Après avoir été critiqués pour n’avoir pré-sélectionné aucune femme dans la liste des nommés pour le Grand Prix d’Angoulême 2016, les responsables du festival de BD ont décidé, le 7 janvier 2016, de laisser les auteur-e-s voter pour celui ou celle qu’ils préfèrent. Ils espèrent ainsi mettre fin à des années de controverses autour du mode de scrutin, souvent critiqué pour sa complexité et son opacité.
La démocratie directe semble l’avoir finalement emporté. Dans un communiqué envoyé jeudi 7 janvier, le Festival international de la bande dessinée d’Angoulême annonce avoir « pris la décision d’inviter l’ensemble des auteur.e.s de bande dessinée à voter librement pour désigner comme lauréat.e l’auteur.e de leur choix » pour la prochaine édition de son Grand Prix, qui honore chaque année un-e auteur-e pour « l’ensemble de son oeuvre ».
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Cette décision arrive deux jours après qu’un collectif d’auteures de bandes-dessinées s’est indigné de l’absence de femmes dans la liste des trente nommés dudit Grand Prix. Cinq auteur parmi les nommés, dont Riad Sattouf et Joann Sfar, avait alors demandé à être retirés de la sélection. « Aucun auteur ne peut souhaiter figurer sur une liste entièrement masculine. Cela enverrait un message désastreux à une profession qui de toutes parts se féminise », avait posté ce dernier sur sa page Facebook.
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Le festival d’Angoulême n’avait pas prévu, au départ, de palier ce problème de la sorte, souligne le Monde.fr. Le 6 janvier, son délégué général Franck Bondoux annonçait au départ à France TV Info que les « responsables du festival » allaient proposer une nouvelle liste de nommé-e-s, dans laquelle « figureraient des auteures ». Le 7 janvier au matin, la liste des 30 noms d’auteurs, disponibles sur le site du Festival, était rallongée avec six noms d’auteures (Lynda Barry, Julie Doucet, Moto Hagio,Marjane Satrapi, Posy Simmonds, Chantal Montellier). Mais quelques minutes plus tard, les six noms étaient effacés. L’URL qui menait jusque-là à la liste des nommés est depuis inaccessible et renvoie vers la page d’accueil du festival.
Un scrutin en deux tours, ouvert à « tous les auteur-e-s de BD »
A présent, tous les « tous les auteur-e-s de BD qui ont édité un album », nous explique-t-on en interne, seront amenés à voter pour l’auteur-e de leur choix. Il y aura ensuite un second tour, où les auteur-e-s voteront parmi un nombre restreint de finalistes (le chiffre n’a pas encore été arrêté). Ce nouveau mode de scrutin a vocation à « devenir une solution pérenne », mettant fin à 41 ans d’un système souvent critiqué pour son opacité.
En 2013, une liste de nommés avait été établie par les trois directeurs artistiques du festival, Ezilda Tribot, Stéphane Beaujean et Nicolas Finet Parmi les candidats pré-selectionnés, un « collège élargi des professionnels de BD » votait pour leurs favoris, et l’Académie (l’ensemble des anciens récipiendaires du prix) sélectionnait le ou la gagnant-e. Cette année-là, alors que le Japonais Akira Toriyama avait reçu le plus voix lors du premier tour, l’Académie avait choisi de décerner le prix à Willem. Le dessinateur Lewis Trondheim s’était fendu d’un tweet, regrettant ce choix :
La majorité de l’Académie atteint son seuil de compétence en élisant le seul auteur connu(excellent neanmoins)par elle pic.twitter.com/vPvvT5hP
— lewistrondheim (@lewistrondheim) 3 Février 2013
En 2014, le mode de scrutin avait à nouveau été changé, comme l’avait rapporté le Monde en janvier de la même année. Les trois directeurs artistique du festival établissaient une liste de 25 noms, puis laissaient voter les membres de l’Académie d’un côté et les « professionnels de BD » de l’autre, pondérant leur voix à 50/50. Vexés, certains membres de l’Académie des grands prix (parmi lesquels Philippe Druillet , Willem, Florence Cestac, François Boucq, René Pétillon), avaient alors annoncé qu’ils ne voteraient pas.
« Le choix est encore plus retreint que l’année dernière », avait expliqué André Juillard, grand prix 1996, au Figaro, « Nous ne les satisfaisons plus. Nous en prenons acte. Nous nous sentons plus encombrants qu’autre chose et il n’est pas question pour nous de vouloir nous imposer. Le festival est maître de ses choix. »
Cooptation et manque de diversité
Mais même avant 2013, le Grand Prix du festival d’Angoulême était déjà la cible de vives critiques. Remis depuis 1974, soit un an après la création du festival, par cooptation du « jury du festival d’Angoulême », il était, entre 1989 et 2013, décerné uniquement par l’Académie. Sauf entre 1997 et 1999: le scrutin pour élire le ou la vainqueur avait été ouvert à « l’ensemble de ses pairs », rappelait le journaliste Xavier Guilbert sur le site du9.org. A partir de 2000, l’Académie reprend la main.
Comme l’écrivait Jérôme Briot en 2014 dans un article pour la revue Zoo intitulé « la Gérontocratie recadrée », le Grand Prix « commençait à perdre de sa superbe » avant que le Festival ne décide d’ouvrir à nouveau les votes aux professionnels de la bande-dessinée. Il critiquait notamment le manque de diversité au sein des lauréats :
« Les femmes sont quasi absentes du palmarès. Seule Florence Cestac a été élue, en 2000. Les non-francophones sont rares (…) Les auteurs japonais sont littéralement snobés par l’Académie des Grands Prix. »
Selon lui, une des raisons se trouvait dans l’âge des membres de l’Académie, à l’époque seuls à voter :
« Il y a sûrement aussi là quelque chose de générationnel. Les Grands Prix étant élus à vie, l’âge moyen de l’Académie augmente presque d’un an chaque année. Tous n’ont pas la curiosité ou l’envie de suivre l’actualité de la bande dessinée, de s’intéresser aux nouveaux auteurs, aux tendances éditoriales, à ce qui se fait ailleurs. Beaucoup ne lisent pas, ou ne lisent plus de bande dessinée, mais votent tout de même, pour essayer d’honorer les copains, ou pour défendre une certaine vision de leur discipline. »
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