Le 24 juin dernier, Guy Sibra, chef présumé du groupuscule d’Action des forces opérationnelles, était arrêté aux côtés de dix individus. Ils sont soupçonnés d’avoir préparé des attentats contre des Musulmans, posant la question d’un retour d’une violence de l’extrême-droite.
Un loup qui n’aurait plus rien de solitaire ? Le 24 juin dernier, Guy Sibra, chef présumé du groupuscule d’Action des forces opérationnelles (AFO), ainsi qu’une dizaine d’hommes âgés de 32 à 69 ans, a été interpellé à Tonnay-Charente (Charente-Maritime). Une vingtaine d’armes à feu ont été saisies lors de ces interpellations, et un laboratoire clandestin permettant de fabriquer des explosifs a été retrouvé au domicile d’une des personnes arrêtées. Cet ancien policier marseillais est suspecté d’avoir préparé des attentats contre des mosquées et imams radicalisés, à coups d’explosions mais aussi en empoisonnant la nourriture halal dans les magasins.
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Un militant militaire
De Guy Sibra, on ne sait finalement pas grand-chose. Âgé de 65 ans, il a été un temps militant du Rassemblement National, alors Front National. Un passage peu remarqué nous dit-on. ‘’Je n’ai jamais eu contact avec cet homme, soutient la déléguée générale de Charente-Maritime du RN, Séverine Werbrouck, et nous n’avons aucune trace de cet homme dans nos fichiers. S’il est venu, c’est parce qu’il a répondu à un appel ouvert lorsque nous avions besoins de personnes pendant les élections’’. Justement, lors des élections régionales de 2015, Guy Sibra est assesseur pour le parti.
D’autres le connaissaient mieux. Au micro de nos confrères de France Bleu La Rochelle, celle qui l’a recrutée, Corinne Bougault, alors secrétaire administrative du Rassemblement national du département, décrivait ‘’un homme de confiance, un homme équilibré’’ qui ‘’a de la fierté pour sa terre’’ tout en refusant de croire à l’accusation jetée sur l’ancien militant. Elle a néanmoins reconnu sa ‘’passion des armes’’ dont il avait fait sa spécialité dans la brocante montée lors de son départ à la retraite. Contactée par les Inrocks, celle-ci refuse désormais de parler aux journalistes. Prise dans le sillage des arrestations, et de leurs suspicions, elle a démissionné de son poste au RN, ne souhaitant faire aucun commentaire. Depuis, le parti a pris ses distances. ‘’Nous nous désolidarisons évidemment de ce genre d’action ou de tout attentat contre les Musulmans. Ce n’est pas comme ça que nous entendons mener notre combat’’ a tenu à rappeler Séverine Werbrouck, complétant une déclaration de la présidente du Rassemblement national, Marine Le Pen.
Le parcours d’une radicalisation
Cet ancien policier de Marseille avait intégré le groupe des Volontaires Pour la France (VPF) après les attentats de janvier 2015 contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher de la Porte de Vincennes. Constitué principalement d’anciens de l’armée et des services de polices, le VPF se donne pour mission de « combattre des politiques calamiteuses et dangereuses, insouciantes des dangers que représente l’immigration massive et incontrôlée, à l’origine inquiétante de l’islamisation dangereuse du pays« , selon un communiqué acerbe du 25 juin. Violemment islamophobe sans pour autant prôner ouvertement une action violente, le site propose de nombreuses tribunes dénonçant le ‘’péril africain’’ tel cet article du Général Dubois ‘’Un plan Marshall pour l’Afrique ?’’, reprenant une formule de l’ancien président du Medef, Pierre Gattaz.
Mais, les violentes diatribes à l’encontre des immigrés ne satisfont pas Guy Sibra. ‘’Le général Martinez, Yvan Blot ou Renaud Camus, tout ça c’était des mous pour lui’’, confie un membre des VPF, tenant à rester anonyme, tout en citant successivement les deux présidents du mouvement, puis le théoricien du ‘’Grand Remplacement’’. C’était en 2017. L’ancien flic participe alors au maillage territorial pour le VPF aux côtés d’un certain Dominique Compain, lui aussi interpellé le 24 juin. Si ses opinions s’accordent avec le groupe, sa personnalité un peu moins. ‘’On le sentait mythomane et mégalo, analyse toujours le membre du VPF, il nous disait qu’il faisait partie des réseaux de Charles Pasqua !’’, ajoute-t-il en riant jaune.
