Ancien sénateur socialiste, figure importante du mouvement trotskiste dans sa jeunesse, Henri Weber est mort du Covid-19, le 26 avril, à 75 ans. Il a marqué l’histoire de la gauche.
Avec Henri Weber, c’est un morceau d’histoire de la gauche française qui s’en va. L’ancien sénateur socialiste s’est éteint à Avignon le 26 avril, à 75 ans, des suites du Covid-19, a annoncé sa famille. Dans sa nécrologie, Le Monde rappelle qu’avant de devenir un pilier du Parti socialiste (PS), proche conseiller de Laurent Fabius, au début des années 1980, Henri Weber a été un membre fondateur de la Jeunesse communiste révolutionnaire (JCR), devenue la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), puis le NPA, et un des leaders étudiants de Mai 68.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
On le retrouve d’ailleurs dans toute la bibliographie existante sur ces années-là. Et pour cause : il a cosigné avec l’intellectuel organique de la LCR, Daniel Bensaïd, une analyse à chaud des “événements” : Mai 68, une répétition générale (Maspero), où tous deux font l’analogie avec la révolution russe de 1905.
Les souvenirs d’Alain Krivine
C’est à l’Union des étudiants communistes (UEC), matrice des mouvements trotskistes en France, alors qu’il est étudiant à la Sorbonne, qu’il est repéré par Alain Krivine, de trois ans son aîné. Ils se lient d’amitié, et Krivine finit par le convaincre de rejoindre la IVe Internationale, après la scission de l’UEC. Dans son autobiographie parue en 2006, Ça te passera avec l’âge (Flammarion), Alain Krivine le décrit comme “un de [s]es meilleurs camarades”, et un “excellent organisateur” : “Présent dès le début de la crise de l’UEC, il a participé activement à la direction de tous nos combats jusqu’à son départ, sur la pointe des pieds, au début des années quatre-vingt. Excellent organisateur, y compris en matière de service d’ordre, Henri était également passionné par les débats théoriques : il n’hésitait pas à prendre la plume pour synthétiser et, parfois, enrichir les travaux d’actualisation du marxisme. C’était, entre autres choses, un grand admirateur d’Ernest Mandel. Mais il était profondément agacé par le manque de rigueur organisationnelle de la Ligue. Une tare qui, à ses yeux, empêchait de faire fructifier nos richesses.”
Alain Krivine, qui apparaît à ses côtés sur de nombreuses photos des années 1960-1970, par exemple à l’occasion du défilé après l’attentat contre Rudi Dutschke en 1968, ou du meeting de commémoration de la Commune de Paris en 1971, révèle aussi son talent d’agitateur médiatique : “Toujours à la rechercher de coups médiatiques, il nous proposa, un jour, de louer des éléphants à un cirque pour les mettre en tête de notre cortège dans une manifestation du 1er Mai.”
>> A lire aussi : Quand Alain Badiou rendait hommage à Daniel Bensaïd en 2010
Une étude du courant lambertiste restée dans les mémoires
Son passage à la LCR est aussi resté dans les mémoires, dans le mouvement trotskiste, parce qu’il a signé une brochure en 1971 sur la branche lambertiste du trotskisme. A l’époque, dans une parfaite illustration du “narcissisme des petites différences”, les lambertistes de l’AJS (Alliance des jeunes pour le socialisme) et de l’OCI (Organisation communiste internationaliste) s’affrontaient rudement (et pas seulement théoriquement) aux militants de la LCR. Henri Weber avait alors publié une étude intitulée Qu’est-ce que l’AJS ?, avec Serge Jakubowitz, qualifiée de “très polémique” par l’historien Benjamin Stora (militant lambertiste à l’époque), dans son livre La dernière génération d’octobre.
Henri Weber y critiquait le sectarisme de l’AJS (la “secte lambertiste”), sa “phraséologie ultra-gauche” et sa “pratique ultra-droitière”. Jean-Christophe Cambadélis (lui aussi un ex-lambertiste) s’en souvient aussi dans son autobiographie, parue en 1998, Le Chuchotement de la vérité. Il réagissait ainsi à son étude : “Le lambertisme, une secte ? Je ne le crois pas ou alors tous les groupes d’extrême gauche l’étaient.”
