Uber a lancé deux enquêtes internes pour évaluer les problèmes de sexisme et de harcèlement dans ses bureaux. Alors qu’il fait face aux scandales, le géant américain aux 70 milliards de dollars affronte aussi une remise en cause de son modèle économique. Son PDG, Travis Kalanick, a décidé de se retirer provisoirement.
Le fondateur et PDG du groupe, Travis Kalanick, a annoncé le mardi 13 juin prendre un congé sabbatique d’une durée indéterminée. Depuis quelques mois, la start-up devenue grande est déstabilisée à cause du climat qui règne dans l’entreprise, et le patron est au centre des critiques sur le supposé sexisme de la compagnie.
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En mars, il a été forcé de reconnaître ses difficultés à diriger Uber. Une vidéo (à partir de 3’57) le montre rabrouant un chauffeur qui exprimait ses difficultés face aux tarifs pratiqués.
“Il est clair que cette vidéo me reflète, avouait Travis Kalanick à ses employés. Et les critiques que nous avons reçues sont un dur rappel que je dois fondamentalement changer comme leader et grandir. C’est la première fois que j’accepte de reconnaître que j’ai besoin d’aide pour diriger et que je compte me la procurer.”
215 plaintes d’employés enregistrées
Un mois plus tôt, en février, le témoignage d’une ancienne salariée d’Uber, Susan Fowler, brisait la glace sur les comportements sexistes dans les bureaux de l’entreprise. Sur son blog, elle raconte le harcèlement de son supérieur et l’attentisme des ressources humaines face à sa situation : “La direction m’a dit qu’il était ‘hautement performant’ […] et qu’ils ne se sentiraient pas à l’aise avec le fait de le punir pour ce qui était probablement juste une erreur innocente de sa part.”
La publication, néanmoins, a amené de nombreuses salariées à témoigner sur des affaires similaires et Uber a mandaté deux enquêtes internes pour se pencher sur la situation. L’une de ces enquêtes a permis l’enregistrement de 215 plaintes. 47 concernaient des affaires de harcèlement sexuel et 54 étaient relatives à des cas de discrimination.
I wrote something up this weekend about my year at Uber, and why I left: https://t.co/SyREtfLuZH
— Susan J. Fowler (@susanthesquark) 19 février 2017
L’une de ces enquêtes est menée par Eric Holder, ex-procureur général des Etats-Unis sous Barack Obama. Un indicateur révélateur de la gravité de la situation en coulisses.
Grand ménage dans les bureaux
Parallèlement à ces enquêtes, la direction d’Uber effectue un grand ménage. Le numéro deux de l’entreprise, Emil Michael, annonçait sa démission le lundi 12 juin. Selon le New York Times, son départ était conseillé par l’enquête d’Eric Holder. En mars, c’est Amit Singhal, directeur technique, qui était poussé à la démission pour avoir dissimulé des plaintes de harcèlement sexuel contre lui lorsqu’il travaillait pour Google. Début juin, Uber révélait le licenciement d’une vingtaine de salariés pour des affaires de harcèlement, de discrimination ou de comportements inappropriés.
Pour redorer son blason, l’entreprise multiplie les nominations de femmes à des postes importants. Notamment Bozoma Saint John comme directrice de marque. Dans un entretien au site américain Recode, elle reconnaît l’ampleur de la tâche : “Je sais où je mets les pieds. […] Ma première responsabilité est de changer la perception de la marque.”
Lors d’une réunion sur le sexisme chez Uber, un membre du conseil d’administration fait une blague sexiste https://t.co/FUjwo9iVRw pic.twitter.com/JvCwOaNkLH
— 20 Minutes (@20Minutes) 14 juin 2017
Malgré les enquêtes et ces nominations, Travis Kalanick n’a pas pu empêcher les démissions de figures importantes de l’entreprise. Gautam Gutpa, directeur financier, annonçait son départ en mai, tandis que Jeff Jones démissionnait un mois plus tôt. Six mois seulement après son arrivée dans l’entreprise en tant que président.
Un modèle économique intenable ?
Selon Bernard Guilhon, professeur d’économie à la Skema, la vague de démission est révélatrice d’un problème plus profond : la précarité du modèle économique d’Uber sur le plan juridique.
“Les personnes qui étaient là au départ d’Uber craignent énormément des interventions juridiques, qui risquent de remettre en cause ce type de modèle et surtout de jeter une image tout à fait négative sur la firme.”
Uber est désormais pris en étau entre les critiques de son modèle d’entreprise et ses difficultés économiques. Si l’entreprise est valorisée à près de 70 milliards de dollars, elle a également accumulé les pertes ces derniers temps selon Les Échos. En 2016, elle perdait près de 3 milliards de dollars et au premier trimestre de 2017 plus de 700 millions.
Dans certains pays comme l’Italie et l’Argentine, et jusque dans les villes américaines, les décisions de justice se multiplient contre la plateforme de transport pour concurrence déloyale ou transport illégal. “Leur modèle d’entreprise n’est pas tenable à long terme parce qu’Uber s’affranchit de la loi”, prédit Bernard Guilhon. En mai, la cour de justice de l’Union Européenne rappelait l’entreprise à l’ordre dans un avis à la demande d’un juge espagnol :
« La plateforme électronique Uber, tout en étant un concept innovant, relève du domaine du transport, si bien qu’Uber peut être obligée de posséder les licences et agréments requis par le droit national. »
“C’est une structure complètement privée mais elle représente des bases de données immenses qui devraient être rendues plus ou moins publiques, ajoute Bernard Guilhon. Ce serait normal d’y voir clair là dedans : par exemple est-ce qu’il y a des éléments de discrimination dans ces bases ? Ça pose d’énormes problèmes. Les juristes américains et européens sont en train d’affuter leurs armes pour voir si on peut aller plus loin de ce côté.” Les déboires juridiques d’Uber ne vont pas aller en s’arrangeant…
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