Hanna Böhman, ex-mannequin canadien de 46 ans est partie combattre l’État islamique à Rojava avec un mouvement armé kurde. Elle nous raconte son combat sur le front face à Daech.
Cet ex-mannequin canadien de 46 ans est partie combattre l’État islamique à Rojava avec le YPJ. Un mouvement armé kurde, créé en 2012, qui a la particularité d’être exclusivement féminin. Il rassemble entre 7000 et 10000 femmes et est rattaché au YPG (les Unités de protection du peuple), la branche syrienne du PKK.
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Pourquoi as-tu décidé de rejoindre les femmes du YPJ (« Yekîneyên Parastina Jin » en kurde ndlr) ?
Hanna Böhman – L’année dernière, en 2014, j’étais arrivée au bout d’un cycle de questionnement profond sur le sens de ma vie et des gens qui m’entouraient ; tout un monde qui me déprimait beaucoup. Depuis que j’avais arrêté le mannequinat il y a une dizaine d’années, je n’avais pas vraiment de carrière et j’enchaînais les petits boulots. Je sortais aussi d’un grave accident de moto arrivé qui m’avait totalement abattue. Je me suis mise à la recherche d’une source d’inspiration. J’ai appris par Internet l’existence du YPJ. Il existait donc au Moyen-Orient des jeunes femmes qui, faisaient face à Daech quand des dizaines de milliers d’hommes avaient fui, combattant 5000 ans de domination masculine.
Autre aspect important, j’avais une certaine expérience avec les armes. On chassait des chevreuils et des oiseaux dans les prairies canadiennes quand j’étais adolescente. Quant au combat en tant que tel, j’ai appris sur le tas, ça relève en fait beaucoup du bon sens. Baisser la tête, tirer, puis se pousser…L’important, c’est de ne pas tirer continûment du même endroit et de réfléchir sur ce que l’on vise car nos ennemis (et nos amis !) sont toujours en mouvement.
Selon toi, ce combat est aussi celui des femmes kurdes ?
Les occidentaux ont tendance à penser que cette guerre n’est que le fruit d’un affrontement entre Daech et les Kurdes, alors qu’il s’agit en fait aussi d’une révolution féministe, à laquelle les hommes kurdes veulent prendre part. Ce qui distingue le modèle kurde d’autres modèles similaires, c’est l’inclusion des femmes dans tous les rôles et une conception très locale de la politique (le YPJ est affilié au PKK, le parti des travailleurs du Kurdistan de sensibilité marxiste-léniniste ndlr).
Les comités ont par exemple un directeur homme et un directeur femme. Au moins 40% des membres doivent être des femmes. Les questions qui ne se rapportent qu’aux femmes sont discutées par des comités uniquement féminins. Les hommes ne sont pas autorisés à se prononcer dessus. C’est bien ce qui vaut au mouvement de passer pour radical au Moyen-Orient.
Peux-tu nous raconter ta toute première entrevue avec les filles du YPJ ?
Avant de partir, j’avais commencé à me renseigner par Internet sur le YPJ, sur leur musique et sur leur combat politique. J’étais interpellée par les images de ces jeunes femmes combattant, avec des vieux fusils AKs et Dragunov, des violeurs (cf: la systématisation du viol sur les femmes yézidis par Daech) qui eux, ont des tanks et des caméras thermales de vision nocturnes.
Le soir de mon arrivée, nous étions dans un taxi sur une petite route perdue dans les montagnes quand nous avons pris un virage. Nous faisions face au soleil couchant. En provenance d’une petite colline, est apparue dans la lumière une Toyota Hilux avec trois filles du YPJ debout, à l’arrière, brandissant dans le vent leur drapeau et un autre à l’effigie d’Apo (cf :Adbullah Ocalan, fondateur du PKK). C’était digne d’une scène de film, je n’oublierai jamais cette vision. Au début, ça n’a pas été simple. J’étais en conflit avec certaines de leurs traditions, je critiquais la nourriture que je trouvais dégueulasse, je souffrais du froid et du manque de sommeil. Mais les filles ont fait avec mes sauts d’humeur, elles m’ont fait me sentir la bienvenue.
Comment les as-tu contactées et est-ce qu’elles t’ont acceptée tout de suite ?
Je les ai contactées par Internet. Les règles pour faire partie de la troupe étaient simples : pas d’alcool, pas de drogue, pas de sexe ou de sentiment amoureux.
A quoi ressemble une journée type pour toi ?
Ca dépend d’où nous sommes. Si nous sommes en position de défense, la plupart du temps, nous dormons, mangeons et bavardons entre nous. Mais il faut garder nos armes à portée de main en cas d’attaque. Nous faisons des veilles à tour de rôle, une la nuit et une le jour. Pendant la journée, le plus gros risque, ce sont les camions piégés et la nuit, les serpents. Si nous sommes en position d’attaque, les journées peuvent être très mouvementées. Nous courons dans les champs, nous nous déplaçons en camion sur les autoroutes et attaquons les positions de Daech.
D’après toi, combien de temps va durer ce conflit ?
Ca durera tant que les pays qui cherchent à combattre Daech interférerons avec les Kurdes. J’ai déjà perdu cinq de mes amies cette année dans cette guerre injuste.
Quel regard portes-tu sur les membres de l’État islamique ?
Mon sentiment est que les combattants de Daech sont des asociaux. Ce sont des gars qui quand ils n’ont pas pu obtenir un rencard, un travail, devenir une rockstar, ou satisfaire leur sens du droit, ont imputé leur échec à un système soi-disant défaillant plutôt qu’à eux-mêmes.
Après un bref retour au Canada pour problèmes de santé, tu es revenue combattre à Rojava en septembre, pourquoi ?
Pendant mon séjour au Canada cet été, j’étais obnubilée par mes amies que j’avais laissées au Kurdistan syrien. Ça me rendait malade de penser qu’elles encouraient la mort à un moment où je m’attablais devant un steack, ou que je m’apprêtais à boire un verre de vin. J’avais la sensation de les avoir abandonnées, et ça alimentait mon ressentiment contre la « gloutonnerie » du monde occidental. Alors, je suis retournée à Rojava. Quelques jours plus tard, alors que j’étais assise sur la pente de la colline avec les filles, j’ai su que j’avais fait le bon choix.
Propos recueillis par Vera Lou Derid
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