Mythomanie ou ressentiments, quelque fut l’état d’esprit de Guy Sibra, c’est bien en marge de ses activités du VPF qu’a vu le jour le groupuscule d’Action des forces opérationnelles, quelque part à la fin de l’été 2017. ‘’ Il disait qu’il allait nous montrer ce qu’était la vraie résistance. On a tous pris ça pour des élucubrations, comme d’habitude’’, raconte le militant, soulignant qu’ils ne l’avaient jamais vraiment identifié comme un danger.
Il se rêvait »Commandant de la résistance française »
C’est lors d’une réunion régionale que son désir de recourir à des actions plus concrètes et violentes apparaît. ‘’Il nous reprochait une approche trop légaliste’’, se souvient le co-président du VPF, le général Antoine Martinez. Il s’arrogeait le titre de Commandant de la résistance française !’’. Le divorce est consommé. L’ancien militaire tente de s’approprier une branche de la VPF, siphonne entre trente et cinquante membres sur les 800 qu’elle compterait, selon leurs dires, et se fait remercier pour déloyauté le 12 octobre 2017. Pour autant, le général doute de sa culpabilité, percevant plus ‘’un mégalo qu’un homme d’action. Le timing est politique ». Pour le VPF, cette arrestation serait menée par le gouvernement, manière de soutenir le président Emmanuel Macron, ayant évoqué la ‘’lèpre nationaliste’’ et adressé des reproches à l’Italie concernant son interdiction au navire de l’Aquarius d’entrer dans ses ports. Une analyse pas si anodine que ça, reprise largement par les médias de la Réinfosphère, et même Valeurs Actuelles.
Lâché par les siens qu’il honnit, Guy Sibra se consacre pleinement à l’AFO. Sur son site, on peut se faire une idée de la ‘’résistance’’ telle qu’il l’entend. L’image d’accueil n’est autre qu’une affiche promotionnelle du jeu vidéo Call of Duty : Modern Warfare 3 (voir image en une). Elle montre une France à feu et à sang, balayée par les avions de chasse et les bombes, meurtrie par des soldats dont on peine à distinguer le camp ; en somme une France ravagée par la guerre civile. L’url de son site, toujours actif, est d’ailleurs guerredefrance.fr. A cette France en péril, le site se garde bien de réclamer ouvertement des actions violentes contre certaines communautés. Mais le ‘’Déluge’’, ou l’insurrection généralisée, serait inéluctable pour des Français sans cesse contestés dans leurs droits, leurs valeurs et leurs coutumes. L’AFO propose de s’y préparer avec des stages de survivalisme ou encore une documentation impressionnante, allant du matériel de crise aux réflexes pour se protéger contre la police en passant par des moyens pour s’armer légalement. Contactée, l’AFO n’a pas souhaité commenter.
Vers une montée de la violence de l’ultra-droite ?
L’arrestation de Guy Sibra -libéré le vendredi 29 juin, et mis en examen pour »association de malfaiteurs terroriste criminelle » – et de ses acolytes, a réactivé une peur, celle du retour d’une violence de l’ultra-droite. Non sans raison pour le chercheur et spécialiste de l’extrême-droite, Stéphane François, considérant que le risque viendra d’abord »des militants dont la constat est d’une celui d’une guerre civile en France. Rapidement, les actions type coup de poing médiatiques à la Génération Identitaire, ne vont pas les contenter« . Si certains groupes ont intériorisé l’impopularité de la violence comme acte militant, ‘‘certains de ses membres peuvent se marginaliser eux-même pour passer à l’action », précise l’universitaire, ajoutant qu’ils restent, pour l’instant dans l’amateurisme. Le risque est aussi double puisqu’il »pourrait gagner la sympathie d’une partie de la population, puisque ces actions portent sur un groupe déjà stigmatisé, les Musulmans ».
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