Ce 22 mars, cheminots, fonctionnaires, étudiants et lycéens ont convergé à Bastille contre la politique d’Emmanuel Macron lors d’une manifestation. Le réveil du mouvement social est-il en marche ?
“Ecoles, hôpitaux, cheminots… Même politique, même combat !”. Comme l’indique cette banderole, ce 22 mars place de la Bastille à Paris, l’heure est à la grande convergence des luttes. A l’appel des syndicats, qui ont mis de côté leurs divisions de l’automne dernier, des milliers de fonctionnaires et de cheminots (65 000 selon la CGT, 49 000 selon la Préfecture de police) se sont retrouvés au terme de deux itinéraires différents (respectivement Bercy-Bastille et Gare de l’Est-Bastille) pour s’opposer à la réforme du rail, réclamer davantage de moyens humains et financiers pour les Etablissements pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), ou encore protester contre les réformes du bac et la sélection à l’université.
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“On ne peut pas déconnecter les grèves dans le privée, dans les universités, les Ehpad et celle des cheminots”
Croisé sur l’itinéraire des cheminots, Loïc Canitrot, membre de la CGT-Spectacle et de la Coordination des intermittents et précaires d’Île-de-France, résume l’esprit fédérateur qui gouverne ce jour-là : “On est nombreux à être ni cheminots, ni fonctionnaires, mais à soutenir ce mouvement, et à partager le même combat. En tant qu’intermittent, je reconnais les attaques qui visent les services publics, et le dénigrement des cheminots ressemble beaucoup à celui dont les intermittents et les chômeurs peuvent faire l’objet. On est conscient de ça. On ne se laissera pas berner par le poison de la division”.
La date n’est pas choisie au hasard : il y a cinquante ans tout juste naissait le Mouvement du 22-mars à l’université de Nanterre, qui a donné naissance à Mai 68. Manière de signifier que la mémoire des “événements” est bien vivante, et qu’un printemps social n’est pas exclu. “Il faut penser printemps”, avait un jour déclaré Emmanuel Macron. La rue l’a pris au mot, à l’instar d’un groupe d’“étudiant.e.s, doctorant.e.s, précaires, personnels mobilisé.e.s contre la casse du service public et la sélection” venus justement de Nanterre, et qui n’oublient pas de faire le lien “1968-2018”. “On est là parce que le gouvernement s’attaque aux cheminots, et que c’est une digue qui ne doit pas sauter. On défend le rail, les trains publics, 100% publics, et on s’oppose aussi à la réforme du lycée, du bac et de l’université avec ‘Parcoursup‘”, nous expliquent-ils collectivement, nous renvoyant aux travaux de la sociologue Leïla Frouillou. “Cette réforme revient sur tous les effets de la démocratisation dans l’Enseignement supérieur. Elle va à rebours des travaux sur les inégalités scolaires et sociales. Une chose est sûre : on ne peut pas déconnecter les grèves dans le privée, dans les universités, les Ehpad et celle des cheminots”, ajoutent-ils.
“A travers la SNCF, c’est l’ensemble d’une civilisation de solidarité qui est visée”
Alors que le gouvernement comptait sur une mobilisation fragile des cheminots, et sur leur incapacité à justifier un “blocage du pays”, cette journée montre que le rapport de force n’est pas gagné d’avance. Nappé d’un nuage de fumigène, Régis, cheminot membre de la CGT à Oullins (dans la métropole de Lyon), balaye d’un revers de main les discours convenus sur le statut « privilégié » des employés de la SNCF : “Avec 1500 euros par mois, on n’est pas un privilégié, quand on passe un Noël sur trois avec ses enfants, on n’est pas un privilégié. Macron tente de monter les populations les unes contre les autres. Mais le CAC 40 n’a jamais autant déclaré de bénéfices qu’en 2016 ! C’est de ce côté-là qu’il faut regarder.” Même son de cloche du côté de Roxane, cheminote venue de Nantes : “On a tous des acquis sociaux : la Sécurité sociale, les congés payés, etc. Est-ce qu’on va aussi considérer que ce sont des privilèges ? En s’attaquant à nous, Macron ouvre la porte au démantèlement de l’ensemble de cet édifice”.
Les sociologues Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon, croisés à la lisière d’une marée de drapeau de la CGT, de la CFDT et de SUD, ne diront pas le contraire. Pour ces spécialistes de la grande bourgeoisie très engagés à gauche, et signataires d’une tribune contre la politique gouvernementale qui a beaucoup circulé ces derniers jours, la SNCF est la clé de voûte du modèle social français : “La SNCF est le cœur de notre modèle social, construit par le CNR (Conseil national de la Résistance) et le Parti communiste à la Libération. Si ça casse, on est foutu. Cela nous paraît donc très important que les intellectuels soient présents, pour montrer qu’à travers la SNCF, c’est l’ensemble d’une civilisation de solidarité, de mixité et de partage qui est visée. Il ne faut pas que ça devienne un instrument d’enrichissement de certains, mais un instrument de vie sociale partagée”, défend Monique Pinçon-Charlot. Souvent moins volubile que sa compagne, Michel Pinçon abonde : “Macron est un Thatcher qui n’a pas de jupon. Il veut détruire le système de gestion collective, et retourner à une économie de marché pure”.
A l’initiative d’Olivier Besancenot, les organisations politiques de la gauche du PS ont abandonné leurs querelles de chapelles pour monter un front uni de soutien. Entre une poignée de main à Philippe Martinez (secrétaire général de la CGT) et à Yvan Le Bolloc’h, Pierre Laurent, secrétaire national du PCF, se félicite de cette union : “Ce qui est le plus important, c’est que dans le pays, à l’intérieur des services publics et dans la population, une unité se construit, plus forte qu’à l’automne dernier. La conscience du caractère très injuste des attaques augmente. Il est important que les forces politiques s’expriment collectivement pour encourager cette unité à la base”.
“Notre voie ferrée c’est la rue”
Au-devant des organisations syndicales et politiques, sur le boulevard Beaumarchais, des manifestants autonomes réunis dans un cortège de tête fourni se sont chargés de “faire dérailler le train train quotidien”, dixit un graffiti, à grand renfort de pavés et autres projectiles. Sur leur passage, l’un d’entre eux avait affiché au format A4 sur un panneau publicitaire des extraits du livre Plus vivants que jamais, un journal des barricades de Mai 68 tenu par Pierre Peuchmaurd. Dans ces pages, on peut lire ceci : “Ce soir, des frontières tombent, des cadres explosent. C’est ce soir-là que tu as compris […] que la révolution est un seul train et que merde pour les compartiments. Notre voie ferrée c’est la rue, et dans la rue, il n’y a pas de contrôleurs”.
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