Inutile de bouder son plaisir quand un vrai livre de vraie littérature remporte le prix Goncourt. Coup de folie chez les jurés ?
On avait déjà dérobé quelques seringues de vétérinaires pour piquer les vieillards du Goncourt au cas où ils auraient élu Delphine de Vigan (Les Heures souterraines, Lattès), pâle figurante au générique exceptionnellement littéraire de leur dernière short list. Histoire de magouilles (quatre jurés sur dix sont ou ont été en contrat avec Gallimard) ou coup de folie (parfois, mais rarement, les dinosaures pètent un câble et votent pour un vrai livre de vraie littérature) ou encore suivisme médiatique (comme ce fut le cas en 2006 avec Jonathan Littell) ? On a juste envie de ne pas bouder notre immense plaisir, tant Marie NDiaye mérite amplement de bénéficier de l’effet Goncourt (élargir considérablement son cercle de lecteurs). Cela dit, son formidable Trois Femmes puissantes a déjà atteint les 155 000 exemplaires, à peu près dix fois plus que les ventes de ses précédents livres. Bien sûr, il y en aura toujours pour dire que ce Goncourt est « politiquement correct », comme il y en a eu, lors de la sortie de son roman, pour dénoncer un « effet Obama ». Se rappeler qu’on est en France, pays où certains critiques ne cachent même plus leur connerie nauséabonde. Déjà l’année dernière, ils dénonçaient l’attribution du Goncourt à l’Afghan Atiq Rahimi. Marie NDiaye s’est pourtant imposée dés 1985 (à 18 ans) avec son premier roman, Quant au riche avenir, comme l’un des auteurs français les plus passionnants, et l’on se souvient d’une déferlante médiatique, déjà, à la sortie d’un de ses plus grands romans, Rosie Carpe (prix Fémina) C’était en 2001. Ironie du sort, c’est Jérôme Lindon qui l’avait découverte, et c’est face à elle, passée chez Gallimard, que deux auteurs Minuit, Laurent Mauvignier (avec le surpuissant Des Hommes) et Jean-Philippe Toussaint (avec le très beau La vérité sur Marie) repartent bredouilles. Espérons qu’il ne faudra pas attendre 2025 pour que ce soit leur tour.