Hillary Clinton pourrait devenir la première femme Présidente des Etats-Unis, et elle en a fait un argument de campagne. Si elle se revendique comme féministe et engagée pour les droits des femmes, elle ne convainc pas de nombreuses jeunes américaines, et un grand pan du mouvement féminisme.
Hillary Clinton a bien changé depuis 2008. A l’époque, lors des primaires démocrates pour l’élection présidentielle américaine, elle n’avait pas osé mettre en avant son statut de femme pour attirer les électeurs. Face à elle, Barack Obama promettait le changement, et ne cessait de rappeler qu’il pourrait être le premier président afro-américain des Etats-Unis. Une stratégie payante, qui a évincé Hillary Clinton de la course à la Maison blanche.
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Huit ans plus tard, l’ancienne première dame a changé de stratégie. Elle met au premier plan son engagement de longue date en faveur des droits des femmes, et clame haut et fort être « absolument féministe ». Alors qu’elle incarne l’élite américaine et la « dynastie Clinton », elle assure être, en tant que femme, une « outsider ». Si elle est la première femme à représenter un grandi parti aux élections présidentielles, Hillary Clinton se veut proche des Américaines. Elle n’est pas seulement une femme politique, mais aussi une mère et une grand-mère, accro aux « FaceTime » avec sa petite-fille. L’ancienne Première dame ne manque pas non plus une occasion pour évoquer et chérir la femme qui l’a inspirée pendant toute sa carrière, sa mère Dorothy (décédée), à l’enfance difficile.
Pour autant, malgré tous ces efforts, Hillary Clinton ne fait pas l’unanimité parmi les Américaines. Elles ne se sont pas pressées aux urnes pour voter pour elle lors de la primaire démocrate, lui préférant son adversaire Bernie Sanders. Dans l’état du New Hampshire, Sanders a remporté 53 % des suffrages féminins, tandis que 82 % des femmes âgées de moins de 30 ans l’ont soutenu, note le journal Politico.
Le féminisme blanc et libéral d’Hillary Clinton ne semple pas parler aux jeunes femmes, et encore moins aux jeunes féministes américaines. Certaines d’entre elles assurent qu’elle ne s’adresse qu’aux plus aisées, loin des idées socialistes de Bernie Sanders. Co-auteure du livre The Faux Feminism of Hillary Rodham Clinton (Paperback, mai 2016), la journaliste américaine Liza Featherstone déclare même que le féminisme défendu par Clinton n’est qu’opportuniste. La candidature d’Hillary Clinton ne serait pas aussi révolutionnaire qu’elle ne le laisse paraître. Et pourrait même être un « symbole qui ne suffit pas », comme le craint la philosophe féministe Nancy Fraser.
Une Première dame de l’Arkansas pionnière
Pourtant, dans les années 1980, Hillary Clinton était reconnue comme une féministe pionnière, n’hésitant pas à refuser le rôle traditionnel de première dame. En 1978, tandis que son époux Bill Clinton vient d’être élu gouverneur de l’Arkansas, elle ne met pas fin à ses activités professionnelles pour se consacrer à son rôle de première dame de cet état. Bien au contraire, Hillary Clinton continue à exercer son métier d’avocate d’affaires, tout en étant membre du comité exécutif de plusieurs entreprises américaines, comme Walmart.
Quelques années plus tard, en 1982, Bill Clinton est en campagne pour sa réélection au poste de gouverneur, et beaucoup reprochent à son épouse d’avoir gardé son nom de jeune fille lors de son mariage. « Hillary Rodham » décide alors d’ajouter « Clinton » à son nom, pour ne pas nuire à son époux. « Des gens étaient contrariés de recevoir des invitations à des événements au nom du ‘gouverneur Bill Clinton et d’Hillary Rodham' », explique-t-elle dans ses mémoires.
« J’aurais pu rester à la maison et préparer des cookies »
Pour autant, Hillary Clinton persistera dans son désir de s’affirmer contre les normes patriarcales. Pendant la campagne présidentielle de son mari en 1992, elle se bat à ses côtés et devient omniprésente, au point de s’affirmer comme une figure politique à part entière. En avril 1992, elle soutient avec aplomb à la télévision américaine « vouloir participer » aux prises de décisions futures, rappelant qu’« elle discute avec son mari des réformes à engager dans le pays depuis plus de vingt ans ».
