La perspective d’une victoire de la gauche radicale Syriza aux élections du dimanche 25 janvier constitue une étape politico-économique majeure en Europe. Loin des feux médiatiques, l’enjeu est aussi la fin des lois d’exception pour des milliers de migrants en situation irrégulière.
Dès le premier regard, Corinthe n’a rien d’un centre de rétention classique. Avec ses miradors carrés et ses hautes grilles surmontées de fils barbelés, on devine facilement son passé de caserne militaire. A l’intérieur, environ 700 hommes de toutes origines, le regard hagard, les mains souvent agrippées aux grillages, évoquent davantage l’imaginaire tragique des camps de réfugiés espagnols de la guerre civile, qu’une rétention administrative dans l’Union Européenne en ce début de XXIe siècle. Promiscuité dans des dortoirs de 80 personnes, sorties restreintes à deux promenades quotidiennes, brimades régulières des policiers…
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« À l’intérieur du camp nous n’avons aucune distraction, parfois nous ne pouvons même pas nous laver. Ici c’est pire qu’une prison », se lamente à travers la clôture de bloc, Amine, un syrien de 22 ans détenu depuis 17 mois. Loin de l’attention des médias, depuis 2011 la Grèce a été condamnée onze fois par la Cour européenne des droits de l’homme pour les conditions de rétention lamentables des sans-papiers.
« Le gouvernement grec nous massacre moralement »
« Manque complet d’hygiène, nourriture et soins médicaux inadaptés, communication avec les amis ou la famille entravée, humiliations, coups » : le Comité anti-torture du Conseil de l’Europe, le Conseil grec pour les réfugiés et l’ONG locale Aitima ont aussi publié des rapports accablants. Jugé responsable, le gouvernement de coalition conservateur dominé par Nouvelle Démocratie d’Antonio Samaras fait la sourde oreille et a toujours cherché à dissimuler la situation. A Corinthe, le droit de visite est difficile à obtenir. Les MAT, Monades Apokatastasis Taksis, les policiers grecs de maintien de l’ordre, sont peu bavards : on peine d’ailleurs à comprendre s’ils approuvent cette situation ou si finalement ils la subissent également.
« Nous n’avons commis aucun délit : nous sommes situation irrégulière. Le gouvernement grec nous massacre moralement en nous laissant pourrir ici. Les tentatives de suicide sont fréquentes », témoigne à son tour Obang, sud-
soudanais de 23 ans. En effet, autour de lui : partout du provisoire qui dure. Des sacs poubelles accrochés péniblement aux grilles des cellules, des détenus qui dorment souvent sur le béton et des panneaux qui rappellent qu’il est interdit de photographier. Car en août 2013, c’est une vidéo clandestine des émeutes survenues dans le centre de rétention de migrants d’Amygdaleza (regroupant environ 1200 personnes près d’Athènes), qui a mis en lumière les conditions de détention très éprouvantes pour les migrants en Grêce. Depuis, les nombreux décès de migrants l’ont hélas aussi rappelé : dernier en date, ce pakistanais de 26 ans, passé par le camp de Corinthe. Il aurait été battu par la police et depuis il réclamait sans succès un traitement pour ses blessures. « En dépit de nos appels répétés nous avons vu la situation générale se détériorer. Les maladies que nous traitons sont dues à des conditions de vie sordides », s’indigne Apostolos Veizis, docteur chef de mission pour Médecins Sans Frontières (MSF).
Enfin, le caractère scandaleux de la politique migratoire du gouvernement Samaras s’est affirmé en mars 2014, après qu’une sorte de décret d’État, intitulé l’Avis Nikos Dendias, du nom du ministre de l’Intérieur grec de l’époque, prolonge la durée de la rétention administrative de manière illimitée – auparavant celle-ci était plafonnée à 18 mois. A titre de comparaison la durée maximale de rétention administrative est de 45 jours en France, 60 jours en Espagne, durées tout à fait suffisante pour prononcer ou non une reconduite à la frontière. « Quand vous êtes en prison, vous connaissez votre durée d’incarcération vous vous y faites, explique Aghiles, un algérien de 29 ans, ici, votre destin dépend de l’avancée de votre dossier, de la disponibilité d’un avocat commis d’office ou de la réponse de votre consulat…C’est une vrai torture ».