HWeber, 1 légende de la gauche s’en va. Ns ne l’entendrons plus se racler la gorge avant d’intervenir; ns ne le verrons + les mains sur les côtés;
ns n’écouterons + ses analyses percutantes; nous n’aurons + sa bienveillance. Quelle tristesse. Salut amigo!
Pensées à sa famille. pic.twitter.com/6Ak4GsuWkb— Jean-Chr. Cambadélis (@jccambadelis) April 27, 2020
Edwy Plenel, ancien militant de la LCR, cite également cette étude. Dans Secrets de jeunesse (Stock, 2001), il estime qu’elle “tient la distance”. Il en retient notamment un passage où Henri Weber prend de la hauteur sur le mouvement trotskiste : “Le mouvement trotskiste a été profondément marqué par les conditions historiques dans lesquelles il s’est constitué. Il porte les stigmates de son isolement, de sa marginalité, de son impuissance pratique, ce qui le rend vulnérable à toutes les pressions.”
[HOMMAGE] Nous nous sommes tant aimés. Décès d'Henri Weber du Covid-19. Dans mon souvenir arrivant d'Alger à Paris en 1970, ils étaient 3+1 (comme les trois mousquetaires de Dumas): Alain Krivine, Henri Weber, Daniel Bensaïd et Gérard de Verbizier. Seul Alain est encore en vie ⤵️ pic.twitter.com/a3R3GwLckr
— Edwy Plenel (@edwyplenel) April 27, 2020
“Comme s’il se défaisait lentement d’un premier grand amour”
Henri Weber s’est éloigné dès le début des années 1980 de la IVe Internationale pour se convertir au réformisme du PS. Pour autant, Daniel Bensaïd ne le mentionne pas dans la liste des soixante-huitards passés “du col mao au Rotary” (Guy Hocquenghem), dans 1968, fins et suites (Lignes, 2008), où il écrit : “Nous ne nous sentons plus, depuis longtemps, grand-chose de commun avec les convertis, les repentis, les retournés en tout genre, avec les July, les Castro, les Lévy, les Geismar, les Glucksmann, les Broyelle et les Kouchner…”
>> A lire aussi : Cinquante ans après, Alain Krivine commente les graffitis de Mai 68
Dans son livre, Alain Krivine donne sa vision de l’éloignement d’Henri Weber : “Son départ de la Ligue, en 1980, n’a pas été le produit d’une divergence politique assumée, mais la conséquence d’une lassitude et d’une perte progressive de confiance dans les capacités de la Ligue à sortir de la marginalité. Sa véritable rupture avec les idées révolutionnaires a été plus tardive. Il n’a d’ailleurs rejoint le Parti socialiste que des années plus tard. Il est ensuite devenu sénateur puis député européen. Aujourd’hui, c’est un des proches conseillers de Laurent Fabius. Nos relations se sont espacées.”
Edwy Plenel, ancien rédacteur en chef de Barricades ou de Rouge, fait une remarque similaire dans Secrets de jeunesse : “Comme s’il se défaisait lentement d’un premier grand amour, d’un de ces amours de jeunesse dont la marque sentimentale ne s’efface jamais tout à fait, Henri Weber a insensiblement quitté la LCR, se tournant au début des années 1980 vers le PS dont il est devenu l’un des dirigeants, sénateur et fabiusien. Dans un monde imaginaire où l’humour et la franchise, la fraternité et la lucidité seraient les valeurs les mieux partagées, sa brochure aurait pu avantageusement enrichir les débats de la direction socialiste après la demi-confession de Lionel Jospin [dont le militantisme à l’OCI avait été révélé en 2001, ndlr].”
Sur ce passé à l’extrême gauche, Henri Weber avait publié en 2018 Rebelle jeunesse. “Sa vie est un roman”, note le député européen Emmanuel Maurel, lui rendant hommage ce 27 avril.
La mort d’Henri Weber nous laisse inconsolables. De cet homme délicieux, drôle et curieux de tout, il faut absolument lire « Rebelle jeunesse » : sa vie est un roman. Gai savoir, militantisme infatigable : nous pleurons un Camarade et un ami. Condoléances à la famille. https://t.co/QddRMbEFGZ
— Emmanuel Maurel (@emmanuelmaurel) April 27, 2020
{"type":"Banniere-Basse"}