Et lorsque des journalistes l’interrogent sur les conflits d’intérêts possibles entre son poste d’avocate et celui de son mari, alors gouverneur de l’Arkansas, elle répond avec culot : « j’imagine que j’aurais pu rester à la maison, à préparer des cookies et à boire du thé, mais j’ai décidé de poursuivre ma carrière ». Première first lady à entrer à la Maison blanche avec une expérience professionnelle salariée et une carrière reconnue, Hillary Clinton réinvente le rôle de Première dame au cours des deux mandats présidentiels de son mari (1993-2001).
Hillary Clinton as First Lady https://t.co/DmZWMH6ItJ
— Sigurd Kvernmoen (@sigurdkv) August 22, 2016
Hillary Clinton, co-présidente
Elle n’est pas réduite à un rôle cérémonial, mais devient une co-présidente de Bill Clinton. Bien que le cabinet des premières dames ait toujours été situé dans l’aile Est de la Maison blanche, Hillary Clinton décide de prendre ses quartiers dans l’aile Ouest, soit celle abritant les bureaux du Président. La first lady balaie les traditions et s’investit corps et âmes dans l’administration Clinton. Chargée de diriger un groupe de travail sur la réforme du système de santé américain, elle ne parvient toutefois pas à convaincre le Congrès américain sur le bien-fondé de sa réforme, et l’abandonne en 1994.
Après cet échec, elle décide de réaffirmer son combat féministe en faveur des droits des femmes et des enfants, dans le monde. A Pékin en 1995, lors de la Quatrième conférence mondiale des Nations Unies sur les femmes, elle prononce un célèbre discours, clamant : « les droits humains sont les droits des femmes, et les droits des femmes sont des droits humains. » Une déclaration radicale pour l’époque. Quelques années plus tard, après avoir été éclaboussée par l’affaire Monica Lewinsky, elle redore son blason politique en 2000 en devenant le première femme sénatrice de New York (2001-2009), et la première first lady siégeant au Congrès.
« Human rights are women’s rights and women’s rights are human rights #onceandforall » — @HillaryClinton #HistoryMAKER pic.twitter.com/lxPLwGMU7N
— MAKERS (@MAKERSwomen) July 29, 2016
« Socialisme et féminisme devraient être compatibles »
Malgré son rôle pionnier, Hillary Clinton ne fait toujours pas l’unanimité chez les féministes d’aujourd’hui. Elle est avant tout le symbole d’un féminisme libéral, blanc, et ne s’adressant qu’à une minorité de femmes, déjà privilégiées. Dans son livre The Faux Feminism of Hillary Rodham Clinton, Liza Featherstone assure :
« Hillary Clinton représente un statut quo néo-libéral. Elle rejette le socialisme, alors que socialisme et féminisme devraient être compatibles. Pour une vaste majorité de femmes, leur libération repose sur des mesures socialistes. Genre et justice sociale sont profondément entremêlés, puisque les femmes constituent la majorité des travailleurs à bas salaires, et la majorité des foyers vivant en-dessous du seuil de pauvreté. »
Centriste convaincue, Hillary Clinton n’est pas réputée pour défendre fermement des idées socialistes ou révolutionnaires. Pour elle, justice sociale ne rime pas forcément avec féminisme. Lorsqu’elle était directrice de Walmart, de 1986 à 1992, elle n’a pas oeuvré pour l’égalité réelle, remarque Liza Featherstone. Tandis que les statistiques montraient que les travailleuses de Walmart étaient moins bien payées que leurs acolytes masculins, quelque soit leur position, elle n’a pris aucune mesure pour lutter contre ces discriminations. Et a perpétué la tradition anti-syndicale de l’entreprise.
« Seule une minorité bénéficie de ce combat »
En réalité, Hillary Clinton « se bat depuis longtemps pour faire avancer [la] cause [des femmes], mais entendue d’un point de vue libéral qui s’intéresse d’abord à l’individu, à l’égalité des droits, au sein d’un système défini par le marché », note la philosophe féministe américaine Nancy Fraser, dans un entretien au Monde.
