Depuis 2011, en France, tous les quinze jours en moyenne, une personne s’est immolée par le feu sur la place publique. Un web-documentaire revient sur cette brûlante épidémie qui se déroule dans un silence glacial.
Comme le révèle l’expression “burn-out” qui désigne cette grande fatigue des salariés consumés par les régimes effrénés des entreprises, le motif du feu hante le monde du travail aujourd’hui. Au point que certains, pour signifier leur saturation, se brûlent eux-mêmes, à ciel ouvert, sur la terre ferme : depuis 2011, en France, tous les quinze jours en moyenne, une personne s’est immolée par le feu sur la place publique.
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Absence d’écho
C’est la folie et la radicalité raisonnée de ce geste que Samuel Bollendorff et Olivia Colo interrogent dans leur nouveau documentaire interactif Le Grand Incendie. Ils se sont immolés par le feu pour se faire entendre. Plutôt que de tenter d’analyser les raisons opaques de ce basculement dans les flammes, les journalistes documentent les contextes de leur allumage. Ils consignent les traces de ces feux, sans chercher à épuiser le mystère de la mèche qui les allume. Car, le paradoxe ultime du “grand incendie” se joue dans cet écart entre la radicalité d’un geste en forme d’adresse à la société et l’absence d’échos qu’il reçoit en retour. A la sidération de la souffrance ne répond que la surdité de la France.
Se brûler au cœur de l’espace public ne provoque que des poussières de réactions, des cendres vite balayées par le rythme de la vie haletante, par une machine invisible qui occulte les blessures les plus vives. Cachez ces feux qu’on ne saurait voir, parce qu’ils sont trop brûlants, trop insupportables. “La société, sourde à ces appels, reprend inlassablement le cours de son quotidien, ramenant systématiquement ces drames à la banalité du fait divers”, observe Samuel Bollendorff, déjà auteur de plusieurs webdocs remarqués (Voyage au bout du charbon, The Big Issue, A l’abri de rien…) “Mais si la trace n’est pas visible, si l’onde de choc est étouffée, l’acte contestataire a bien eu lieu”, rajoute-t-il.
La même désespérance
Menée durant deux ans avec sa collègue Olivia Colo pour la société HonkyTonk films, spécialisée dans les contenus audiovisuels interactifs et participatifs, réalisée en partenariat avec francetv.info, francetv.nouvelles écritures (Boris Razon) et Le Monde, son enquête se concentre sur sept cas d’immolation par le feu : sept destins tragiques, comme autant de réflexions sur un modèle d’organisation sociale sec et aride, où tout s’embrase. Qu’ils soient cadres, instituteurs, retraités ou chômeurs, qu’ils protestent contre l’évolution de leurs conditions de travail, leur impossibilité d’accéder aux aides sociales ou à un logement, qu’ils exposent leur feu sur le parking d’une entreprise, dans la cour d’une école, devant le centre des impôts, la caisse d’allocations familiales, à Béziers, Mantes-la-Jolie, Nantes, Saint-Priest, Vénissieux, Mérignac…, tous partagent au fond la même désespérance et choisissent le pire mode d’expression de leur péril.
Bollendorff et Colo filment les lieux maudits, interrogent les familles, collègues, proches des victimes : leurs témoignages bruts révèlent, dans leur frontalité même, la dureté des épreuves que chacun traversa dans le silence d’un monde du travail déserté par le sens du collectif, où l’individualisation, la perte des liens et la pression aveugle du management conduisent à la mort des plus fragiles. A travers une narration interactive et une modélisation graphique superposant plusieurs voix possibles, le documentaire met en lumière cette réalité, de mieux en mieux analysée aujourd’hui, et pourtant encore tenue à l’écart. En les mettant enfin sous les feux de la rampe, Le grand incendie restitue aux immolés leur dignité consumée.
Le Grand Incendie. Ils se sont immolés par le feu pour se faire entendre Documentaire interactif de Samuel Bollendorff et Olivia Colo www.legrandincendie.fr en ligne le mardi 17 décembre
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