La disparition de notre journaliste et ami Guillaume B. Decherf, 43 ans, tué lors du concert au Bataclan, nous laisse inconsolables.
Il y a quinze jours à peine, Guillaume Barreau-Decherf avait chroniqué dans Les Inrocks le nouvel album de Eagles Of Death Metal, Zipper down, annonçant le concert du 13 novembre au Bataclan. Ce devait être pour lui un grand week-end de marathon musical, avec sans doute un crochet par la Cigale samedi, où avait lieu le festival annuel du journal, et un finale dominical en forme d’apothéose électrique, avec la double charge Motörhead et Saxon au Zénith, concert dont il avait prévu d’écrire le compte-rendu pour notre site. Quelques cinglés ont contrarié ses plans.
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Guillaume était sur la liste de nombreux concerts, personne n’aurait pu imaginer qu’il figurerait un jour sur celle des victimes de la barbarie, simplement parce qu’il allait voir l’un de ses groupes préférés, pour son boulot comme pour son plaisir.
Un épicurien à la plume généreuse et érudite
Le plaisir était d’ailleurs le moteur principal de Guillaume B. Decherf lorsqu’il écrivait sur la musique. C’était un épicurien qui ne carburait qu’à l’enthousiasme, au Coca Zéro et au tempo que lui indiquait son palpitant. Il ne donnait pas dans la théorie à froid ou l’analyse péremptoire mais laissait parler ses sensations d’éternel ado, mesurait souvent la valeur d’un groupe au pouvoir que celui-ci aurait de faire agiter sa belle crinière de jais et tinter ses boucles d’oreilles comme les cloches de l’enfer. Sa plume érudite et généreuse était celle d’un garçon qui cherchait avant tout à convaincre, pas à imposer.
Lorsqu’il se proposa il y a quelques années d’écrire pour nous sur des genres aussi “étrangers” au journal que le hard-rock ou le metal, il avait conscience d’être le type qui suggère l’organisation d’un méchoui dans un congrès de végétariens.
Sa gentillesse, son sérieux, son humour
Mais Guillaume n’aimait pas l’entre-soi de la presse de chapelle, même s’il fut un temps le rédacteur en chef de Hard Rock Mag. Il préférait défendre ses goûts – même les plus chelous – chez les généralistes plutôt que de les voir se racornir entre spécialistes. Il a ainsi traîné son imposante silhouette dans les rédactions de Libé, du JDD, de Metro ou de Rolling Stone, et partout sa gentillesse, son sérieux, son humour et sa volonté de partager n’ont laissé que des souvenirs doux, en plus de papiers remarquables.
Pour Les Inrocks, il avait notamment œuvré comme un forcené sur un hors-série consacré à AC/DC, dont il avait écrit la moitié des articles. On lui avait également confié quelques années plus tard la codirection d’un autre hors-série sur le heavy metal, pour lequel il avait imaginé des angles inédits, des rencontres originales, car il avait à cœur, toujours, d’anoblir l’image de ces “mauvais genres”, d’en expliquer humblement mais avec force les arcanes secrets, les vraies vertus, en se tenant à l’écart des clichés les plus répandus.
Guillaume assumait tous ses goûts
Contrairement à nombre de rock-critics un peu honteux, qui mettent généralement au placard leurs premiers émois musicaux (c’est bien connu, tout le monde écoutait le Velvet à 10 ans), Guillaume assumait tout. La notion de guilty pleasure lui était étrangère, car pour lui aucun plaisir musical n’était coupable. Il pouvait ainsi tenir des conversations enflammées sur Iron Maiden comme sur Kim Wilde, les Smashing Pumpkins, Duran Duran, Electric Light Orchestra, Massive Attack, Divine Comedy ou A-Ha.
Une de ses amies, Chris, qui travaille pour le tourneur Alias, l’accompagnait rituellement aux concerts des Norvégiens : “On gloussait comme des dindons en remarquant que Morgen forçait de plus en plus sur le Botox. On trouvait toujours ça naze, mais la fois d’après on était encore là.”
Ado, la musique fut un refuge
Laurent, patron d’un label de Sony Music, le rencontrait dans des sous-sols plus obscurs : “J’avais pour habitude de le croiser aux concerts où je ne croisais généralement personne : Cannibal Corpse, Moonspell… Notre dernière soirée, c’était en septembre, au Fall of Summer, le jour de la sortie de l’album d’Iron Maiden. On a devisé sur l’inutilité de ce disque et le manque de lucidité des médias qui annonçaient un chef-d’œuvre. Quinze ans plus tôt, je travaillais pour le label V2 lorsque j’ai rencontré Guillaume pour la première fois. J’avais amené ma veste avec des patches, souvenirs d’une adolescence difficile. Ça l’a amusé qu’un cadre de maison de disques assume son passé de métalleux, à une époque où c’était franchement la honte d’être un fils de Satan. Je l’ai tout de suite aimé.”
Guillaume est né en 1972 dans la Meuse mais il a grandi en région parisienne, dans l’Essonne. Il a étudié l’anglais, d’abord appris dans les disques et les journaux sur la musique, et effectué un long séjour en Angleterre, à l’université de Loughborough, avant de rejoindre la prestigieuse école de journalisme de Lille, où il décidera de faire de toutes ses passions combinées (la gastronomie, la BD, la musique) un métier dont le plaisir gouvernerait l’essentiel. Guillaume a écrit sur tous ces domaines, et ce n’est pas pour rien si Riad Sattouf a salué samedi sur Twitter la mémoire de celui qui fut l’un des premiers à parler de lui il y a plus de dix ans. Il laisse une compagne, Carine, journaliste comme lui, ainsi que deux petites filles, vers lesquelles vont toutes nos pensées. Salut Guillaume, pas de doute, vu le mec en or que tu étais, pour toi ce sera assurément le Stairway to Heaven plus que le Highway to Hell. On t’embrasse, tu nous manques déjà.
Nous partageons également la peine de toutes les familles touchées, notamment celles de Thomas Duperron de la Maroquinerie, Thomas Ayad, Manu Perez et Marie Mosser, employés ou ex-employés d’Universal Music, victimes eux aussi de la tuerie.
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