« [Hillary Clinton présente] le marché comme un espace d’émancipation, sans se préoccuper du soutien social qu’il faut pour rendre la réussite de chacune possible. […] Dans une période comme la nôtre, marquée par la montée des inégalités, se battre pour que les femmes puissent atteindre le haut de la pyramide n’est pas une aspiration égalitaire. Seule une minorité bénéficie de ce combat, des femmes déjà bien nanties, qui ont eu accès aux études parce qu’elles proviennent de la classe moyenne ou des classes supérieures, qui disposent du capital social pour faire carrière. »
Toutefois, face au succès inattendu de Sanders lors de la primaire démocrate, Clinton a « gauchisé » son programme, lui apportant une teinte socialiste. Elle a soutenu les mesures en faveur de la gratuité de l’université publique, le salaire minimum à 15 dollars, ou encore une réforme du système judiciaire, pour un plus fort contrôle des bavures policières notamment. Quant à son fort engagement en faveur des droits des femmes et des enfants, il est évidemment visible dans son programme. Elle défend entre autres des congés familiaux payés, un crédit d’impôts pour la garde d’enfants et des crèches pour tous.
Prendre le contrepied des stéréotypes féminins
Si Clinton insiste sur la défense de la famille, cela ne l’empêche pas d’incarner une politique étrangère impérialiste et belliqueuse. En tant que secrétaire d’Etat d’Obama (2009-2013), elle a renversé l’image des femmes pacifiques et reculant devant les guerres. Et n’a pas hésité à s’approprier des stéréotypes masculins, en soutenant des opérations militaires en Irak, Afghanistan, Libye et Syrie.
Bien qu’Hillary Clinton ait ainsi déconstruit les rôles genrés, une quelconque participation à des guerres contredit les idéaux féministes, assure Liza Featherstone :
« Comment peut-on chercher à éradiquer les violences sexuelles tout en menant des guerres, qui exacerbent toutes sortes de violence ? Une conséquence presque universelle des guerres est une augmentation des viols, et des violences sexuelles. »
Un silence complaisant ?
La candidate démocrate est aussi accusée d’ignorer la question des viols dans son propre ménage, avec son mari Bill Clinton. En 1998, l’infirmière Juanita Broaddick a accusé l’ancien Président des Etats-Unis de l’avoir violé vingt ans plus tôt, tout en déclarant qu’Hillary Clinton l’aurait menacé, pour qu’elle garde le silence.
I was 35 years old when Bill Clinton, Ark. Attorney General raped me and Hillary tried to silence me. I am now 73….it never goes away.
— Juanita Broaddrick (@atensnut) January 6, 2016
Si Bill Clinton a nié avoir violé Broaddrick, il est aussi accusé d’harcèlement sexuel par une ancienne employée de l’état de l’Arkansas, en 1991, alors qu’il était encore gouverneur. Kathleen Willey, ancienne assistante à la Maison blanche, l’a quant à elle accusé d’agression sexuelle. En tout, Bill Clinton a été accusé d’abus sexuel par plus de dix femmes – dont des anonymes. Sa femme n’a jamais condamné publiquement ces accusations. De quoi provoquer le courroux de la polémiste Emily Hill, qui s’exprime dans le magazine britannique The Spectator :
« Si Hillary Clinton parvient à l’emporter sur Donald Trump, ce ne sera pas du tout le triomphe ultime du féminisme mais une victoire de plus pour l’institution du mariage. Aux yeux de la féministe que je suis, si c’est un symbole, c’est plutôt celui d’une régression. Si Hillary Clinton avait choisi de divorcer de son sale type (sic), si elle avait acquis une série de principes politiques clairs et fait son chemin toute seule, alors oui j’aurais été la plus grande supportrice de la candidate Rodham. Mais elle est restée collée à Bill cyniquement parce qu’elle avait besoin de l’homme. Et ça, pour moi, ça n’a rien à voir avec la féminité. »
Loin d’être la plus progressive des féministes, Hillary Clinton reflète la grande diversité des féminismes. Et il est difficile d’affirmer qu’elle n’est pas féministe si elle se définit comme telle. En 2015, elle notait avec justesse :
« Je suis toujours étonnée lorsqu’une femme de n’importe quel âge – mais particulièrement une jeune femme – dit quelque chose comme ‘je crois en l’égalité des droits, mais je ne suis pas féministe’. Un féministe est par définition quelqu’un qui croit en l’égalité des droits. J’espère que les gens n’auront pas peur de le dire. Etre féministe ne veut pas dire que vous détestez les hommes ou que vous voulez séparer le monde en deux parties, pas du tout ! Cela veut simplement dire que l’on croit que les femmes ont les mêmes droits que les hommes en matière de politique, culturel, social ou économique. »
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