’assaut en moins. Et comme Mécano Express, Casse Cash est surtout un programme qui suit la vie d’un patron, et des défis assez improbables qu’il lance à ses employés pendant qu’il s’amuse dans la cour avec une Argo (un genre de petite voiturette) ou qu’il lance des paris avec son père pour voir si ses employés seront capables de retaper un pickup sans rien dépenser. Des catchphrase comme « Tout ce qui compte, c’est l’argent » viennent souvent conclure les tirades face caméra de celui qui déclarait quelques minutes plus tôt qu’ »une jeep, ce n’est pas qu’une voiture. C’est une icône, une aventure, un style de vie« . America and capitalism, fuck yeah.
Retour à l’Homme chasseur-cueilleur
RMC Découverte semble d’ailleurs assez fasciné par le monde américain. Ou tout du moins, une partie de sa mythologie, celle des trappeurs d’Amérique du Nord, qui parcourent l’Alaska en dépiautant des hermines pour leur fourrure avant de les manger. Et c’est avec la vie de ces formidables aventuriers que je vais me familiariser samedi soir et dimanche après-midi. Seuls face à l’Alaska et Aux frontières de l’Alaska sont deux séries qui montrent divers personnages évoluer dans des situations plus ou moins compliquées avec plus ou moins de neige autour. Evolution de taille, les personnages masculins omniprésents depuis le début de mon week-end ont maintenant une compagne, et parfois même une vie de famille. Une vie de famille qui fonctionne de façon ultraconservatrice, voire archaïque.
Je préfère regarder les rednecks qui essaient d’attraper des écureuils en Alaska sur RMC Découverte plutôt que #ONPC sur France 2.
— Nicky Lahcene (@NickyLahcene) December 2, 2017
Et c’est le personnage de Jason, dans Seuls face à l’Alaska, qui incarne le mieux cela. Avant une initiation au dépeçage de carcasse de cerf (« C’est marrant hein ? Tu sais, la plupart des adultes n’y arriveraient même pas !« , s’exclame-t-il en voyant sa fille tripoter un animal mort), Jason prend le temps d’exposer ses inquiétudes du moment : « J’espère ramener rapidement de la viande à la maison, histoire de tenir ma promesse […] Je ne veux pas décevoir ma famille en rentrant les mains vides« . L’homme chasse, ramène la pitance au foyer, et la femme l’attend sagement en lavant le linge avant de se mettre à la cuisine. C’est presque un soulagement de voir le lendemain quelques fortes femmes dans Aux frontières de l’Alaska, dont l’une d’elles doit même concilier sa vie dans le Grand Nord avec une grossesse.
Comparer les femmes à des voitures, en 2017
Mais RMC Découverte ne diffuse pas que des programmes étrangers. Ce week-end en apnée dans les odeurs télévisuelles d’huile de vidange et de testostérone fut également l’occasion pour moi de découvrir la version française de Top Gear, et son trio de tête Philippe Lellouche, Yann Larret-Menezo et Bruce Jouanny. Ce dimanche, les trois compères sillonnent les routes d’Afrique du Sud pour se rendre à la pointe sud du pays, afin de changer l’ampoule d’un phare. Séduit par les efforts de la production pour donner un semblant d’intrigue à ce road trip qui ressemble plus à une longue publicité pour voitures qu’à un road movie, je décide de sacrifier ma grasse matinée sacrée du dimanche et de régler mon réveil à 9h50. Et voici donc la première chose que je vais entendre au réveil :
“J’vois pas qui y’a en équivalence aujourd’hui à Pamela Anderson.
– Non attend, la beauté et l’intelligence, c’est plus important que la plastique.
– Oh ben non !
– Mais si, c’est un peu comme les bagnoles. Parfois, elles sont pas très belles, mais elles ont un truc innovant qui m’intéresse.”
Difficile de ne pas retourner se coucher. Heureusement, Yann Larret-Menezo, dit Le Tone, est là pour assurer la section humour du programme : « Ici (à Oudtshoorn, apparemment capitale mondiale de l’autruche), ils ont voulu croiser l’autruche avec un animal de race canine. Et du coup ça a donné un autruchien« .
“Top Gear” : l’émission beauf et machiste qui cartonne en France http://t.co/AO2KWkkBl6 par @julienrbcc pic.twitter.com/9EX5al0azg
— Les Inrockuptibles (@lesinrocks) April 20, 2015
La grosse heure et demie qui suit est une succession de plans mettant en scène à merveille le parfait comportement déplacé de l’homme blanc en Afrique, qui va montrer aux garagistes locaux comment customiser une voiture correctement pour partir en safari, parce qu’eux n’ont sans doute pas le niveau de compétence pour jeter vulgairement une toile camouflage par-dessus la carrosserie, et qui va jusqu’à plaisanter sur le fait d’avoir abandonné ses déchets sur le bord de la route. « Tu veux pas juste te taire et écouter le silence de l’Afrique ?« , demande soudainement Philippe Lellouche à ses camarades. Bonne idée.
Et pour finir, soirée spéciale nazisme
Arrive enfin le dimanche soir, habituel rendez-vous en tête à tête avec le match de Ligue 1 de 21 h, que je troque pour l’occasion contre un programme bien moins réjouissant : sur RMC Découverte, c’est dimanche nazisme, guerre mondiale et bombe nucléaire. Deux documentaires sur Hitler, un sur l’importance du pétrole pendant la guerre (parce que oui, les avions de guerre et les chars d’assaut, ça fonctionne au pétrole), et un film sur l’invention et la propagation de l’arme atomique. Grosse ambiance.
https://twitter.com/ThierryDugeon/status/934863855666302977
S’il n’y a pas grand-chose à reprocher sur le plan purement historique à ces documentaires, c’est surtout leur récurrence sur la chaîne qui a attiré mon attention en préparant ce week-end. RMC Découverte diffuse par exemple une série de portraits d’Hitler, pour parler de sa vie de famille, de son comportement dans le privé, de ses méthodes de négociation… RMC Découverte semble nourrir une certaine fascination pour le dictateur allemand.
Ces documentaires restent bien sûr très critiques sur le régime nazi, mais le choix des intervenants est parfois curieux. Beaucoup sont historiens, comme François Kersaudy, spécialiste de Churchill. Mais François Kersaudy est aussi filloniste convaincu et éditorialiste au Point. Il s’insurgeait d’ailleurs en juillet 2016 du « foisonnement d’associations de défense du délinquant étranger, la culpabilité post-coloniale, l’antiracisme agressif et sélectif, le droit-de-l’hommisme idéologique, l’absence de contrôles aux frontières » après les attentats de Nice. Chronique reprise par le site d’extrême droite FDesouche. L’histoire est politique, comme ceux qui nous la raconte.
Dimanche, minuit passé, j’éteins enfin ma télévision. Sur Twitter, je peux lire que le match qui opposait ce soir l’OM à Montpellier fut une purge sans nom. Voilà de quoi soulager mes regrets. Mais bon, comme dit Baba, n’oubliez pas que la télé c’est que de la télé.
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