Pour la sociologue Monique Dagnaud, les Y, pessimistes sur la société, restent malgré tout confiants en leur avenir.
D’où vient le terme génération Y ?
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Monique Dagnaud – A l’origine, on trouve la typologie des sociologues américains Neil Howe et William Strauss, qui ont effectué un travail sur la succession des générations. Ils jouent sur trois générations : celle des baby-boomers, celle que l’on nomme la génération X, composée de gens qui seraient un peu éteints – la « bof génération » qui n’a plus grand-chose à inventer parce que ses parents auraient déjà tout fait -, puis la génération Y. En France, l’univers du management s’est emparé du terme, avec plusieurs livres sur le thème « génération Y et management ».
Qu’est-ce qui caractérise cette génération ?
D’abord un contexte politique. Contrairement à la génération X, la génération Y ne peut pas être qualifiée de « bof » : elle ne baisse pas les bras, ne trouve pas que rien n’a d’importance. Mais elle a été élevée dans une période de désenchantement politique, dans une espèce de « dégriserie ». Elle a été éduquée avec la crise, le capitalisme financier, l’impuissance du politique. Il y a aussi un contexte purement éducatif, qu’on pourrait résumer par un axe que j’appelle « Dolto-Bourdieu ». Dolto parce que c’est durant les vingt ou trente dernières années qu’ont été confirmées les méthodes éducatives de l’écoute de l’enfant : il est une personne, et la famille une unité associative où chacun doit trouver son identité. C’est une famille de négociation. Bourdieu parce que l’on est dans une période de compétition scolaire acharnée, fondée sur la course aux diplômes. La génération Y a été élevée dans un système où d’un côté on reste très à l’écoute et où de l’autre on pousse à la performance scolaire. Ce modèle ambivalent génère des tensions. Enfin, cette génération a fait son apprentissage dans l’univers de la connaissance et de l’information via la culture digitale. Mais tout le monde dans la génération Y n’est pas identique. On trouve certes des modes de fonctionnement et des traits communs, mais ensuite, ça se recompose socialement. Dans un réseau social, on fréquente des gens qui correspondent à son milieu. La culture Facebook correspond plutôt à un usage du monde étudiant et donc des catégories moyennes ou moyennes supérieures.
Trouve-t-on des valeurs communes à tous ?
Il y a des sensibilités assez claires, par exemple la distance par rapport au politique. On n’espère plus grand-chose de la centralité de la société. Corrélativement, on attend davantage du do it yourself, de la capacité à s’organiser avec d’autres. Il y a aussi la culture du partage, qui est parfois de type économique – le web est un vaste espace pour le bon plan, le gratuit, le low cost…
Diriez-vous que c’est une génération engagée ?
Les jeunes Y n’attendent pas grand-chose de l’univers institutionnel, des partis. En revanche, ils croient beaucoup à leur propre capacité de coordination, souvent sans leader et avec peu de textes fondateurs. On l’a vu dans les pays arabes, avec les indignés, avec les flashmobs… C’est une organisation vraiment très différente de l’organisation partisane. Le web est très bien adapté pour se montrer réactifs et pas pour des engagements à long terme. C’est un instrument de mobilisation sur des enjeux ponctuels.
Pour qui vote cette génération ?
La sociologue Anne Muxel dit qu’ils ont un appétit de politique. Moi, je les trouve plutôt modérés. Elle définit le vote jeune par un abstentionnisme important, sauf aux présidentielles, par un vote plus à gauche que la moyenne nationale et plus important pour les partis extrémistes. Pas mal de raisons accentuent la distance vis-à-vis de la scène politique institutionnelle. Depuis 2007, les réseaux sociaux se sont beaucoup développés, la crise s’est accentuée, les désillusions aussi. Aujourd’hui, les formes d’expression se trouvent surtout en dehors des partis, dans les actions, les manifestations, les échanges, y compris les échanges de conversation sur le net.
Cette génération, par sa capacité à agir, ne se montre donc pas résignée ?
Absolument pas. Ces jeunes sont pessimistes sur la société et son avenir mais restent optimistes pour eux-mêmes. Ils auraient de quoi baisser les bras mais gardent beaucoup de vitalité. Le web leur offre une capacité d’action et l’univers éducatif à la Dolto vise à donner confiance à l’individu.
Par ailleurs, la culture du LOL est très tonique même si parfois potache. Ça reste une forme de résistance, une façon de se moquer du monde, y compris de soi-même. Cette génération a du tonus, de la réactivité, une capacité à rire, de l’ironie sur le monde. C’est une force.
Quel rapport développe-t-elle au monde du travail ?
Les jeunes de la génération Y ont un mode d’entrée dans la connaissance qui n’est pas de type linéaire ou rationnel, comme l’écrivait le sociologue Marshall McLuhan. La pensée de Gutenberg passe par la lecture et une construction rationnelle des choses. Eux entrent par les hypertextes, piochent à droite et à gauche. Ce mode d’entrée dans la connaissance est très déconcertant. Ensuite, ils ne sont pas attachés à la hiérarchie, pas uniquement à cause du net mais aussi en raison de la disparition de la famille patriarcale, qui signifie que même dans la famille, on a fait un apprentissage d’interaction, sur un pied d’égalité. Enfin, ils n’ont pas d’attachement fort à l’entreprise. Peut-être parce qu’ils pensent que les entreprises vous jettent dès qu’elles n’ont plus besoin de vous. Ils se disent aussi que s’ils trouvent mieux ailleurs, ils partiront. Ils n’ont pas non plus spécialement envie d’exercer le pouvoir. Quand on leur propose de changer de poste, ils vont plutôt demander à avoir une autre expérience, sans privilégier l’idée de carrière.
Cette génération a-t-elle des modèles ?
Leur esprit à la fois rebelle et ironique ne les porte pas à avoir des icônes. Leur univers reste ré-actif, pas enclin à être dans la sidération, dans l’admiration béate.
Génération Y – Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la subversion (Les Presses de Sciences-Po), 172 pages, 14 euros.
{"type":"Banniere-Basse"}