Chanteuse virtuelle devenue une icône au Japon ainsi qu’un incroyable phénomène internet, la pétillante Hatsune Miku est aussi la star d’une série de jeux musicaux. Aussi subtil qu’exubérant, le dernier en date, « Project DIVA X », est aussi le plus renversant.
Comment résister à ses grands yeux bleus qui nous fixent comme si pour elle, à cet instant précis, il n’y avait que nous au monde ? Elle, c’est Hatsune Miku, pop-star japonaise qui accueille avec une gratitude immense le magnifique cadeau qu’on vient de lui faire : un poster d’elle-même. Omniprésente sur le net comme dans son pays d’origine, Hatsune Miku est l’interprète de plus de 100 000 chansons. Elle multiplie les concerts, a même été la vedette d’un opéra-rock présenté à Paris en 2013 et, pourtant, elle n’existe pas.
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La jeune fille de 16 ans est la plus célèbre des chanteuses virtuelles, un personnage créé pour donner un visage à une voix de synthèse commercialisée en 2007 pour accompagner les logiciels Vocaloid de Yamaha et dont la popularité, sur fond d’appropriation par les fans (cosplay, chansons, vidéos amateurs…), a dépassé depuis toutes les attentes pour tourner au phénomène de société, savamment entretenu par une débauche de produits dérivés. Parmi ces derniers, le jeu vidéo tient une place centrale – et change encore la donne.
Le reflet inversé de l’icône manga Ann Lee
Comme le « X » de son titre l’indique, Hatsune Miku : Project DIVA X est le dixième épisode – hors spin-offs – de la série vidéoludique consacrée à notre héroïne aux cheveux bleus. Une héroïne que l’on peut voir comme une sorte de reflet inversé, exubérante plutôt que mélancolique et adoptée par le public autant que par l’industrie, d’Ann Lee, cette icône manga achetée (et détournée) par les artistes Pierre Huyghe et Philippe Parreno à la fin des années 1990 – comme une Ann Lee qui aurait réussi.
Dans les jeux Project DIVA, Hatsune Miku fait ce qu’elle a toujours fait : chanter, danser, sourire et se déguiser. L’expérience relève donc logiquement du rhythm game, ce genre alternativement (voire simultanément) fastidieux et enivrant dont le génial PaRappa the Rapper a posé les bases en 1996. Le but, comme toujours, est de réagir au bon moment aux signes qui s’affichent à l’écran. De presser triangle, rond ou croix, parfois en plus d’une touche de direction ou alors en laissant le bouton appuyé un certain temps, et tout ça dans le bon tempo alors que s’accélère le rythme des morceaux. Alors, on est dedans ou dehors. Dans le rythme, dans la musique, incrédule et transporté, remué à l’intérieur, ou au contraire à côté – de la chanson, de la plaque, de tout. In the zone, ou à la rue.
Le plaisir est moins dans la maîtrise que dans la participation
Sans rompre avec les règles du genre, Project DIVA X se distingue par sa manière de surcharger l’écran où Hatsune Miku se trémousse en costume de chat (ou de lapin, ou sous un masque de sa collègue à grosse tête Mikudayo). L’image est à la fois une scène ouverte et un tableau bariolé aux thématiques variées (Halloween, super-héros sentai, fonds marins…) que viennent trouer les indications à suivre (une croix bleue qui s’envole, un rond rouge qui plonge…) comme autant de fusées d’un feu d’artifice savamment débridé. Face à cette double logique de brouillage (on peut vite perdre le fil) et d’accumulation, le plaisir est en fait moins dans la maîtrise – même si on jubile en remplissant nos objectifs, très accessibles au niveau « normal » – que dans la participation.
Ici, on ne fait pas croire au joueur qu’il produit la musique comme dans Rock Band ou Guitar Hero – même si ses échecs répétés peuvent l’interrompre. Notre véritable fonction est d’aider Hatsune Miku dans un rôle qui évolue entre ceux du fan, du manager et du confident, de bouger avec elle, de l’accompagner. Et d’ajouter notre pierre (notre son, modeste, l’important c’est de participer) à l’édifice musical et glamour de Project DIVA X, de faire savoir qu’on est là, et bien là.
Entre la star et nous, le compteur d’« amitié » vient de passer au niveau 3
Ce qui est beau, alors, c’est qu’en la personne d’Hatsune Miku, le jeu nous répond – en japonais, mais avec des sous-titres anglais. Et tant pis si c’est pour nous faire savoir en grimaçant un peu que, franchement, se mettre au tambourin, non merci. No Ghost Just A Shell : tel était le titre global du projet Ann Lee. La coquille (« shell ») Hatsune Miku, elle, recèle aujourd’hui bien des choses. C’est même un réceptacle sans fond discernable qui semble pouvoir tout contenir, tout accueillir, et en même temps une pure image qui échappera toujours à la pesanteur.
Jouer à Project DIVA X, c’est chercher sa place dans ce joyeux pas de deux entre le plat et le plein et, miraculeusement, la trouver, à condition de faire preuve d’un minimum de bonne volonté et d’oser se laisser envoûter, par-delà le beau et le laid, par le charme piquant de sa J-Pop désinhibée. Ça y est : on a « reconnecté » le « nuage du mignon » à ceux du « cool » et de l’« élégance ». Entre la star et nous, le compteur d’« amitié » vient de passer au niveau 3. Le moment est venu de lui offrir de quoi redécorer son QG. Alors oui, admettons : Hatsune Miku n’existe pas. Mais la vérité est que, maintenant, telle Harriet Andersson dans Monika d’Ingmar Bergman (mais pas tout à fait pareil), elle ne regarde que moi.
Hatsune Miku : Project DIVA X (Sega), sur PS4 et Vita, 45 €
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