Cinquante ans après les accords d’Evian, les souvenirs de la guerre d’Algérie affleurent comme des blessures mal refermées. Plusieurs documentaires reviennent sur ce conflit longtemps occulté. Une manière d’apaiser aussi les douleurs à vif.
Contrairement à une idée reçue selon laquelle la guerre d’Algérie aurait été un conflit sans images, de nombreux films se sont penchés sur les « événements ». Du Petit Soldat de Godard à Avoir 20 ans dans les Aurès de René Vautier, de La Bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo à R.A.S. de Yves Boisset, jusqu’à une flopée de documentaires dans les années 90 (Les Années algériennes, La Guerre sans nom…), les images sur la guerre d’indépendance existent et circulent. Mais, par-delà ces traces, doublées d’un important travail historiographique, il reste que la guerre ne s’est pas conclue sur ce que Benjamin Stora appelle un « consensus mémoriel ».
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Une page d’histoire cruciale
La concurrence des « mémoires blessées » – indépendantistes, harkis, pieds-noirs, soldats, nostalgiques de l’Algérie française… – n’a cessé de s’amplifier, de sorte que les souvenirs des combats et des morts (500 000 environ durant les sept années du conflit) attisent les controverses et les douleurs encore à vif. Apaiser, comprendre, s’approprier, restituer… : l’oeuvre prolifique de Benjamin Stora, dont les blessures intimes se mêlent à la rigueur de la recherche, emprunte toutes ces directions.
Né en Algérie en 1950, « rapatrié » en 1962, l’historien a grandi avec la guerre, avant de l’objectiver dans ses livres et ses films. On retrouve son empreinte dans de nouveaux documentaires, diffusés sur France 2 et Arte cinquante ans après la signature des accords d’Evian. Dans Guerre d’Algérie, la déchirure (2 x 52), réalisé par Gabriel Le Bomin sur France 2, l’historien éclaire de manière exhaustive et pédagogique tous les enjeux de la guerre, depuis ses origines (les massacres de Sétif en 1945 et le 1er novembre 1954) jusqu’à sa fin (l’indépendance en juillet 1962). Construit sur un mode chronologique, le récit, fluide et précis, répond clairement à une volonté de synthèse : Le Bomin et Stora embrassent l’embrasement par tous les côtés pour saisir la complexité des événements.
Il s’agit moins de simplifier le discours historique que de le rendre intelligible afin de permettre à un vaste public de s’approprier une page d’histoire cruciale. Malgré les artifices du docu « grand public » (musique omniprésente, voix off de Kad Merad, colorisation…), le film émeut par la densité de ses archives, éblouissantes en dépit de leur âpreté.
L’accumulation de documents réunis par la documentaliste Marie-Hélène Barbéris (reportages de l’armée, de la télé française, de la BBC, de télés de pays de l’Est, ou encore de fonds amateurs…) et leur mise en perspective restituent toutes les dimensions de cette « guerre sans nom » : les fondements du système colonial, les rivalités entre les figures du nationalisme algérien (Messali Hadj, Ben Bella…), les dévoiements de la gauche (Guy Mollet), les camps d’internement, la mobilisation de 400 000 appelés du contingent, la torture, les porteurs de valise, la stratégie ambiguë du général de Gaulle dès son retour au pouvoir, du « Je vous ai compris » à l’autodétermination, les bombes au napalm, le putsch des généraux, l’OAS, les combats qui perdurent jusqu’au départ des pieds-noirs vers la France…
Outre cette parfaite mise à plat événementielle, Benjamin Stora se prête à un exercice complémentaire dans le très beau film d’Arte, Algérie, notre histoire. Sur un mode plus intime et plus incarné, l’historien revient sur sa propre expérience durant la guerre, qu’a aussi traversée, comme soldat du contingent, le réalisateur Jean-Michel Meurice. En croisant leurs souvenirs communs, ainsi que ceux d’autres témoins, dont l’écrivain Pierre Guyotat, Meurice fait le pari d’une double confession, sincère, à fleur de peau et nourrie par la réflexion d’un engagement en faveur de la vérité historique.
Les états d’âme de toute une génération d’hommes
Magnifiquement écrit, au parfait point de jonction entre le tragique et le pudique, la grande histoire et la traversée personnelle, son film traduit les états d’âme de toute une génération d’hommes, nés entre 1932 et 1943, poussés à faire une guerre dont ils contestaient intérieurement la légitimité et qui, après 1962, préférèrent la mettre sous le tapis… Avant que les blessures enfouies ne refassent immanquablement surface : Meurice mesure le poids de ce retour du refoulé, trouvant le chemin libérateur, mettant à distance la culpabilité et la douleur, apaisées par la réflexion et la mise en récit. Son histoire est aussi la nôtre, celle de tout un peuple confrontant son aveuglement passé à la vérité de l’histoire.
Par-delà les souffrances endurées durant sept ans par tous les “acteurs” de la guerre d’Algérie, demeure l’évidence que le système colonial français ne pouvait perdurer dans le contexte d’une aspiration générale des peuples dominés à leur indépendance.
Dans un autre poignant documentaire, Palestro, Algérie : histoires d’une embuscade, analysant l’épisode de l’embuscade de Palestro en mai 1956, où une vingtaine de rappelés français furent tués par des maquisards, Rémi Lainé et l’historienne Raphaëlle Branche analysent finement les vices généraux d’un système colonial à travers des entretiens avec des anciens appelés et des indépendantistes algériens. Cinquante ans après les accords d’Evian, les déchirures de la guerre d’Algérie ne peuvent s’effacer qu’à condition d’en révéler leurs terribles traces.
Jean-Marie Durand
A voir
Guerre d’Algérie, la déchirure documentaire de Gabriel Le Bomin et Benjamin Stora, France 2, dimanche 11 mars, 20 h 35 (le 21 mars en DVD, France Télévisions distribution, 17 €)
La Bataille d’Alger film de Gillo Pontecorvo (1965), Arte, lundi 12 mars, 20 h 35 Algérie, notre histoire documentaire de Jean-Michel Meurice, Arte, mardi 13 mars, 20 h 35
Palestro, Algérie : histoires d’une embuscade documentaire de Rémi Lainé, Arte, mardi 20 mars, 22 h 35
A lire
La Guerre d’Algérie expliquée à tous de Benjamin Stora (Seuil), 144 p., 8 € Histoire de l’Algérie, XIX-XXe siècles de Benjamin Stora, (La Découverte), coffret 3 volumes, 30 €
Violence ordinaire dans l’Algérie coloniale, camps, internements, assignations à résidence de Sylvie Thénault (Odile Jacob), 384 p., 26 €)
Ni valise ni cercueil, les pieds-noirs restés en Algérie après l’indépendance de Pierre Daum (Solin, Actes Sud), 432 p., 24 €
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