Dans un pays où les violences machistes tuent, l’Argentine vient de voter une loi pénalisant le harcèlement de rue. Une question sur laquelle la France, elle, a encore beaucoup de chemin à parcourir.
Le 7 décembre dernier le Parlement de Buenos Aires a voté une loi pénalisant le harcèlement de rue afin de lutter contre la culture machiste qui règne dans le pays. Les peines encourues pourront aller jusqu’à 1 000 pesos (60 euros) ou dix jours de travail communautaire contre les personnes qui « harcèlent, maltraitent ou intimident » et qui « affectent, de manière générale, la dignité, la liberté, la libre circulation et le droit à l’intégrité physique ou morale des personnes, en fonction du genre, de l’identité et/ou de l’orientation sexuelle ». Comme le relève Le Monde, les propos visés sont avant tout les piropos, sortes de compliments pouvant aller du sifflement dans la rue aux qualifications obscènes.
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En avril 2015, Aixa Rizzo, une étudiante argentine âgée de 20 ans, témoigne du harcèlement de rue dont elle est régulièrement victime, via une vidéo devenue virale, diffusée sur YouTube. Intitulée « Du compliment au viol », elle y raconte comment des ouvriers ont commencé à la suivre, jusqu’à ce que l’un d’entre eux la menace sexuellement. Aixa finira par s’échapper grâce à une bombe lacrymogène qu’elle avait dans son sac. Elle se tourne alors vers la police, qui ne prend pas son témoignage au sérieux : « Je les ai contactés par téléphone, mais ils m’ont répondu qu’il n’y avait pas de catégorie correspondant à mon cas ».
Très vite, les médias s’emparent de son histoire, et Aixa Rizzo devient « le visage public de la lutte contre le harcèlement de rue dans son pays », écrit le quotidien espagnol El Pais. Plusieurs députés l’ont même contactée. Le retentissement est si grand, que le Parlement argentin lança à l’étude trois projets de loi visant à pénaliser le harcèlement de rue, le mois suivant.
Les féministes divisées
Seulement voilà, dans le pays, plusieurs voix s’élèvent aujourd’hui pour critiquer l’efficacité de l’application de cette nouvelle loi. Comme le rapporte Le Monde, pour Raquel Vivanco, coordinatrice argentine de l’ONG MuMala, « Mujeres de la Matria Latinoamaricaina », « le fait que les femmes doivent recourir à des stratégies, comme changer de trottoir ou s’habiller discrètement, est une forme de violence sexiste qui illustre l’absence de l’Etat ».
« Je ne m’imagine pas allant au commissariat pour dénoncer un harcèlement de rue alors que les policiers ne tiennent pas compte des plaintes de femmes qui arrivent avec les yeux en compote à la suite de coups reçus dans leur foyer », écrit la journaliste féministe Mariana Carbajal, dans le quotidien Pagina 12.
Elle demande des « politiques publiques contribuant à penser intégralement le problème, faisant prendre conscience de la violence exercée contre les femmes et, donnant des réponses adéquates dans l’immédiat mais aussi à long terme ».
En Argentine, le terme « féminicide » (le meurtre d’une femme en raison de son sexe) est inscrit dans le code pénal depuis 2012, en tant que circonstance aggravante d’un homicide. Le 8 octobre dernier, le pays a été, une fois de plus, frappé par un acte de ce genre. Lucia Pérez, une adolescente de 16 ans meurt à la suite de ses blessures après avoir été droguée, violée et empalée par ses agresseurs. Cet assassinat a profondément choqué le pays. Quelques jours plus tard, plusieurs dizaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues de Buenos Aires pour manifester contre les violences faites aux femmes dans le pays.
Le cas de la France
En France, la marche vers la pénalisation du harcèlement de rue semble plus difficile. Selon une étude de 2015 du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, 100 % des femmes interrogées ont répondu avoir déjà été harcelées dans les transports. Au moins de juillet 2015, Pascale Boistard, secrétaire d’Etat chargée des Droits des femmes, et Alain Vidalies, secrétaire d’Etat chargé des Transports, de la Mer, et de la Pêche, lançaient un plan national de lutte contre le harcèlement sexiste et les violences sexuelles dans les transports. Au total, douze engagements afin de mobiliser l’opinion et de former le personnel des transports. A la suite de quoi émerge un projet de loi visant à garantir la sécurité des voyageurs dans les transports publics. La députée PS Marie Le Vern y fait entrer l’article 14 qui concerne précisément « le harcèlement et les violences sexistes ».
« La proposition de loi relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs », adoptée par l’Assemblée nationale le 17 décembre 2015 a alors été examinée par le Sénat au moins de janvier suivant. Résultat : l’article 14 est supprimé, comme le révélait Marie Le Vern sur Twitter :
Le Sénat a supprimé l'article qui comportait des mesures contre le #harcèlement dans la ppl #transports pic.twitter.com/sAYNEtBumj
— Marie Le Vern (@Marie_LeVern) February 2, 2016
La députée dénonce cette mise à l’écart d’un problème de société. « Cette suppression éclipse brutalement le sujet des harcèlements sexistes, sans proposer d’alternative », regrette-t-elle. Elle pointe également la complexité juridique de la question : « Ils ne sont pas des délits pénalement punis contrairement aux atteintes physiques, aux injures, aux menaces… Difficiles à définir, difficiles à détecter, ils échappent aux grilles classiques de la lutte contre la délinquance. Et conclut par : En les évacuant purement et simplement du texte, les sénateurs contribuent à renforcer l’invisibilité de ces actes, et retardent encore un peu plus la prise de conscience. »
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