Le temps d’un week-end, plusieurs centaines d’acteurs de l’innovation numérique mais aussi de citoyens concernés se sont regroupés pour inventer des solutions pour « renforcer la sécurité à Paris ». Si l’initiative a été saluée par certaines organisations, d’autres soulèvent des questions concernant la protection des données et les libertés individuelles.
400 inscrits, 38 équipes. Le hackathon Nec Mergitur, organisé par la ville de Paris et la préfecture de police, est un succès indéniable en terme de mobilisation citoyenne. Du vendredi 15 janvier au soir à dimanche, l’école d’informatiques privée dite « Ecole 42 » de Xavier Niel, a accueilli ce rassemblement de développeurs, designers, étudiants en école de commerce et autres membres de la société civile, venus réfléchir à des solutions pour améliorer les dispositifs de sécurité dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.
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« Ma soeur était en terrasse, à côté d’un des bars qui s’est fait canarder le 13 novembre », raconte Romain, étudiant de 19 ans à la Web@cadémie, venu avec quelques camarades apporter leurs talents de développeurs aux différents groupes de travail. « On est là pour aider les citoyens », nous explique-t-il vendredi dans une des salles de l’école 42, alors qu’est retransmis au même moment sur grand écran le discours d’Axelle Lemaire, secrétaire d’Etat au numérique, devant un amphithéâtre adjacent bondé.
(L’école 42 pendant le Hackathon / 17 janvier 2016 © Marie Turcan)
Un post Facebook devient un hackathon
Dans la foule venue participer à ce « marathon » de l’innovation numérique, les profils sont variés mais tous partagent une envie démesurée de « faire avancer les choses », « améliorer les services » et surtout « apporter de nouvelles solutions » contre le terrorisme. Au détour d’un couloir, on rencontre Jean-François Pillou, fier d’avoir donné l’impulsion à ce rassemblement. Le dimanche qui a suivi les attentats du 13 novembre, le fondateur du site Comment ça marche et directeur général associé du groupe média CCM Benchmark, a posté un message sur son compte Facebook : « Et si nous disruptions la lutte contre le terrorisme avec la technologie? »
Et si nous disruptions la lutte contre le terrorisme ? S’il existe une infime chance, ça vaut le coup d’être tenté ! pic.twitter.com/bt3Up13PGf
— Jean-François Pillou (@jeffpillou) 15 Novembre 2015
« Je me disais qu’il fallait trouver des idées et des solutions pour aider les gens », explique-t-il. Son billet sur Facebook est énormément partagé sur les réseaux sociaux, et dès le lendemain, il est contacté par les équipes de Jean-Louis Missika, adjoint de la maire de Paris Anne Hidalgo:
« Ils m’ont dit de venir le jour même pour discuter. Autour de la table, il y avait des gens de la mairie de Paris, du cabinet du Premier ministre… On a fini par se dire qu’un hackathon serait une bonne idée. C’est une première : la préfecture de police et le gouvernement acceptent d’être aidés par des acteurs extérieurs. »
Désengorger les centres d’appel d’urgence
L’un de ses chevaux de bataille est de moderniser le 17, « un truc archaïque, alors qu’on est à l’ère des SMS et des applications… » Le 13 novembre dernier, les centres d’appel liés aux numéros d’urgence (17, 18, 112) s’étaient en effet retrouvés submergés de demandes. Son indignation a été entendue: parmi les dix projets sélectionnés par le jury du Hackathon dimanche soir, plusieurs proposent des alternatives à la plateforme d’appel qui sert à contacter les services de police. C’est ainsi qu’une équipe du hackathon a inventé le projet « SoMS », un service complémentaire qui permettrait de contacter le 17 par SMS, tandis qu’une autre a développé NavaroHotLine, définit comme un « futur 112 numérique, pareil que le 112 mais avec des SMS et des tweets ».
(Un des tableaux installés pour le hackathon Nec Mergitur / 15 janvier 2016 © Marie Turcan)
D’autres ont plutôt misé sur la diffusion des informations que sur le recueillement, à l’image de « AlerteMe », qui permettrait à la prefecture, la mairie ou le gouvernement d’envoyer des SMS ciblés à des citoyens en fonction de leur localisation géographie. « On peut cibler tous les gens qui se situent dans le 19ème arrondissement », indique Mario. Avec Romain, Esther, Aurélien et Romuald, ils ont développé ce projet en 48h, alors qu’ils ne s’étaient jamais rencontrés auparavant. « Contrairement à d’autres équipes, qui étaient déjà venues avec leurs projets tout faits, et qui sont venues le pitcher aux représentants officiels en y allant au culot », nous confie l’un des participants un peu amer. « C’est sûr, c’est moins l’esprit du hackathon… » regrette un autre.
