Pour la série de mode “The Wrong Turn” (“Ça tourne mal”), des mannequins indiens parés de luxueux atours miment une scène de viol collectif, morbide écho au drame de Nirbhaya de décembre 2012. Des photos qui n’en finissent pas de choquer. Première photo : dans l’espace confiné d’un bus, une jeune femme, superbe. Elle regarde au loin et tente […]
Pour la série de mode « The Wrong Turn » (« Ça tourne mal »), des mannequins indiens parés de luxueux atours miment une scène de viol collectif, morbide écho au drame de Nirbhaya de décembre 2012. Des photos qui n’en finissent pas de choquer.
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Première photo : dans l’espace confiné d’un bus, une jeune femme, superbe. Elle regarde au loin et tente – sans grand espoir, dirait-on – d’échapper aux griffes des quatre hommes gominés qui l’entourent et s’apprêtent à abuser d’elle.
Sur une autre image, la femme aux jambes interminables est allongée au sol. Un homme l’enjambe, vraisemblablement nu dans ses bottes de cuir. Étrange thème que celui de cette série de Raj Shetye (un photographe de mode établi à Bombay), publiée il y a quelques jours sur le site Behance – et retirée depuis.
Tourbillon immédiat d’indignation sur les réseaux sociaux et dans les médias, alors que le nombre de viols en Inde ne cesse d’augmenter chaque année (selon le bureau indien de recensement des crimes, cité par Reuters).
Ces photos scandalisent car elles font écho à un viol collectif qui fut fatal à sa victime, il y a un peu plus d’un an et demi. En décembre 2012, six hommes avaient poussé une jeune physiothérapeute et son ami dans un bus, avant de la torturer et de la violer. Treize jours plus tard, elle succombait à ses blessures.
La nouvelle avait déclenché des jours et des jours de manifestations, ouvrant le débat sur la condition des femmes indiennes dans la « plus grande démocratie du monde » et entraînant un durcissement de la pénalisation du viol en Inde. Les médias du pays avaient surnommé la victime Nirbhaya (sans peur), la loi indienne interdisant que les noms des protagonistes soient directement cités.
Impossible ici de nier la référence directe à ces faits, même si le photographe s’en défend.
Du décor aux postures alanguies, de la moue boudeuse de la jeune femme aux gestes théâtraux des hommes : dans ces clichés, la recherche esthétique est partout. D’où cette question, qui résume la polémique : peut-on décemment insuffler de la « beauté », quelle qu’en soit la finalité, à l’horreur d’un viol ? En 2007 déjà, c’est une campagne de la marque italienne Dolce & Gabbana qui avait été retirée, accusée de promouvoir la culture du viol pour vendre.
Internet a son propre avis : « dégoûtant« , « criminel« , « honteux » assènent tweets et statuts Facebook. Quand l’auteur des photos défend un geste politique assumé contre le viol en général, de nombreux messages virtuels dénoncent la recherche obstinée du buzz et un extrémisme certain dans le mauvais goût.
Read about a photo shoot on Nirbhaya Gang-rape. It makes me wonder how cruel and insensitive some people can be.Its totally sick
— Dreamer (@BundleOfDreamz) 6 Août 2014
« J’ai appris pour le photoshoot sur le viol collectif de Nirbhaya. Je me demande à quel point certaines personnes peuvent être cruelles et insensibles. C’est d’un mauvais goût total »
Interviewé par Buzzfeed et The Independent, le photographe est imperturbable. « En aucun cas, je n’ai voulu glamouriser cet acte, qui était très mauvais » répond-il à ses détracteurs. « C’est juste une manière d’ouvrir le débat« . “Si le prix à payer pour faire réfléchir les gens c’est d’endosser le rôle du méchant alors j’endosserai le rôle du méchant”.
La famille de Nirbhaya n’est pas du même avis. Vendredi 8 août, elle annonçait qu’elle porterait l’affaire devant la justice, et appelait le gouvernement indien à réagir à ces clichés « honteux« .
Laura Aronica
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