Dans un livre de souvenirs puisés dans ses expériences radio et télé, Guillaume Durand, 63 ans, propose un autoportrait distancié et mordant.
Caractérisée par un trouble de la fréquence cardiaque et des battements de cœur irréguliers, l’arythmie est une maladie dont il faut apprendre à ménager les effets. De l’ultra speed au gros coup de mou, Guillaume Durand subit cette fragmentation des rythmes depuis des années. Dans une confession indexée à la fébrilité de son “cœur fragile”, Mémoires d’un arythmique, l’animateur se livre à un exercice de retour sur soi à la fois agité et apaisé.
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Il s’agit pour lui de se raconter, sans masques et sans ambages, comme si les souvenirs d’une vie remplie contenaient, au-delà d’une intimité mise à nu, une part d’analyse des règles de l’espace médiatique. Depuis ses débuts à Europe 1 jusqu’à Radio Classique aujourd’hui, il a arpenté tous les circuits de la radio et de la télé, de La Cinq à TF1, de LCI à Canal+, de I-Télé à France 2…
Fidèle à la promesse de son titre, le livre épouse ainsi un rythme effréné, quasiment suffocant dans la façon qu’il a d’enchaîner souvenirs et anecdotes sur les rites du monde politique et médiatique. Comme il peut l’être sur un plateau, Guillaume Durand témoigne dans son récit d’un mix nerveux entre attention et désinvolture, curiosité et désenchantement.
L’auteur confie son admiration pour Led Zeppelin
Ce n’est pas un hasard qu’il ait choisi comme épigraphe du livre cette phrase d’Elvis Presley : “Je ne connais absolument rien à la musique. Pour ce que j’en fais, je n’en ai pas besoin.” De musique, il en est d’ailleurs beaucoup question : l’auteur confie son admiration pour Led Zeppelin (il conclut le livre par ces mots : “Stairway to Heaven”) et les groupes de sa jeunesse (Soft Machine, les Kinks…). Ce goût sincère pour la pop culture le conduit même à avouer son malaise devant la vitrification culturelle actuelle à la télé, obsédée par les jardins et les vieilles pierres.
Plutôt que de consigner mélancoliquement ses expériences audiovisuelles successives, Guillaume Durand prend le parti de n’en conserver que quelques souvenirs précis, fragmentés et entremêlés, à la manière d’une construction cubiste, où les formes éclatées de la géométrie et de la mémoire construisent un monde cohérent.
Durand ne cache rien de sa connivence avec les arcanes de la politique
Son amour de la peinture traverse le récit, comme si son existence pouvait se réduire à cette passion exclusive, héritée d’un père marchand de tableaux. Francis Bacon, mais aussi Vermeer, Manet, Mondrian, Brancusi, Pollock, Rothko, Nicolas de Staël… : rien ni personne (à part Robert Plant, Aragon ou Alain Robbe-Grillet) ne peut, à ses yeux, rivaliser avec ces peintres en termes de ravissement.
Pas même le jeu de la télé et de la politique auquel il s’est pourtant livré avec appétit. De sa fascination pour Mitterrand (évocation sensible d’un déjeuner informel avec lui à Latche) à ses fréquentations des arcanes de la jungle politique, Durand ne cache rien de sa connivence avec un microcosme qui l’excite toujours en dépit de ses dévoiements.
Ses talk-shows politiques ne furent pas tous très subtils. Il l’avoue lui-même à propos de son émission sur feu La Cinq Les absents ont toujours tort : “J’avais inventé un Polac de droite, j’étais devenu indécent”. En associant sens de la dérision (“je suis un faux jeune”), recul face à ses propres affèteries, causticité du regard sur les us et coutumes d’un monde dont il avoue goûter la préciosité ridicule, Guillaume Durand ne triche ni avec ce qu’il est, ni avec ce qui l’a fait.
On lit dans ses confessions d’un animal de cirque médiatique autre chose que la satisfaction d’une carrière réussie à l’échelle des valeurs dominantes : le désir inassouvi d’un destin romanesque qui n’aurait pas eu besoin de la télé pour exister pleinement.
Mémoires d’un arythmique (Grasset), 378 pages, 20 €
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