Son coup de gueule contre Jérôme Cahuzac a marqué les esprits. Homme de gauche, ancien communiste devenu cadre du PS, inspecteur du travail à la retraite, qui est donc Gérard Filoche ? Portrait.
Il nous reçoit dans son appartement à deux pas du Forum des Halles, un « 75 m² » qu’il loue avec sa femme Françoise depuis bientôt quarante ans. Entre ses murs ont résonné mille discussions politiques, des réunions comptant « jusqu’à cinquante personnes », parmi lesquelles on peut citer, pêle-mêle : Jean-Luc Mélenchon, Alain Krivine, Benoît Hamon ou Julien Dray… La politique, c’est la grande affaire de Gérard Filoche. La veille encore il était en réunion à Reims pour pourfendre l’Accord national interprofessionnel, dont la transposition législative – le projet de loi sur la sécurisation de l’emploi – a été adopté mardi 9 avril à l’Assemblée.
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C’est d’ailleurs pour dénoncer ce texte « 100% réactionnaire » qu’il a été invité le 2 avril sur le plateau de Michel Field. Alors qu’il se trouve dans les loges, déjà maquillé, une assistante lui annonce que son passage est annulé, actualité oblige : les aveux de Jérome Cahuzac viennent de tomber. Lui fulmine : « c’est la dernière vacherie de Cahuzac, dix ans que je peux pas le piffrer ! ». Au dernier moment l’assistante le rappelle pour qu’il puisse s’exprimer sur l’affaire. Son indignation, ses yeux bleus qui brillent, sa colère font le buzz. « C’étaient les bons mots au bon moment », dit-il. La vidéo est reprise partout (« 1,5 million de vues en additionnant le tout », a-t-il compté). « J’ai un peu sauvé l’honneur du Parti », considère-t-il, « et pourtant je n’ai pas eu un mot de la direction ». Il regrette aussi que le fond de son discours ait été gommé au profit de l’émotion.
« J’ai pas pleuré, j’ai lutté. C’est dégueulasse de dire que je sanglote. J’ai la voix qui tremble et qui monte dans les aigus, mais c’est de la colère, je parle de la même façon en réunion. Ce sont des mots que je dis depuis des années, le résultat de 50 ans de travail ».
Les années rouges
Gérard Filoche ne fait pas son âge. Il est né à Rouen, terre communiste, il y a soixante-sept ans. Son père est menuisier à la SNCF, sa mère aide-soignante. C’est Françoise, la femme de sa vie, qui va le convertir à la politique et au communisme. « J’avais 15 ans, elle en avait 18, elle m’impressionnait. » Il est exclu de son lycée à six mois du bac pour s’être battu avec des « fachos de l’OAS ». De toute façon, dit-il, « un fils d’ouvrier, ça se vire. »
Il se retrouve catapulté dans un lycée de filles (« le bonheur ») et obtient son bac de philo en 1963. Il adhère à l’UNEF, à la CGT, devient membre du Parti communiste. C’est une époque où l’on choisit son camp (maoïste, trotskiste, stalinien…), où l’on milite contre la guerre au Vietnam, où l’on va voir le dernier Godard au cinoche. Trois ans plus tard, il se fait virer du PC après deux mémorables séances d’exclusion, « entassés à vingt-cinq dans une petite cuisine, pendant plus de six heures. » Il fonde alors les « Jeunesses communistes révolutionnaires » avec Alain Krivine : « je rentre dans la petite histoire de ma génération », dit-il.
L’unité de la gauche
Arrive Mai 68. Il est l’un des dirigeants du comité de grève de la fac de Rouen, qui tiendra trois semaines, le souffle suspendu.
« Avant Mai 68 on nous disait que la classe ouvrière était embourgeoisée, que les grandes grèves étaient finies. Mais quand c’est arrivé, c’est comme si ce que je pensais depuis si longtemps se réalisait enfin. »
Il digère tant bien que mal l’après 68, devient permanent de la LCR (la Ligue communiste révolutionnaire), s’installe à Paris. Au sein du parti, il milite pour l’unité de la gauche. Il est minoritaire. Les querelles théoriques sont vives, elles entraînent fâcheries, scissions, rabibochages, compromis. Il applaudit la chute du Mur de Berlin, s’irrite contre ceux qui associent le PS à des sociaux-traîtres (« si les salariés français votaient pour des sociaux-traîtres, ils seraient sacrément cons »). En 1994, il décide avec cent cinquante autres militants de rejoindre les rangs du Parti socialiste.
« Foutre la trouille aux patrons »
Le militantisme politique et syndical a aussi influé sur la carrière professionnelle de Gérard Filoche. En 1981, il passe le concours de l’Inspection du travail. À l’oral, il tire un sujet au hasard et tombe sur « Le Front populaire » : il obtient 20/20. Il parle de ce métier « où vous foutez la trouille aux patrons en rentrant dans la boîte » avec gourmandise. Il a raconté son expérience dans deux livres, dont le premier, Les carnets d’un inspecteur du travail, est le plus grand succès de librairie de cet écrivain prolixe (il a publié plus de vingt essais).
Sur le plan privé, il accepte en 1984 de faire un enfant à une amie lesbienne, à la demande de sa femme Françoise. L’histoire de la petite Louise, élevée par deux mamans et un papa, fera d’ailleurs l’objet d’un documentaire. Retraité depuis 2010, Gérard Filoche se consacre aujourd’hui à la politique et à l’écriture : « je fais plus de cent réunions par an. », dit-il. Il tient une chronique dans l’Humanité dimanche (« Au boulot ») et prépare une trilogie policière qui aura pour héros… un inspecteur du travail. Populaire auprès des militants (« je remplis une salle de cent cinquante personnes quand Harlem Désir fait quatre-vingt », assure-t-il), il est peu connu du grand public. C’est qu’il ne va pas « chercher les journalistes ». « Pourtant, dit-il (buzz à l’appui), à chaque fois je passe bien, je suis un bon client, je fais un tabac. Mais je le fais pour passer les idées. » Parole de militant.
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