Mais qu’est-ce qui pousse des mecs à pédaler toute l’année, qu’il pleuve ou qu’il vente, pour livrer le plus vite possible leurs précieux plis ? Rencontre avec ces forçats du bitume qui ont fait du vélo un art de vivre que leur envient les hipsters, ces copieurs… Chaque matin, le même rituel. Thomas, petit blond […]
Mais qu’est-ce qui pousse des mecs à pédaler toute l’année, qu’il pleuve ou qu’il vente, pour livrer le plus vite possible leurs précieux plis ? Rencontre avec ces forçats du bitume qui ont fait du vélo un art de vivre que leur envient les hipsters, ces copieurs…
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Chaque matin, le même rituel. Thomas, petit blond de 25 ans, appelle son “dispatch” – son collègue “sédentaire” qui répartit les courses entre les coursiers : “Quand t’appelles le matin, t’as pas le programme de la journée. Le but est de faire le plus de courses possible sur le moins de distance possible. Il y a les courses rapides d’une heure aller et retour, et celles qui peuvent durer jusqu’à 2 heures 30. En général, tu peux traverser Paris en trente minutes”, raconte-t-il. Après quelques mois à Paris, cet ancien élève de l’école d’ingénieur des Mines à Nantes a rapidement décidé de troquer son job de bureau à 2 100 euros net dans une SS2I (Société de services en ingénierie informatique), pour devenir coursier à 1 500 euros net dans les meilleurs mois, pour quatre jours de boulot par semaine.
Ce sportif accompli, fan de culture urbaine, notamment de Parkour et d’Urbex, avait bien du mal à se faire à l’idée du traditionnel triptyque métro-boulot-dodo : “C’est la seule question à se poser : est-ce que t’es prêt à payer le prix de ta liberté ? Moi, en tant que coursier, je concilie tout, je peux faire mon sport, sortir avec les potes. Au début je ne savais pas si je voulais continuer, puis j’ai croisé des coursiers de plus de 40 ans, et je me suis donc dit que c’était viable à long terme”. Et il n’est pas le seul : dans sa boîte, sur douze coursiers, on trouve quatre Bac+5, et même un doctorant.
“Drogués à l’endorphine”
Ce n’est pourtant pas un boulot de tout repos. 80 à 100 kilomètres de vélo par jour en moyenne, qu’il pleuve ou qu’il neige. Sans compter les accidents dans la circulation parisienne qui s’apparente souvent à un parcours du combattant. Conséquence : un fort turn-over : « Tous les mecs qui restent sont drogués à l’endorphine et sont fanas de vélo”, reconnaît Félix, un grand gaillard de 25 ans, qui fait ce job depuis maintenant cinq ans après avoir bossé quelques mois dans une boîte de sondages. “Comme à la base je ne suis pas super sportif, je ne pensais pas que j’y arriverais. Mais dès que j’ai commencé, j’ai kiffé. En quelques mois, j’ai perdu une vingtaine de kilos ! Durant mes premières journées, je partais me coucher sans manger tellement j’étais fatigué.” Mais à force de connaître Paris, et les pièges de la circulation (le timing des feux, les portières qui s’ouvrent intempestivement), Félix sait désormais économiser son énergie. “On est plus efficaces que les coursiers en scooter, car on se faufile dans la circulation parisienne”, raconte-t-il.
“Ça se rapproche d’une vie étudiante”
“Quand t’es à vélo, t’es libre !”, s’exclame de son côté Houssine, lui aussi 25 ans, Parisien de Ménilmontant, casquette de cycliste orange fluo sur la tête, qu’on retrouve un samedi après-midi à la Cigale, pour un événement Minidrome – Redbull. “Il peut neiger, pleuvoir… Dès que j’ai le cul sur la selle, tout va bien. Mais c’est vrai que c’est un métier moins fatigant en été qu’en hiver.” En période estivale, justement, la plupart des coursiers aiment faire la fête après le boulot, boire des coups. “Ça se rapproche d’une vie étudiante », décrit Thomas.
