Mardi s’est ouvert à Guantanamo le procès d’Omar Kadhr. Ce Canadien, ancien membre d’Al Quaida, comparaît devant un tribunal militaire américain pour crime de guerre. Problème: les faits qui lui sont reprochés ont été commis alors qu’il était mineur. L’Onu condamne la tenue de ce procès.
Sanglé dans un costume anthracite, Omar Khadr comparaît depuis mardi à Guantanamo devant un tribunal militaire d’exception pour répondre de crime de guerre. Ce jeune homme au passeport canadien, membre présumé d’Al Quaida, est accusé d’avoir, en juillet 2002, en Afghanistan, lancé une grenade ayant causé la mort d’un soldat américain au cours d’une attaque contre une cache de l’organisation terroriste. Omar Khadr avait 15 ans au moment des faits.
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Arrêté peu de temps après, détenu pendant un temps dans une prison de Bagram en Afghanistan puis rapidement transféré au tristement célèbre centre de détention américain de Guantanamo, Omar Khadr aurait fourni une première série d’aveux à ses accusateurs. Des aveux dont la fiabilité est aujourd’hui remise en cause par l’avocat militaire du détenu, Jon Jackson. Mardi, l’avocat a évoqué des témoignages selon lesquels Omar Khadr se serait confessé contre la promesse de ne pas être violé par ses interrogateurs, puis à un moment où il était sous l’emprise d’anesthésiants.
En 2008 une vidéo avait été sortie en par les avocats du Canadien. On y découvrait un Omar Kadhr visiblement harassé par les interrogatoires qu’il subissait.
Le juge militaire chargé d’instruire et de juger l’affaire a cependant décidé d’accepter la validité de ces aveux.
Mais pour Jon Jackson, le principal angle d’attaque pour appuyer la défense de son client reste l’invalidité même du procès engagé. Pour l’avocat, la comparution d’Omar Khadr devant le tribunal militaire américain pour des faits commis alors qu’il était mineur constitue « le premier procès d’un enfant soldat de l’histoire moderne ». Une situation en porte-à-faux avec une l’interprétation courante du droit international.
Les Nations unies montent au créneau
En mai dernier, le directeur exécutif de l’Unicef exprimait déjà son inquiétude quant à la tenue d’un éventuel procès d’Omar Khadr. Pour Anthony Lake, le jeune Canadien n’était pas la bonne personne à juger, eu égard à son statut de mineur engagé dans les rangs d’Al Quaida : « Le recrutement et l’utilisation des enfants dans des conflits est un crime de guerre et ceux qui sont responsables, les adultes qui recrutent, doivent être traduits en justice. »
Le dirigeant de l’Unicef s’appuie sur un passage du préambule du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant concernant l’implication d’enfants dans des conflits armés :
« condamnant avec une profonde inquiétude l’enrôlement, l’entraînement et l’utilisation en deçà et au-delà des frontières nationales d’enfants dans les hostilités par des groupes armés distincts des forces armées d’un État, et reconnaissant la responsabilité des personnes qui recrutent, forment et utilisent des enfants (…). »
Ce Protocole a été ratifié par les Etats-Unis en 2002.
Mardi, au moment même de la comparution d’Omar Khadr, un autre cadre onusien dénonçait le procès du jeune homme. Radhika Coomaraswamy, représentante spéciale du Secrétariat général de l’Onu pour les enfants et les conflits armés, a tenu une conférence de presse pour contester la tenue du procès. « Les enfants ne doivent pas être jugés devant des tribunaux militaires », a-t-elle déclaré. La diplomate sri-lankaise a également rappelé que les enfants soldats « doivent être considérés avant tout comme des victimes ».
A ce titre, Mme Coomaraswamy a également insisté sur le fait qu’aujourd’hui, la Cour Pénale Internationale et la plupart des tribunaux internationaux ne jugent pas des mineurs pour crimes de guerre, et que depuis la Seconde Guerre mondiale, aucun mineur n’a été jugé pour de tels faits.
« Ce procès pourrait créer un précédent qui risque de mettre en danger le statut des enfant soldats partout dans le monde », a prévenu la diplomate.
Deux solutions pour Amnesty International
Tout comme Human Rights Watch, l’ONG Amnesty International suit le cas d’Omar Khadr de très près. Alex Neve, le secrétaire général de l’organisation, est d’ailleurs présent à Guantanamo pour assister au procès du Canadien.
Pour Amnesty International, la comparution d’Omar Khadr devant un tribunal militaire est une véritable incohérence au regard du droit international, qui est censé protéger les mineurs.
D’après Francis Perrin, vice-président d’Amnesty International, il existe deux possibilités pour rendre la situation d’Omar Kadhr conforme au Droit.
La première consisterait à rapatrier le jeune homme dans son pays d’origine, au Canada, pour le réinsérer socialement, comme le prévoit l’article 7 du Protocole:
« Les États Parties coopèrent à l’application du présent Protocole, notamment pour la prévention de toute activité contraire à ce dernier et pour la réadaptation et la réinsertion sociale des personnes qui sont victimes d’actes contraires au présent Protocole, y compris par une coopération technique et une assistance financière.
Cette assistance et cette coopération se feront en consultation avec les États Parties concernés et les organisations internationales compétentes. »
Pour rappel, la majorité des enfants-soldats enrolés dans des groupes rebelles en Afrique dans les années 90 (Libéria, Sierra-Léone) n’ont pas été jugés et sont aujourd’hui pris en charge par des programmes de réinsertion.
La deuxième solution prend en compte l’existence éventuelle de charges sérieuses contre Omar Khadr : dans ce cadre, « il est impératif que le jeune homme soit transféré devant un tribunal civil », explique Francis Perrin. Contrairement à ces derniers, les tribunaux militaires ne prévoient pas de dispositions pour les suspects mineurs au moment des faits ; ce sont des tribunaux partiaux et dépendants du pouvoir politique. Tout est fait pour qu’on considère qu’Omar Khadr était majeur au moment des faits qui lui sont reprochés. »
Francis Perrin rappelle par ailleurs que le cas Kadhr constitue depuis 2002 et l’incarcération du Canadien « une violation du droit international ».
« Omar Khadr est détenu depuis 2002. Pendant les huit ans de sa détention, il n’a jamais été inculpé, n’a jamais été entendu par ses juges, personne n’a pu accéder à son dossier et personne n’a pu le rencontrer. Il y a avec cette affaire un cumul d’injustices et de violations du droit. De quoi oublier que l’enfant soldat Omar Kadhr était une victime. »
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