Onze journalistes sur les quinze que compte la rédaction de Rue89 se sont mis en grève lundi pour dénoncer les changements imposés par leur propriétaire, le groupe Nouvel Observateur, sur leur site. La grève a été reconduite ce mardi.
Rue89.com ne répond plus. Le jeudi 5 décembre dernier, le site d’information lancé en 2007 par d’anciens journalistes de Libération, a subi un lifting forcé. rue89.com devient rue89.nouvelobs.com. En plus de ce changement d’URL, le logo du Nouvel Obs cohabite désormais avec celui de Rue89, réduit et relégué au rang de “partenaire”. Comme un symbole, même le favicon – la petite icône de la barre d’onglet – a été rhabillé aux couleurs de l’hebdomadaire.
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Ce rapprochement forcé avec Nouvelobs.com a mis les salariés en émoi. Depuis lundi, 11 journalistes sur les 15 que compte la rédaction se sont mis en grève pour protester contre cette décision du Nouvel Obs, propriétaire de Rue89 depuis décembre 2011. “Rue89 est en grève pour continuer à être elle-même”, tel est le mot d’ordre sur la page Facebook Rêve89 créée par les salariés grévistes du site d’information.
« Ces choix détruisent l’identité de Rue89 »
Comment expliquer cette décision du Nouvel Observateur ? Tout simplement par les nouvelles conditions de Médiamétrie, l’organisme qui mesure l’audience des sites d’informations.
Conséquence de ces nouvelles conditions : pour que le trafic de Rue89 puisse continuer à être comptabilisé dans celle du site du Nouvel Observateur, ce dernier a imposé cette violente refonte graphique. “Ce ne sont pas que des détails graphiques. Ces choix détruisent de fait l’identité de Rue89. Ils constituent une étape supplémentaire dans la normalisation et l’intégration forcée de Rue89 à L’Obs”, explique ainsi la Société des journalistes de Rue89 dans un texte publié vendredi dernier.
“Je ne pense pas que l’Obs cherche à dissoudre l’identité de Rue89, ils ont toujours garanti notre indépendance éditoriale mais sur le web, le fond est très lié à la forme, explique Blandine Grosjean, rédactrice en chef de Rue89 – non gréviste -. Nous avons mis deux ans et demi à faire accepter à nos lecteurs et nos contributeurs le rachat de Rue89 par le Nouvel Obs. Et là, c’est comme si tout était à refaire.”
Contacté par Les Inrocks, un membre de la direction du Nouvel Observateur confie :
“Je comprends la réaction de la rédaction de Rue89 mais ce changement de la page d’accueil du site est dicté par Médiamétrie. Si nous avions pu faire autrement, nous n’aurions pas fait ça.”
Et ajoute sur le ton de la confidence : “Si on voulait les absorber, on aurait changé le contenu du site mais ce n’est pas du tout le cas. On ne se coordonne pas du tout au niveau éditorial, on leur laisse une totale indépendance. C’est même un regret car nous pourrions mutualiser davantage nos ressources. Mais le moindre changement créé une levée de boucliers. Le mariage des deux rédactions n’est pas pour demain.”
« Cette décision tend plus à la destruction de valeurs qu’à la synergie, estime Johan Hufnagel, fondateur du pure-player, Slate.fr. Claude Perdriel (cofondateur du Nouvel Observateur – ndlr) semble vouloir mettre en ordre sa succession et préparer le passage de relais, ça demande de rendre belle la mariée pour un futur investisseur. Mais c’est un peu idiot de tuer un site d’information pour gratter deux millions de visiteurs uniques. »
« Suite logique »
Car en parallèle, les salariés de Rue89 ont en effet appris que Claude Perdriel, dirigeant-propriétaire du groupe Nouvel Observateur, préparait sa succession et envisageait l’entrée d’un ou de plusieurs nouveaux actionnaires dans le groupe. Face à ces changements, les journalistes grévistes ont dressé une liste de revendications, parmi lesquelles le retrait de la nouvelle bannière du site, le maintien de l’équipe dans ses effectifs actuels pendant 24 mois et la réouverture de la clause de cession mise en place juste après le rachat et qui permet aux journalistes de quitter l’entreprise tout en bénéficiant des indemnités de licenciement.
“C’est la suite logique d’un processus entamé il y a un an par la direction du Nouvel Obs lorsqu’ils ont obligé Rue89 à quitter le Spiil – le Syndicat de la presse en ligne – que nous avions fondé ensemble, analyse pour sa part, Edwy Plenel, fondateur de Mediapart. Cette décision éloignait déjà Rue89 de son identité naturelle, celle de la défense de la presse numérique qui soit indépendante et pas seulement une presse pourvoyeuse de clics pour une presse traditionnelle en crise. »
Lundi après-midi, deux délégués du personnel de Rue89 avaient rendez-vous avec Claude Perdriel et Nathalie Collin pour évoquer l’avenir du site et la poursuite ou non de leur grève.
“Nous avions soumis une proposition avec une bannière et une charte graphique qui permettait de sauvegarder l’identité visuelle de Rue89 mais elle a été retoquée par Médiamétrie, regrette ainsi un membre de l’équipe de Rue89. Du coup, pour la première fois, ces changements graphiques et techniques ont été réalisés à l’arrache par le Nouvel Observateur.”
Mardi matin, l’équipe a voté la poursuite de la grève.
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