À force, tous les coursiers à vélo de Paris se connaissent : “Entre nous, il y a lien assez étroit, souligne Félix. Même si chacun a des manières de vivre différentes. Dans ma boîte, on trouve des acteurs, des teuffeurs, des mécaniciens, un mec de Science Po, et un urbaniste.” Ancien barman, Thomas loue “l’entraide entre coursiers” qu’il oppose à “l’hypocrisie de la nuit”. “C’est une vraie communauté, constate Houssine. On aime faire du vélo, mais c’est plus que ça. On parle de vélo, de meufs, de trucs de dingues qu’on voit dans la circulation. Et comme le taff est difficile, il existe une certaine cohésion entre nous.” Chose rare à Paris, une solidarité s’est mise en place. Les coursiers à vélo n’hésitent pas à se filer des coups de main, à se prêter du matériel en cas de casse, à trouver de quoi loger un copain quand l’un d’eux est en galère de logement.
Courses urbaines
Une entraide communautaire que l’on retrouve à l’international : “Le milieu des coursiers internationaux est assez fat. J’ai des potes coursiers à Melbourne, au Japon. Ils habitent à des milliers de kilomètres, et on a exactement le même esprit, les mêmes kiffs. Et quand on vient chez eux, ils nous hébergent sans problème. C’est un milieu très familial”, remarque Houssine, qui est devenu coursier par passion des courses urbaines à vélo organisées de par le monde. “Au départ, je suis devenu coursier car je voulais gagner une course de ce type. Je me suis dit, coursier, c’est parfait, ça m’entraînerait.”
Appelées Alleycats (littéralement “chats de goutière”), ces courses sauvages en pleine ville ont été organisées dès les années 1980 par des coursiers canadiens et américains. Très vite ouvertes aux non-professionnels, ces courses consistent à aller le plus vite possible pour valider le passage à une dizaine de checkpoints, connus au dernier moment, et disséminés à travers la ville. “J’ai trouvé ça dingue, confie Houssine, tu lâches des dizaines de mecs assoiffés de sang dans la circulation. Le délire est d’aller à toute vitesse, pas de pitié dans la circulation, on peut griller les feux et prendre les sens interdits. Mais au final, c’est le mec le plus réfléchi et qui sait s’organiser entre tous les checkpoints qui gagne.”
Les hipsters, tous des fakes
Ces alleycats ont été immortalisées par le réalisateur Lucas Brunelle dans son documentaire Line of Sight. Depuis une vingtaine d’années, des championnats du monde et d’Europe sont mêmes organisées régulièrement, rassemblant des centaines de coursiers sur différentes épreuves en circuits fermés. A Berlin, Tokyo, Chicago… et cette année, à Lausanne en Suisse.
Cette culture de l’extrême est née de conditions de travail, elles-mêmes extrêmes, des coursiers. Alors qu’en France la réglementation sociale impose aux boîtes de courses de fournir à leurs employés un contrat de travail (avec une part de salaire fixe) ainsi qu’une assurance, à l’étranger, et notamment aux États-Unis, ou en Grande-Bretagne, les coursiers sont totalement free lance et payés en fonction du nombre de courses qu’ils effectuent. Ce qui les amène à multiplier les prises de risques dans la circulation, comme le montrait le documentaire Pedal de Peter Sutherland, consacré aux “bike messengers” de New-York des années 1990. “La culture coursier est un dérivé de la culture punk. On vit au jour le jour”, remarque Houssine.
L’univers des coursiers est finalement bien éloigné de la caricature des hipsters à vélo. Reste qu’avec la vogue des vélos à pignon fixe (ou “fixies”), le style coursier – “un mélange de street wear et d’habits techniques”, dixit l’un d’eux – s’est démocratisé parmi les cyclistes des grandes capitales. “Le milieu du fixie a fait la promo des coursiers, on est de plus en plus connus”, reconnaît Félix.
Mais si les coursiers ont pris l’habitude de se déplacer en fixie, c’est surtout pour des questions d’entretien (pas de dérailleur). Et entre coursiers, on appelle souvent les hipsters à fixie les “fake” : “Ils ont le même style que les coursiers, mais ils ont les mains propres”, explique Félix. De fait, avec près de 100 kilomètres dans les mollets chaque jour, les coursiers à vélo font bien partie de ce nouveau prolétariat urbain mondialisé et connecté. On pourrait aussi les appeler les gueules noires de la route…
Marc Endeweld
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