La nouvelle campagne de recrutement de la gendarmerie ressemble à l’affiche d’un film. Qu’on n’aurait pas envie d’aller voir.
1. Une esthétique travaillée
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Nombreux sont ceux qui, à la vue de cette image, se sont demandés avec effroi s’il s’agissait là du prochain Dany Boon. Rassurez-vous, il n’en est rien. Malgré des similitudes avec l’affiche de Rien à déclarer, dernier film en date du Ch’ti de L. A., cette publicité n’est autre qu’une campagne de recrutement de la gendarmerie. Pas de quoi avoir l’air étonné : depuis un petit moment, l’armée française (dont fait partie la gendarmerie) joue sur une esthétique mi-ciné, mi-jeu vidéo pour appâter le chaland et faire croire qu’être militaire c’est aussi marrant que de jouer à Counter Strike en mangeant des chips. A ce titre, l’année dernière, l’armée lançait une campagne reprenant tous les codes des FPS (first person shooter ou jeux de tir subjectif) : armes à feu, vue subjective, paysages de guerre et ambiance sonore faite de bruits de pas et de respirations saccadées. Ne manquait que le zigouillage de l’ennemi, ce bâtard.
On imagine le brainstorming à l’origine de ce parti pris esthétique : – “Bon, Roger, comment on donne envie aux jeunes de s’engager ?” – “Ben… faut avoir l’air cool, faire référence aux trucs qu’ils aiment bien, a fortiori leurs loisirs…” – “Ah oué, genre se soûler tous les soirs, manger des burgers, pécho des meufs, aller au ciné et jouer aux jeux vidéo ?” – “Oui voilà, bon ben on va rester sur les deux dernières propositions” – “Bonne idée, bisous.”
2. Une femme d’honneur
Portière grande ouverte, dame en casquette au téléphone, gros hélico qui vole et monsieur qui marche droit devant lui l’air béat : on l’aura saisi, tout ici est censé donner une idée de mouvement, histoire de dire “hey, à la gendarmerie, on s’ennuie jamais, t’as vu”. En réalité, le résultat ressemble plutôt à une série policière française de milieu d’après-midi sur la TNT – soit un truc qui fait pas vraiment rêver. Seul élément funky : l’hélico et son petit côté Carte aux trésors, Sylvain Augier et trésor mis à part. Les esprits chagrins ne manqueront pas d’objecter que la gendarmerie n’est pas là pour faire rêver la population mais pour la protéger. Certes. Et aussi donner un sens à la vie de ceux qui y travaillent à en croire ce beau slogan écrit en gros et en oblique : “Devenir gendarme. Etre acteur de sa vie… pour celle des autres”. Un clin d’oeil signifiant à l’esthétique cinématographique. Et une référence douteuse à la philosophie ?
3. Le devenir gendarme
Le brainstorming déjà mentionné a-t-il aussi évoqué la passion du jeune pour la philosophie ? Pas sûr. C’est pourtant souvent sur ce registre que jouent ces campagnes de recrutement. Impossible de ne pas penser au slogan de celle de l’armée de terre l’année dernière, à savoir : “Devenez vous-même”. Un gros pompage de l’impératif nietzschéen qui n’aurait probablement pas plu à l’intéressé. Ici encore, il ne s’agit pas d’“être” mais de “devenir” pris dans sa définition la plus accessible : la vie en mouvement et le dépassement de soi. En l’occurrence, échanger le statut de vieille loque passive pour celui d’acteur de sa propre life par le simple fait de s’engager dans la gendarmerie. Un supposé à mille lieues des pensées de Nietzsche sur le travail et son éventuelle valeur morale. Mais Friedrich n’était lui jamais monté en hélico.
Diane Lisarelli
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