L’effroyable inventaire des horreurs du régime d’Hissein Habré, dans les années 1980, par ses victimes.
Ce documentaire de Mahamat-Saleh Haroun, cinéaste tchadien connu pour ses sobres et dignes fictions, porte un titre un petit peu ambigu : Hissein Habré, une tragédie tchadienne. En fait, Habré, président du Tchad de 1982 à 1990, n’a pas subi une tragédie. C’est lui-même qui en fut une pour son peuple. On parle de 40 000 morts sous son régime, sans compter la foule des Tchadiens séquestrés et torturés par sa terrible DDS (Direction de la documentation et de la sécurité).
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Le film ne retrace pas l’ascension de Habré au pouvoir, ni comment il fut soutenu par les Etats-Unis et la France, sous couvert de lutte contre la menace d’une invasion libyenne. Haroun donne essentiellement la parole aux survivants des horreurs de la terreur étatique, qui rappelle celle de systèmes similaires à la même période. Citons par exemple le Cambodge (sous les Khmers rouges) ou bien l’Argentine (sous la junte fasciste). Le réalisateur, lui, échappa au massacre et put se réfugier en France à l’arrivée au pouvoir de Habré.
“J’étais un soldat, j’exécutais les ordres du chef”
C’est sans doute pour cela que, tout au long du documentaire, il donne la parole à une victime, Clément Abaïfouta, qui va être son truchement. Celui-ci rencontre d’autres rescapés, leur demande de décrire leurs souffrances en prison, de montrer leurs blessures. Parfois même, il suscite un dialogue avec un ancien tortionnaire.
Voir à ce propos une scène éloquente, sans doute la meilleure. Un homme amputé, muni de béquilles, retrouve un de ses bourreaux. Espérant une réconciliation, Abaïfouta demande à celui-ci d’implorer le pardon de sa victime. Mais cet ancien gendarme se retranche derrière la discipline militaire : “J’étais un soldat, j’exécutais les ordres du chef”, plaide-t-il. On croirait entendre Adolf Eichmann lors de son procès à Jérusalem, ou bien le Cambodgien terrible, Douch.
Les témoignages se succèdent, les victimes détaillent leur calvaire. Notamment un ancien commerçant devenu invalide car son cerveau est lésé. Il fut incarcéré à cause d’un trafic de sucre rémunérateur. Sa réussite commerciale suspecte lui valut l’incarcération, puis la torture. Aujourd’hui, il se déplace en chaise roulante. Un autre a été martyrisé car il était métis. Dans ce contexte paranoïaque, cela suffisait à en faire un traître potentiel.
Habré a été condamné à la perpétuité en mai 2016
La liste des victimes est interminable. Les sévices de la DDS sont illustrés par des dessins aussi cruels que naïfs sur des calicots affichés à l’extérieur du local de l’Association des victimes des crimes du régime d’Hissein Habré à N’Djamena.
Lors d’une réunion dans ce lieu, Clément Abaïfouta annonce l’arrestation du dictateur au Sénégal, où il s’était réfugié. D’où la fin du documentaire au palais de justice de Dakar, où Habré a été condamné à la perpétuité en mai 2016, juste après la présentation de ce documentaire au Festival de Cannes.
A ce jour, jamais un dirigeant africain n’avait été jugé dans un autre pays du continent que le sien. C’est dire l’importance et l’exemplarité du cas de Habré. Il pourrait faire jurisprudence dans un monde où les dirigeants les plus ignobles coulent une retraite tranquille dans un exil luxueux. Voir le président déchu de la Tunisie, Ben Ali, actuel hôte de marque de l’Arabie Saoudite.
Hissein Habré, une tragédie tchadienne de Mahamat-Saleh Haroun, mercredi 25, 23 h 15, Arte
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