7500 et 10 000 migrants seraient actuellement détenus actuellement en Grèce
A Corinthe, certains migrants – Syriens, Irakiens, Congolais, Pakistanais, Afghans, sont pourtant enfermés depuis le début du mois d’août 2012, arrêtés lors de l’opération Xenios Zeus, une opération programmée sur quatre mois durant laquelle 65 000 étrangers furent arrêtés, dont 4000 en situation irrégulière.
« En juin 200 d’entre nous ont débuté une grève de la fin. Sans succès avait même le sentiment que dans un sens cela les arrangeait », poursuit Jean-Marc, un congolais détenu depuis 20 mois. La commissaire européenne aux affaires intérieures, Cecilia Malmström et le Conseil européen pour les réfugiés et les exilés, ont tenté de rappeler aux autorités grecques que l’avis Nikos Dendias était une violation flagrante des directives de l’UE. En vain. Selon les sources entre 7500 et 10 000 migrants seraient actuellement détenus actuellement en Grèce, dont 300 ayant déjà dépassé la période de 18 mois. « Comment voulez-vous que je rentre dans mon pays ? Je n’ai ni les moyens, ni l’envie : mon pays est une des pires dictatures militaires, ironise dépité Samir, un trentenaire érythréen, je suis condamné à rester entre ces murs ». En effet, une part importante des migrants ne peut pas être reconnue par les consulats des pays tiers, ou n’a tout simplement pas les moyens de partir, et donc de sortir du camp dans le cadre d’une expulsion volontaire. Cet emprisonnement n’est donc rien d’autre qu’une condamnation pour avoir essayé d’échapper à la guerre et à la pauvreté.
« Nous vous demandons de faire en sorte que la Grèce respecte les standards européens en matière d’immigration et nous vous demandons instamment de repenser ce terrible enfermement d’une grande partie, la plus pauvre, de la population mondiale. Enfermement en camps dont les conséquences historiques, pour l’Europe, ne sont pas mesurées », écrivait dans une lettre poignante adressée aux euro-députés un groupe de détenus de Corinthe en août 2014.
L’Europe a fermé les yeux
Avec le scrutin du dimanche 25 janvier, l’Europe a actuellement les yeux tournés vers Grèce. A la veille du vote, le parti de la gauche radicale Syriza, dirigé par Alexis Tsipras, est donné gagnant face au premier ministre sortant Antonis Samaras (Nouvelle Démocratie, conservateur). Du point de vue économique, l’enjeu est d’une grande importance à la fois pour Athènes, placée sous perfusion financière depuis 2010, et pour ses créanciers internationaux, à commencer par l’Union européenne. Mais du point de vue du respect des droits fondamentaux des migrants en situation irrégulière, l’enjeu est tout aussi crucial.
Début janvier 2015, Alexis Tsipras a rappelé qu’un « gouvernement Syriza » fermerait les centres de rétention actuels, respecterait le droit international en matière d’asile et accorderait le droit du sol aux enfants d’immigrés nés en Grèce. Personne ne doute plus désormais que Syriza arrivera devant Nouvelle Démocratie. Reste à savoir s’il obtiendra la majorité absolue. Dans le cas contraire, le scénario le plus attendu serait « un gouvernement de minorité » constitué avec le parti communiste (même si ce denier, crédité de 5,5 % a pour l’instant affirmé qu’il refuserait toute alliance avec Syriza). L’autre alternative, moins probable, serait un gouvernement de coalition avec les eurosceptiques de droite, formations défendant cependant une politique migratoire dure, un véritable scénario catastrophe pour les migrants en situation irrégulière détenus en Grèce.
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