Le jury du hackathon a en effet récompensé plusieurs innovations qui existaient déjà avant le lancement de l’événement, comme REPAIRES, une application qui a vocation à partager les plans d’accès aux bâtiments aux services de secours, promue par l’IGN (Institut national de l’information géographique et forestière).
Des questions sur la collecte des données personnelles
AlerteMe a gagné sa place dans le groupe des finalistes. Ce projet — comme d’autres développés au cours du week-end — soulève toutefois des questions en matière de collecte de données personnelles. Pouvoir envoyer un message ciblé à toutes les personnes qui se trouvent dans le 19ème arrondissement de Paris signifie pouvoir géolocaliser tous les citoyens. L’équipe d’AlerteMe en a conscience :
« C’est sûr qu’il faut mettre des barrières, avec un partenariat très clair qui explique les règles, entre gouvernement et opérateurs de téléphonie », explique l’un d’entre eux.
(Présentation des projets à Clotilde Valter, secrétaire d’État chargée de la Réforme de l’État et de la Simplification / 17 janvier 2016 © Marie Turcan)
Pour s’assurer de la légalité de leur application, ils ont profité de la présence, pendant le week-end, de représentants du Conseil du numérique et de la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés). « On a demandé l’avis de la CNIL, et selon eux dans notre cas, l’éthique dit que lorsqu’il s’agit de cas critiques [comme des attentats dans un endroit précis, ndlr] c’est la vie qui prime avant tout « . Et d’ajouter :
« De toute manière, les opérateurs savent déjà où vous vous situez, n’importe quand. »
Jean-François Pillou, qui a conscience des enjeux liés au développement d’applications qui permettraient aux autorités de récupérer certaines données personnelles, est également de cet avis:
« 80% des Français sont prêts à renoncer à un peu de liberté pour un peu plus de sécurité. Il y aura toujours des gens pour s’opposer et râler, ou imaginer que le Front national prenne le pouvoir et utilise ces données… Moi, si on me donne une application en me disant qu’il y a un risque que l’on récupère mes informations [de géolocalisation, ndlr] mais que je serais mieux informé en retour, je la téléchargerais quand même. »
(La répartition des groupes en fonction des projets / 15 janvier 2016 © Marie Turcan)
Les limites du « tout sécuritaire »
C’est à cause de ces limites que la Quadrature du net, association de défense des libertés individuelles sur internet, a choisi de ne pas participer à ce marathon de l’innovation, bien que ses équipes aient contribué aux réunions préparatoires. « Autant on était partants pour un hackathon tourné autour de l’amélioration des services d’urgences, d’information des habitants… Autant un hackathon tourné vers le ‘tout sécuritaire’ n’était pas du tout ce qui nous convenait », nous explique leur porte-parole Adrienne Charmet.
« On n’avait aucun moyen d’être certains que les projets seraient tous faits dans l’état d’esprit qui nous convient. Sans hostilité, on préféré refuser d’y participer. On ne voulait pas être juste une caution morale. »
Les membres du Conseil du numérique, interrogés sur place vendredi, considéraient à l’inverse qu’il était important qu’ils soient présents pour aiguiller les candidats:
« Tout va aller très vite, les gens seront fatigués, il faut qu’on soit là pour leur dire de faire attention aux mots qu’ils emploient, ce que cela signifie, les conséquences que cela peut avoir… »
« C’est sûr qu’on n’a pas envie que le gouvernement nous piste », confirme Romain, le jeune étudiant développeur. Tous les participants partagent, peu ou prou, cette position. Mais derrière cette noble intention, il est pour l’instant difficile de s’assurer que les projets qui ont été pitchés respecteront, une fois mis en place, la protection des données des citoyens.
« Qu’est-ce qui nous dit que les plateformes de collectes seront suffisamment sécurisées? » s’interroge l’hacktiviste et consultant en sécurité informatique Nicolas Diaz. Selon lui, le hackathon Nec Mergitur a été organisé trop tôt après les attentats de novembre, « dans la précipitation« , au risque de laisser le besoin de se sentir « en sécurité » prendre le pas sur certaines libertés. Le débat n’est pas prêt d’être clos.
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