Après le fiasco à l’Assemblé, la loi sur la Création et l’Internet va être représentée le 28 avril prochain. Mais le problème de fond demeure : que faire de ce fourre-tout qui privilégie la répression au détriment de la création ?
Coup de théâtre à l’Assemblée. Alors que la loi Création et Internet, instaurant la riposte graduée et la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi), avait été votée le 3 avril, elle a été rejetée le 9. Durci après son passage en commission paritaire, le texte venait d’être adopté par le Sénat.
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Alors que le vote ne devait être qu’une formalité pour le gouvernement, il s’est transformé en camouflet. 21 députés ont voté contre le texte (15 pour) dans un hémicycle déserté par l’UMP, dont certains membres étaient “dubitatifs”, selon le mot de Lionel Tardy (UMP), opposant qui a boycotté le second vote.
Ce vote, dont se félicitent les opposants à la loi, ne l’enterre pas. Elle devrait repasser, dans la version votée le 3, dès la fin des vacances parlementaires le 28 avril, au Sénat puis à l’Assemblée, qui cette fois aura le dernier mot. Cependant, ce rejet montre combien la confusion reste de mise, malgré des heures de débats et l’aplomb de la ministre de la Culture et du rapporteur Franck Riester.
Confusion car le texte soulèvera encore des questions de mise en place, de fonctionnement et de constitutionnalité. Selon le texte, les ayants droit qui auront repéré l’adresse IP d’internautes téléchargeant via le peer-to-peer pourront la fournir à l’Hadopi afin qu’elle engage la riposte graduée (mail d’avertissement, lettre recommandée, suspension d’abonnement). Seule façon de s’en prémunir : installer sur son ordinateur un logiciel (payant) de sécurisation. L’Hadopi ne sanctionnerait donc pas le téléchargement mais le défaut de protection de la connexion. La possibilité que l’Hadopi apprenne via les fournisseurs d’accès internet (FAI) la désactivation du verrou constitue “une menace d’espionnage permanent” pour la députée verte Martine Billard, qui s’est battue contre le projet. Le texte prévoit en outre deux mesures également porteuses d’interrogations : la labellisation des offres légales et leur surréférencement dans les moteurs de recherche.
Si la loi était votée en l’état, les députés de l’opposition devraient envisager un recours auprès du Conseil constitutionnel, arguant d’atteintes aux libertés et de ruptures d’égalité devant la loi. Martine Billard souligne le flou entourant les critères qui pourraient exonérer de la riposte certaines connexions (professions de santé, juridiques, universités…) ainsi que l’incertitude concernant les abonnés à des offres triple-play. Les recours pourraient aussi intervenir au niveau européen, où le surréférencement pourrait être considéré comme une atteinte à la libre concurrence et la coupure d’accès comme une sanction disproportionnée.
Enfin, le financement de l’ensemble reste incertain. Même si la loi était votée, les internautes qui téléchargent illégalement (et toujours passibles de poursuites pour contrefaçon) ne devraient pas voir leur accès internet coupé rapidement, puisque les FAI estiment qu’il faudra un an et demi pour mettre en place cette mesure. Entre-temps, les pratiques et les technologies auront évolué, notamment grâce au streaming. Or le “texte n’a pas abordé le volet création, pourtant fondamental”, comme l’écrit sur son blog Lionel Tardy. Sur le site resmusica.com, le président de la Sacem Laurent Petitgirard déclare que “les effets de la loi seront peu sensibles” en raison des faibles recettes publicitaires sur le net.
Le débat est riche en enseignements. On a pu constater les approximations du gouvernement, sa rigidité, son manque de compréhension des nouvelles technologies, et un certain désintérêt pour le numérique, déjà absent du plan de relance. Et la discrétion de la secrétaire d’Etat à l’économie numérique, Nathalie Kosciusko-Morizet, suscite des interrogations.
Les décalages d’intérêt, de génération et de maîtrise technique entre politiques et citoyens sont flagrants. La loi a été votée par 16 députés, puis rejetée par 36, tandis que les retransmissions des discussions sur le site de l’Assemblée battaient des records d’audience. “Pouvoir suivre les séances de l’Assemblée en direct, c’est un grand progrès pour la démocratie”, souligne Martine Billard, qui se félicite de l’apport des internautes. “C’est positif que les députés puissent débattre et juger en connaissance de cause, aidés par les citoyens. C’est un sujet qui suppose des compétences juridiques, culturelles et informatiques qu’il est difficile de réunir.” Et la députée ajoute : “On ne peut pas travailler sur des lois qui impliquent des aspects techniques en faisant l’impasse sur ces aspects. Sinon, on finit par faire des lois qui ne servent à rien.”
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