Emmanuel Macron lance de nouveau un grand débat pour promouvoir sa très contestée réforme des retraites auprès des Français. Pour le politologue Yves Sintomer, la formule qu’a choisie le gouvernement ne permet pas un réel exercice de la démocratie participative.
Le président de la République a choisi d’avoir à nouveau recours à la formule du grand débat national. Une méthode qui lui a déjà permis de redorer son blason auprès des Français pendant le mouvement des Gilets jaunes. Cette fois-ci, Emmanuel Macron s’est adressé à 500 lecteurs du groupe La Dépêche du Midi, réunis ce jeudi 3 octobre à Rodez (Aveyron) pour présenter le futur système à points, qui va fusionner les 42 régimes de retraite existants.
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Pourquoi le président a-t-il choisi de recourir à nouveau à une consultation citoyenne pour faire passer la réforme des retraites ? S’agit-il réellement de prendre en compte l’avis des citoyens ou d’une simple stratégie de communication mise en place par le gouvernement ?
Réponse avec Yves Sintomer, chercheur au Centre de Recherches Sociologiques et Politiques de Paris (CRESPPA) et auteur de nombreux ouvrages sur la démocratie participative, la démocratie délibérative et la représentation politique.
Pourquoi Emmanuel Macron choisit-il de reprendre la formule du grand débat pour la réforme des retraites ?
Yves Sintomer – Il y a une version rose et une version plus réaliste. La version rose c’est que le président de la République à une organisation politique qui ne permet pas un véritable contact en profondeur avec les citoyens. Ça doit être l’une des rationalités de sa décision. Cependant, une interprétation moins rose – et sans doute plus pertinente -, est que cela sert à donner l’impression que l’on consulte, alors qu’en fait, les grands choix ont déjà été tranchés et qu’il s’agit alors de discuter de détails.
On aurait par exemple pu soumettre aux citoyens la question suivante : La population française vieillit, il y aura de plus en plus de personnes âgées. Est-ce que nous préférons bloquer le montant des retraites par rapport au niveau actuel du PIB – ce qui est le choix actuel du gouvernement -, ou est-ce que l’on souhaite accompagner le vieillissement de la population en augmentant les prélèvements qui visent à donner des ressources aux plus âgés ? Trancher cela aurait été un véritable débat.
Ce n’est pas du tout ça qui est en train de se passer. Il s’agit de discuter de choses qui peuvent avoir une certaine importance mais qui restent dans le cadre préalablement défini par le gouvernement.
Finalement, l’avis des Français n’a que peu de chances d’être pris en compte ?
Leur avis, non. Que certains arguments puissent être pris en compte oui, mais de façon arbitraire en fonction de ce qui convient le mieux au gouvernement, pour des raisons qui peuvent être électoralistes ou de convictions, il est bien difficile de le savoir. Dans le meilleur des cas, cela va servir à la marge à modifier de petites choses étant donné que les grandes lignes sont déjà décidées.
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D’après vous, il s’agit plus d’une stratégie de communication pour faire accepter une réforme impopulaire que d’une réelle consultation citoyenne ?
Tout à fait. On ne peut pas dire aujourd’hui ce que le grand débat au moment des Gilets Jaunes a réellement apporté. Au bout du compte ça a coûté énormément d’argent, ça a polarisé beaucoup d’énergies et quelles en sont les leçons ? Qui pourrait dire aujourd’hui à quoi cela a servi, sinon à faire passer l’attention médiatique et publique des Gilets Jaunes à autre chose, et gagner quelques points aux élections européennes ?
Peut-on parler d’instrumentalisation du débat public en ce sens, selon vous ?
Oui, d’autant que l’on sait que le président de la République n’était pas convaincu par la participation citoyenne dans la première partie de son mandat.
Il l’a passée sans discuter ni avec les citoyens, ni avec les corps intermédiaires, ni avec les députés. Donc ce n’est pas une stratégie qui est mûrie longuement et nourrie par des convictions profondes. C’est une tactique qui permet d’occuper l’attention médiatique, de donner une impression de communication et d’aller de l’avant.
On entend souvent Macron dire qu’il veut faire preuve de “pédagogie” pour expliquer ses réformes. Que pensez-vous du choix de ce terme ?
Il faut le mettre en lien avec ce qu’est la pédagogie à la française. Quand de jeunes étrangers viennent en France ils trouvent souvent notre pédagogie très paternaliste et peu interactive dans les écoles. La pédagogie, c’est expliquer à ceux qui ne savent pas ce qu’ils doivent savoir. Donc nous avons un gouvernement qui sait, qui va expliquer des choses que les citoyens ignorants ne comprennent pas ou n’ont pas encore compris.
J’imagine qu’il y aura tout de même quelques éléments de débats mais il faut reconnaître qu’il s’agit d’un débat extrêmement rudimentaire, polarisé autour d’une personne et des représentants du gouvernement, attirant un public non représentatif sans que des conclusions véritables puissent en être tirées. C’est une forme de débat. Vraiment élémentaire et servant davantage à des fins de légitimation qu’à des fins d’élaboration des politiques publiques.
D’autres rencontres sont-elles prévues ?
Pas à ma connaissance. Mais quand il parle d’acte II du grand débat, si c’est sérieux, il y aura d’autres rencontres. Là encore, ça fait partie d’un ensemble, on dit l’acte II du grand débat mais qu’est-ce que cela veut dire ? Comment ça va se faire ? Est-ce que l’on va attendre de voir si ça se passe bien pour en faire d’autres ? Ce n’est pas très sérieux tout ça.
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Une plateforme numérique a été mise en place pour recueillir l’avis et les questions des citoyens en ligne. C’est un outil judicieux selon vous ?
Ce n’est pas une plateforme qui va permettre un véritable débat. On va faire comme pour le grand débat précédent, à savoir des sommes de contributions individuelles. Ce n’est pas ça, débattre. Un débat, c’est quand on réussit à partir de différentes positions, à avancer, à fusionner certains arguments, à en rejeter d’autres. C’est un processus interactif.
Là, il va de nouveau s’agir d’une suite de monologues pour l’essentiel. Les gens qui vont décider de contribuer ne seront pas à l’image de l’ensemble de la société française et aucune règle n’est établie pour savoir comment on tire les conclusions.
D’après vous, comment pourrait être mise en place une vraie consultation citoyenne ?
Par exemple, en ce moment il y a une convention citoyenne pour le climat qui s’ouvre. Je ne sais pas exactement ce que ça va donner mais en tout cas, si l’on avait quelque chose de similaire sur les retraites, on pourrait poser trois questions : Est-ce que la part consacrée aux retraites dans le PIB doit rester similaire ou est-ce qu’elle doit augmenter et si oui, comment ?
Est-ce que l’on doit passer d’un système par annuités à un système par points ?
Doit-il y avoir un âge légal de départ à la retraite, si oui lequel ?
Et qu’à l’issue d’une assemblée citoyenne, d’abord à l’échelle régionale puis nationale, on soumette à référendum les recommandations issues de ces assemblées, là nous aurions quelque chose qui soit un vrai exercice démocratique. Nous en sommes très loin.
Propos recueillis par Adeline Malnis
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