Le site de Yoani Sánchez fait découvrir les galères du quotidien auxquelles doivent faire face la majorité des Cubains. Un blog impertinent qui s’en prend frontalement au régime de Castro.
A quoi peut bien ressembler Cuba de l’intérieur ? Pas le Cuba des touristes, surtout pas celui des cartes postales. Plutôt le Cuba asphyxié par le blocus économique installé depuis 1962 sur l’île.
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Cette question se pose encore plus depuis les annonces conjointes du président américain Barack Obama et du président cubain Raul Castro le 17 décembre dernier. Ils ont simultanément annoncé la normalisation des relations entre les deux pays. Un changement historique depuis la rupture diplomatique totale de 1961.
Le blog Generacion Y vous fait vivre ce virage de l’intérieur, aux côtés des Cubains.
«J’ai besoin de l’aide d’amis qui vivent à l’étranger pour publier mes textes sur le web »
GeneracionY existe depuis 2007 grâce à Yoani Sánchez, opposante politique jamais prompte à se taire sous la pression du régime de Castro. La jeune femme de 39 ans s’est spécialisée tardivement en informatique, dans un pays où Internet est encore inaccessible à la majorité de la population, et le réseau entièrement sous contrôle de l’Etat.
Yoani Sánchez a fait de son blog un espace de revendications ouvert, démarche qu’elle considère paradoxalement comme « un exercice de lâcheté ». Parce qu’elle y livre tout ce qu’elle ne peut, ou n’ose pas, lâcher sur la place publique. En ouvrant ce blog elle a avant tout voulu parler de ceux qui sont en première ligne. Les gens comme sa mère, qui travaillent sans s’arrêter, sans pour autant parvenir à boucler les fins de mois.
En 2008, le gouvernement parvient à rendre son site inaccessible depuis Cuba. Yoani Sánchez doit improviser pour l’actualiser, comme elle l’explique sur son blog : «J’ai besoin de l’aide d’amis qui vivent à l’étranger pour publier mes textes sur le web ». Grâce à des SMS contenant ses articles, comme l’évoque le journaliste Frédéric Martel sur Slate. Une démarche laborieuse qui montre à quel point il est difficile pour les Cubains de communiquer avec le reste du monde. Et ce même si beaucoup d’entre eux possèdent un smartphone, comme le rappelle Frédéric Martel.
3 jours de salaire pour acheter 450g d’oignons
Depuis 2008, le blog affiche un succès inespéré. Des dizaines de millions de visites par mois. Yoani Sánchez poste toujours des histoires simples qui en disent long sur la réalité de la société cubaine. Comme lorsqu’elle évoque le vide de l’après coupe du monde de football cet été :
« La gueule de bois c’est le retour à la vraie vie. Le retour aux étagères des magasins, où l’on réalise que la pénurie est plus grave encore qu’elle ne l’était il y a quatre semaines ».
Elle revient aussi les 3 jours de salaire nécessaires à sa mère pour acheter ses 450g d’oignons, sur la vente de sacs plastiques, rares à Cuba, qui permet aux plus vieux de manger. Pour Yoani Sánchez, pas question de lésiner sur les histoires qui explorent l’absurdité du quotidien.
«La Havane, comme tu me fais mal »
Et pour cause, l’opposante politique connaît par cœur les méandres de cette société qui s’est adaptée pour survivre, sans bruit. A Cuba c’est le marché noir qui impose ses normes. Les hommes suivent :
« Les choses les plus importantes sont toujours dites avec un hochement de tête, un petit geste, ou un mouvement des lèvres qui vous met en garde : « faites attention », « venez », « suivez-moi ». Un langage développé après des années de clandestinité et d’illégalité ».
Yoani Sánchez parcourt la capitale cubaine avec ses yeux à elle. Sans sympathie pour l’archaïsme, sans fausse nostalgie pour une Révolution qu’elle n’a même pas connue. L’un de ses posts est titré « La Havane, comme tu me fais mal ». La suite n’est pas beaucoup plus réjouissante
«Ici un bâtiment tombe en ruines, et reste comme ça des jours, des semaines. Plus tard, le trou béant devient un parc, ou un stand en métal sur lequel on vend du savon, des babioles, et du rhum. Beaucoup de rhum, parce que c’est une ville qui noie son chagrin dans l’alcool »
Le changement c’est maintenant, et surtout après
Yoani Sánchez s’est très logiquement empressée de commenter la décision de Barack Obama de régulariser ses relations avec Cuba. Une réaction relayée par plusieurs médias internationaux, dont le Huffington Post en France.
Pas d’euphorie démesurée dans ses propos. Juste une surprise modérée. Celle de voir que le régime de Castro commence à capituler. Sans prévenir, sans se justifier beaucoup non plus. La bloggeuse se souvient des scènes de liesse à sa manière. En évoquant le poisson qui va pouvoir revenir en masse dans les étalages des supermarchés. Comme à son habitude c’est le tangible qui compte plus que les promesses abstraites.
Et pour Yoani Sánchez, rien n’est encore complètement gagné. Surtout parce que le régime de Castro n’a donné aucune garantie sur une quelconque ouverture démocratique du pays. La bloggeuse ne veut pas baisser la garde : « … gardons les banderoles et les bouteilles pour plus tard, le meilleur est à venir en faisant pression pour que le jour J arrive enfin ».
Les deux prochaines années seront cruciales pour le peuple cubain. Rien ne permet de savoir si l’embargo économique et financier finira par être levé par le Congrès américain, qui vient de basculer aux mains des Républicains.
Tout cela est en tout cas à suivre sur GeneracionY. Presque en direct de La Havane.
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